Georges

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  • Histoires De Noël - Pour Les Grands

À sept heures du soir, Georges appuya sur le bouton.
Explosion de lumière et de couleurs.
Dans la rue, les initiés applaudissaient déjà. Il sortit sous les acclamations, salua les spectateurs massés devant la clôture de son pavillon. Cette année, Georges s'était surpassé.
Toujours plus haut, toujours plus fort.
Sa maison s'était transformée en un Las Vegas éphémère devant lequel circuleraient des centaines, voire des milliers de badauds de tout le département. Car Georges était devenu une célébrité locale. Tous les ans, il avait le droit à de nombreux articles en pages locales des quotidiens du secteur qui l'avaient surnommé « Illuminator ». Ce à quoi il répondait invariablement qu'il valait mieux être « Illuminator » qu'Illuminati. Depuis trois ans, il recevait également la visite de la chaîne de télévision régionale et il venait, le mois dernier, d'être sollicité par NHK pour un reportage qui passerait sur les antennes le 24 décembre au Japon. Un tour-opérateur faisait même un détour par la petite ville de banlieue pour faire profiter à ses clients du spectacle délirant comparé, dans les prospectus publiés pour l'occasion, au Palais idéal du Facteur Cheval.
Il se mêla à la foule, répondant avec complaisance aux demandes de selfies et d'autographes. Il se fit prendre en photo avec, dans les bras, de jeunes enfants aux yeux émerveillés. Il serra moult poignées de mains et fit des centaines de bises.
Quand l'effervescence se fut un peu calmée, il se retourna à son tour pour admirer son œuvre. Sur le toit, accroché à une échelle de corde qui menait à la cheminée, un Père Noël rubicond et hilare saluait, en agitant la main droite, la foule en délire, tandis que les trois kilomètres et cinq cent soixante-quatre mètres trente-trois de guirlandes lumineuses – il les avait mesurés –, disposées sur et autour de la maison donnaient l'impression de se trouver sur le Strip, le célèbre boulevard de la capitale du jeu et du vice. Sans compter les nombreux tableaux animés. Le bonhomme de neige et ses nains de jardin. Les rennes qui venaient manger dans la main de la Mère Noël. L'atelier des lutins. La basse-cour en folie. Le bal des poupées du monde. Cette année, Georges avait encore innové avec une scène inspirée directement de « La Belle et la Bête ». Toujours plus loin, toujours plus fort.
Georges en profita à fond, ne s'éclipsant un court moment que pour aller manger un morceau.

À onze heures moins cinq, il releva le contenu de l'urne où les visiteurs pouvaient laisser ce qu'ils désiraient. Ce soir, six cent trente-sept euros et soixante-cinq centimes grossiraient la cagnotte servant à acheter les nouveautés de l'an prochain.
Car Georges était comme ça, pas d'enrichissement personnel, il aimait tant faire plaisir et donner du bonheur.

À onze heures, il appuya sur le bouton.
Disparition des lumières et des couleurs.
La magie s'éteignit dans un chuintement de fin du monde.

À onze heures cinq, il appuya sur l'interrupteur de sa cuisine.
Même avec une ampoule de très faible intensité, la lumière lui brûla les yeux.
Il alluma la bougie, éteignit la lampe. Le seul éclairage qui lui convenait désormais.
Les médecins avaient été clairs, la maladie progressait et il finirait aveugle.
Ils l'avaient mis en garde aussi, les illuminations ne feraient qu'accélérer le processus.
Mais Georges était comme ça, il aimait tant faire plaisir et donner du bonheur.

À onze heure quinze, il se coucha.
Obscurité.
Dans sa tête, un kaléidoscope de lumières éclata.
Il savait déjà qu'elles perdureraient bien au-delà de sa cécité future.
Il était bien.
Demain serait un autre jour.

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