Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. Sa voix était percutante et captivante au téléphone. Son image innocente ne quitta plus Émoudéfou depuis la dernière fois. Elle n'arrivera jamais à l'oublier. Elle ne pourra pas oublier ce son, n'arrivera jamais à l'effacer de son cœur. Son ami TƐGUIN Gbéhohan était un grand passionné de musique. Il aimait bien les musiques et les livres classiques. Le goût de tout le monde n'était pas le sien. Il est de ces gens qui éprouvent un certain malaise pour l'argent. L'argent n'a jamais été son souci à lui. Son coté gentil, disponible, serviable et généreux était adulé par son entourage. Après sa rupture avec sa femme, il devint un alcoolique anonyme qui sombra dans la dépression. Il perdit tout le goût de vivre et la passion pour la musique. Il retrouva sa joie de vivre quand il gagna le procès qui lui permit d'avoir la garde de sa fille Agbémingnon. Agbémingnon était sa raison de vivre. Il reprenait goût à la vie en prenant soin d'Agbémingnon. Ce week-end de janvier où tout respirait les poussières du harmattan, il décida de se distraire en acceptant jouer dans le bar-restaurant VIP Kirikou de Fidjrossè. Il appela et demanda l'aide d'Émoudéfou. Il proposa à sa meilleure amie d'enfance de s'occuper d'Agbémingnon ce week-end.
Émoudéfou prit Agbémingnon. Les deux rentrèrent à la maison. De l'autre côté de Fidjrossè, l'ambiance était agréable. Gbéhohan chantait, faisait vibrer les clients et les couples présents à Kirikou, d'une voix sensuelle et jouisseuse, tantôt berceuse et amoureuse s'accompagnant de sa guitare. Sa voix subjugua les cœurs. Les gens se levaient pour lui coller au front des billets de mille francs, des multiples de cinq cents francs et des diviseurs de dix milles francs. Il égayait l'assemblée jusqu'à trois heures du matin quand une jeune dame se leva dans l'assemblée et lui demanda une danse. Il la lui accorda. Les deux dansèrent passionnément pendant une bonne dizaine de minutes. La jeune dame voulant descendre sur la piste glissa dans sa poche une enveloppe. Quand la soirée finit, le gestionnaire du bar s'approcha de lui pendant qu'il arrangeait ses affaires pour rentrer. Le gestionnaire lui dit qu'une dame a payé un cachet de cinq cent mille pour qu'il rejoue dans la soirée dès seize heures.
Je ne pourrai pas. J'ai laissé ma fille depuis hier. Il faut que je rentre pour passer le reste du week-end avec lui. répondit-il pour de bon. Le gestionnaire essaya de le convaincre. Il céda.
Elle m'a dit de vous dire de passer à l'hôtel Golden Tulip Le Diplomate. Une fois à la réception, dites simplement que vous venez du bar-restaurant Kiroukou.
Gbéhohan rejoignit sa chambre d'hôtel. Il enlevait ses habits et vidait les poches de son pantalon quand sa main tomba sur l'enveloppe. Il la jeta parterre. Il alla prendre une douche puis dormit. Il ne se réveilla qu'à midi. Il mit un peu d'ordre dans sa chambre d'hôtel. En balayant la chambre, ses yeux tombèrent sur l'enveloppe. Il l'ouvrit. Il constata qu'il contenait quelques billets verts et une feuille. Il la déposa sur l'une des tables de la chambre d'hôtel. Il prit une douche encore et commanda de la nourriture.
Il s'apprêtait pour le petit concert de 16h quand il se rappela de l'enveloppe. Il la chercha et l'ouvrit. Il compta au total vingt billets exactement. Il sourit et dit waouh, Sɛgbo-Lissa akpé -Dieu merci- . Il déplia la feuille et lit le message se trouvant là-dessus. ‘‘ Ta voix m'a assassinée, submergée de vives émotions. Il y a longtemps que je vis seule. Je ne me suis plus jamais sentie humaine. Mais ta présence m'a redonné goût à l'existence, fait vivre. J'admire ta fougue comme ta voix lascive. J'ai joui à l'écouter. Elle m'a ensorcelée. J'ai tout. Aux yeux de tous, ma vie est rose. Au fond, je souffrais. Je vivais une morosité sentimentale. J'étais impassible. Ça me rongeait. Le soir quand je rentre, il n'y a personne pour me faire me sentir humaine et femme. Ta voix m'a illuminée. Je voudrais que nos corps se frottent pour l'écho de doux frissons, que tu me possèdes jusqu'à me nuire. Tes mots m'ont fait l'amour. Chambre 656, 14h. Je t'attendrai. Ne me déçois et ne désobéis surtout pas. J'ai un œil sur toi désormais. Dors bien. Merci pour la danse. C'était excitant. J'ai hâte.''
14h. Gbéhohan était déjà dans la chambre 656. La dame l'attendait dans une robe moulante et décolletée.
Allez droit au but. Que me voulez-vous ? Demanda-t-il à la dame.
Elle enleva sa robe. Elle n'était que dans un string rouge et n'attendait qu'à être dévorée. Gbéhohan détourna son regard.
Je veux être ta productrice. Tu as du talent. J'ai fait quelques recherches sur toi, mais tu n'as aucun son disponible sur YouTube ni sur un site. Comment se fait-il ?
Je n'ai jamais pensé à les rendre disponibles sur une plateforme. Pour le moment, je préfère être dans l'ombre puisque je manque de moyens.
Je te propose un deal. Je t'aide désormais dans tes productions. Je finance toute ta carrière. Et toi, tu te charges de t'occuper de moi, de me faire sentir femme.
Votre proposition est bonne. Mais ça ne m'intéresse pas. Encore que vous n'êtes pas mon genre de femme. Je veux dire que vous êtes ma mère. Je ne couche qu'avec celle pour qui j'ai de sentiments.
La dame ne répondit plus. Ce fut un silence de cimetière. Elle tenta de toutes les manières pour le séduire, mais il ne céda. Elle lui rappela la phrase soulignée sur la feuille. Le jeune homme était intransigeant.
Il sonnait 20 heures. Gbéhohan prit la route de Porto-Novo. Il était content. Il était au volant quand il reçut un appel d'Émoudéfou. Il était au seuil d'Erevan. Il gara, sortit de sa voiture. Il décida d'acheter quelques articles là pour la maison. Il était toujours en discussion avec son amie quand une voiture sur vive allure gara devant. Trois hommes en sortirent.
Gbéhohan. C'est de la part de Enonblo-Hamia-on ne me fait pas ça- lui lança un d'entre eux.
- C'est qui Enonblo-Hamia ? Ils ne lui répondirent. Ils tirèrent sur lui puis s'enfuirent. Le son de leurs balles parvint aux oreilles d'Émoudéfou. Elle appela Gbéhohan mais il ne répondait plus. Quelques secondes plus tard, elle entendit ‘‘ je t'aime Émoudéfou'' au bout de ses lèvres. Ce ‘‘je t'aime Émoudéfou'' a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. Ça continue de ronger Émoudéfou.