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Assis dans un fauteuil en rotin et déguisé en coccinelle, j'ai soudain la nette impression que cette garden-party ne va pas connaître le happy end tant espéré.
D'ailleurs, mon costume fait déjà grise mine depuis qu'un bourdon a maladroitement renversé son verre de spritz sur ma cape à pois. Je ne me sentais pas spécialement flamboyant avant ça, mais au moins j'avais joué le jeu et je n'embaumais pas le cocktail à base d'Apérol. La nouvelle tache fait tache alors que j'étais déjà plutôt mal embarqué pour sortir le grand jeu à ce joli papillon dont je ne connais même pas le prénom.
La tradition veut que nous soyons invités chaque année à la fameuse garden-party des Lelièvre, toutes générations confondues, histoire de clore leurs deux mois de vacances – car eux ont gardé un pied-à-terre à Paris, pour la faire courte et pour ceux que cette information intéresse. Chaque année aussi, ils nous imposent un thème et on passe deux jours à imaginer des costumes ou préparer des animations en fonction. L'année dernière pour le barbecue dansant, on avait dû apprendre une chorégraphie, l'année précédente, c'était « Passion Mexico » et cette année, à mon grand désespoir, « Les insectes en fête ».
L'objet de tous mes tourments, mon papillon – « en plein travaux », selon les dires de ma mère, j'espère que les travaux concernent bien son logement et non un quelconque passage par le bistouri d'un chirurgien esthétique –, est une nièce des Lelièvre. Elle a passé une partie de l'été dans cette maison séparée de celle de mes parents par une magnifique haie de lauriers roses, et je viens d'occuper mes quinze jours de vacances à l'observer et la saluer de loin.
Je ne saurais dire si elle m'envisage comme un voisin timide ou comme un voyeur pervers, mais je serais déjà tellement heureux qu'elle m'envisage tout court.
Je suis à peu près persuadé que miss Butterfly est célibataire. Depuis la fenêtre de la salle de bain d'en haut, j'ai pu à loisir épier ses allées et venues dans le jardin, la contempler en train de prendre des positions de yoga au petit matin sur son tapis de gym et mettre ainsi tous ses sens en éveil.
Depuis mon poste d'observation, je respirais profondément avec elle les parfums ambiants, l'herbe fraîchement tondue et encore humide, les plantes aromatiques juste derrière son dos.
Dans cette projection sensorielle, ciboulette, thym et romarin exhalaient chacun à leur tour leur personnalité réconfortante, évoquant la salade verte aux œufs de maman ou la ratatouille qui mijoterait un peu plus tard dans la cuisine des Lelièvre.
Parfois, et c'était le clou du spectacle, elle terminait sa pause zen en s'allongeant en maillot de bain sur le tapis de sol. Je pouvais alors contempler son corps tout en rondeurs et m'amusais de la voir remuer et s'agiter chaque fois qu'une mouche, une petite fourmi ou une sauterelle s'invitait sur sa peau dorée.
Le reste de la journée, hélas, elle le passait de l'autre côté de la maison, et je ne pouvais qu'imaginer la piscine, le roman policier dans le transat, les guêpes sur les melons, les échanges de potins familiaux avec ses oncle et tante.
À plusieurs reprises, j'ai pu la croiser par hasard, lorsqu'elle partait faire des courses ou lorsqu'elle en revenait avec le sourire. Elle n'était jamais au téléphone avec quiconque, ce qui est tellement rare pour une trentenaire de nos jours – et pas pour me déplaire. En revanche, les mots échangés avec elle se comptent sur le bout des doigts. Il y a eu « bonjour », il y a eu « bonne journée » et notre plus longue conversation banale a tenu à ce bref échange :
— Bonjour !
— Bonjour !
— À ce soir ? Vous êtes invité à la soirée ?
— Oui, oui, à ce soir !
Nous en sommes là. Sachant que je repars demain après le déjeuner, la rencontre doit se faire aujourd'hui, en coccinelle et si possible pas trop éméché.
Dès que j'ai vu le fauteuil en rotin se libérer, j'ai décidé de m'y asseoir et de ne plus en bouger, vu qu'il est stratégiquement placé tout près du coin des salades composées. Je n'ai pas vraiment de plan, mais je suis motivé, prêt à bondir, dès que Papillon aura un moment de solitude. Pour l'instant elle est assise dans un coin et bavarde avec les autres voisins, ceux qui ont une vue sur la piscine des Lelièvre, les veinards.
Elle a bricolé ses ailes de papillon avec du tulle bleu, s'est coiffée d'un serre-tête à ressorts et porte une jolie robe à fleurs, en harmonie avec les bosquets de lavandin. Ce bleu fait ressortir sa peau hâlée et je désespère de plus en plus de parvenir à croiser son regard. Va-t-elle se lever enfin ? M'a-t-elle remarqué aussi ces derniers jours ? Après tout, elle m'a demandé si je venais à la soirée.
Alors que je me perds en conjectures et n'ose plus trop regarder dans sa direction, maman débarque avec une dame très âgée et m'assène :
— Enfin Julien, tu n'as pas honte de rester assis à ton âge ? Pense un peu aux autres, voyons !
L'espace d'un instant, me voilà replacé dans la case « petit garçon de sept ans mal élevé », une vieille habitude qui me met toujours aussi mal à l'aise. L'air penaud et le costume de coccinelle de plus en plus fripé, je cède ma place à la dame âgée qui me remercie avec un large sourire bienveillant, pile celui dont j'ai besoin à ce moment-là.
Ragaillardi, mon regard reprend fissa la direction du bosquet de lavandin sans plus y trouver la silhouette de mon lépidoptère bleu. Je balaye l'assemblée : criquets, abeilles, cigales et charançons rient et mangent gras, la fête des insectes bat son plein, mais le papillon a disparu !
Et j'ai beau inspecter les moindres recoins de la terrasse et du jardin, m'inventer des envies pressantes pour aller aux toilettes et visiter la maison, il semble s'être envolé d'un battement d'ailes sans laisser de traces.
La mine dépitée, je retourne auprès de ma maman en grande conversation avec madame Lelièvre.
— Ah justement, voilà Julien ! Julien, c'est incroyable, la nièce de Martine, tu sais, qui était là cet été, eh bien figure-toi qu'elle déménage dans la même rue que toi ! C'est drôle, non ? Les coïncidences, tout de même...
J'apprends également que miss Papillon, dite « la nièce de Martine » est partie se coucher tôt, car elle part à l'aube pour préparer son emménagement dans l'appartement refait à neuf, rue des Iris.
Un appartement avec un petit jardin, que surplombe le balcon de mon deux-pièces, miraculeusement situé au troisième étage en face du sien.
Je me dis que finalement, la rencontre aura lieu quand elle aura lieu. Après tout, rien ne presse...
D'ailleurs, mon costume fait déjà grise mine depuis qu'un bourdon a maladroitement renversé son verre de spritz sur ma cape à pois. Je ne me sentais pas spécialement flamboyant avant ça, mais au moins j'avais joué le jeu et je n'embaumais pas le cocktail à base d'Apérol. La nouvelle tache fait tache alors que j'étais déjà plutôt mal embarqué pour sortir le grand jeu à ce joli papillon dont je ne connais même pas le prénom.
La tradition veut que nous soyons invités chaque année à la fameuse garden-party des Lelièvre, toutes générations confondues, histoire de clore leurs deux mois de vacances – car eux ont gardé un pied-à-terre à Paris, pour la faire courte et pour ceux que cette information intéresse. Chaque année aussi, ils nous imposent un thème et on passe deux jours à imaginer des costumes ou préparer des animations en fonction. L'année dernière pour le barbecue dansant, on avait dû apprendre une chorégraphie, l'année précédente, c'était « Passion Mexico » et cette année, à mon grand désespoir, « Les insectes en fête ».
L'objet de tous mes tourments, mon papillon – « en plein travaux », selon les dires de ma mère, j'espère que les travaux concernent bien son logement et non un quelconque passage par le bistouri d'un chirurgien esthétique –, est une nièce des Lelièvre. Elle a passé une partie de l'été dans cette maison séparée de celle de mes parents par une magnifique haie de lauriers roses, et je viens d'occuper mes quinze jours de vacances à l'observer et la saluer de loin.
Je ne saurais dire si elle m'envisage comme un voisin timide ou comme un voyeur pervers, mais je serais déjà tellement heureux qu'elle m'envisage tout court.
Je suis à peu près persuadé que miss Butterfly est célibataire. Depuis la fenêtre de la salle de bain d'en haut, j'ai pu à loisir épier ses allées et venues dans le jardin, la contempler en train de prendre des positions de yoga au petit matin sur son tapis de gym et mettre ainsi tous ses sens en éveil.
Depuis mon poste d'observation, je respirais profondément avec elle les parfums ambiants, l'herbe fraîchement tondue et encore humide, les plantes aromatiques juste derrière son dos.
Dans cette projection sensorielle, ciboulette, thym et romarin exhalaient chacun à leur tour leur personnalité réconfortante, évoquant la salade verte aux œufs de maman ou la ratatouille qui mijoterait un peu plus tard dans la cuisine des Lelièvre.
Parfois, et c'était le clou du spectacle, elle terminait sa pause zen en s'allongeant en maillot de bain sur le tapis de sol. Je pouvais alors contempler son corps tout en rondeurs et m'amusais de la voir remuer et s'agiter chaque fois qu'une mouche, une petite fourmi ou une sauterelle s'invitait sur sa peau dorée.
Le reste de la journée, hélas, elle le passait de l'autre côté de la maison, et je ne pouvais qu'imaginer la piscine, le roman policier dans le transat, les guêpes sur les melons, les échanges de potins familiaux avec ses oncle et tante.
À plusieurs reprises, j'ai pu la croiser par hasard, lorsqu'elle partait faire des courses ou lorsqu'elle en revenait avec le sourire. Elle n'était jamais au téléphone avec quiconque, ce qui est tellement rare pour une trentenaire de nos jours – et pas pour me déplaire. En revanche, les mots échangés avec elle se comptent sur le bout des doigts. Il y a eu « bonjour », il y a eu « bonne journée » et notre plus longue conversation banale a tenu à ce bref échange :
— Bonjour !
— Bonjour !
— À ce soir ? Vous êtes invité à la soirée ?
— Oui, oui, à ce soir !
Nous en sommes là. Sachant que je repars demain après le déjeuner, la rencontre doit se faire aujourd'hui, en coccinelle et si possible pas trop éméché.
Dès que j'ai vu le fauteuil en rotin se libérer, j'ai décidé de m'y asseoir et de ne plus en bouger, vu qu'il est stratégiquement placé tout près du coin des salades composées. Je n'ai pas vraiment de plan, mais je suis motivé, prêt à bondir, dès que Papillon aura un moment de solitude. Pour l'instant elle est assise dans un coin et bavarde avec les autres voisins, ceux qui ont une vue sur la piscine des Lelièvre, les veinards.
Elle a bricolé ses ailes de papillon avec du tulle bleu, s'est coiffée d'un serre-tête à ressorts et porte une jolie robe à fleurs, en harmonie avec les bosquets de lavandin. Ce bleu fait ressortir sa peau hâlée et je désespère de plus en plus de parvenir à croiser son regard. Va-t-elle se lever enfin ? M'a-t-elle remarqué aussi ces derniers jours ? Après tout, elle m'a demandé si je venais à la soirée.
Alors que je me perds en conjectures et n'ose plus trop regarder dans sa direction, maman débarque avec une dame très âgée et m'assène :
— Enfin Julien, tu n'as pas honte de rester assis à ton âge ? Pense un peu aux autres, voyons !
L'espace d'un instant, me voilà replacé dans la case « petit garçon de sept ans mal élevé », une vieille habitude qui me met toujours aussi mal à l'aise. L'air penaud et le costume de coccinelle de plus en plus fripé, je cède ma place à la dame âgée qui me remercie avec un large sourire bienveillant, pile celui dont j'ai besoin à ce moment-là.
Ragaillardi, mon regard reprend fissa la direction du bosquet de lavandin sans plus y trouver la silhouette de mon lépidoptère bleu. Je balaye l'assemblée : criquets, abeilles, cigales et charançons rient et mangent gras, la fête des insectes bat son plein, mais le papillon a disparu !
Et j'ai beau inspecter les moindres recoins de la terrasse et du jardin, m'inventer des envies pressantes pour aller aux toilettes et visiter la maison, il semble s'être envolé d'un battement d'ailes sans laisser de traces.
La mine dépitée, je retourne auprès de ma maman en grande conversation avec madame Lelièvre.
— Ah justement, voilà Julien ! Julien, c'est incroyable, la nièce de Martine, tu sais, qui était là cet été, eh bien figure-toi qu'elle déménage dans la même rue que toi ! C'est drôle, non ? Les coïncidences, tout de même...
J'apprends également que miss Papillon, dite « la nièce de Martine » est partie se coucher tôt, car elle part à l'aube pour préparer son emménagement dans l'appartement refait à neuf, rue des Iris.
Un appartement avec un petit jardin, que surplombe le balcon de mon deux-pièces, miraculeusement situé au troisième étage en face du sien.
Je me dis que finalement, la rencontre aura lieu quand elle aura lieu. Après tout, rien ne presse...
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Pourquoi on a aimé ?
Lorsqu'on pourchasse un papillon en coccinelle... on ne sait jamais comment ça va finir ! Voilà une histoire rythmée et drôle, portée par un
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Pourquoi on a aimé ?
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