Galathée

Elles poussaient dans la mêlée comme des sauvages, elles piétinaient la pelouse comme des bœufs, elles grognaient comme des hommes, et la balle sortit, comme un bébé, après la violente poussée collective, et passa de mains en mains pour finir aplatie derrière la ligne d'en-but. Un coup de cinq points; mémorable essai qu'elles venaient d'inscrire – et l'occasion n'était-elle pas trop belle pour, à mon tour, tenter d'écrire un essai ?



Les hommes ont peu le droit de parler des femmes, car sans doute auront-ils toujours ces idées préconçues, ces images clichées ; malgré leur volonté, leur empathie, leur assiduité, leur sérieux, ils répéteront sans doute tout le temps, inconsciemment, le même monde, vu par les yeux d'un homme. Une femme qui se bat aura, à leurs yeux, quelque chose de sublime ou de dangereux, de romantique ou de vulgaire. A quoi bon s'entêter à vouloir écrire ces contes si tous ces efforts ne brisent pas tous ces affreux clichés ? Carton jaune, jeu déloyal !
Doit-on alors se passer des femmes dans les histoires, pour les laisser elles-mêmes créer, dessiner le portrait nouveau d'une femme qui ne soit pas Nana, qui ne soit pas Emma Bovary, qui ne soit pas Juliette ou Pénélope, qui ne soit pas Germinie ou la Marraine Fée, qui ne soit pas ces filles de plume, habillées des idées, des fantasmes, des volontés que leur ingénieur – car elles sont un peu comme des robots, elles ont un but et une obsolescence programmée – leur donne ? Ou bien faut-il les faire évoluer seules, sans personnage masculin pour les juger, pour les traiter, pour les dresser ? Imaginons la Princesse de Clèves, selon la nature des choses, qui trompe son mari avec Nemours et finit même par l'épouser. Imaginons qu'Eve ne sorte pas de la côte d'Adam, mais qu'elle s'engendre par elle-même. Toute seule. Galathée sans Pygmalion. Qu'est-ce que cela veut dire, un personnage de femme décrit par un homme ? Un homme amélioré, ce qu'il voudrait être romantiquement ? Un défouloir pour toute sa haine, son amour, son orgueil ? Sans doute un peu tout ça. Mais est-ce qu'une femme ne ferait pas la même chose en écrivant les hommes ? Est-ce qu'il se pourrait qu'on ne puisse qu'être approximatif et méchant envers l'autre sexe ? Pénalité pour l'adversaire, plaquage dangereux !

Combien de récits seraient vains, combien de descriptions mensongères, combien de livres odieux ? Tant pis, diront certains, il faut bien écrire ; l'art n'a pas prétention à dire la vérité d'ailleurs. D'autres se raviseront. Certains n'oseront même pas se poser la question, pour eux la nature est un cliché, on n'y peux rien et il faut faire avec ; ceux-là écriront des histoires clichées. Mais le risque, en essayant le neuf, n'est-il pas de créer un nouveau cliché, un mensonge moderne ? Sans doute faut-il une vie, une génération, un siècle, pour trouver une vérité collective, à condition que cette anthologie soit écrite par des gens qui remettent en question tous leurs a priori et qui cherchent une forme de vérité. Cette anthologie, écrite par des Pygmalion, aura sa dose de mensonges et peut-être une vérité. En lisant les œuvres du Moyen-Âge pourrait-on voir ce qu'est la femme et ce qu'est l'homme du Moyen-Âge ou bien verra-t-on ce que sont l'homme et la femme idéale dans l'esprit médiéval ? Arrêt de volée, renvoi aux 22...

On a dit que la femme était l'avenir de l'homme, mais quelle forme aura l'avenir, celle qu'on lui a donné en écrivant le cliché, ou celle qu'on lui donnera en tentant de les combattre ? Ainsi, au lieu de paraît sublime ou vulgaire, dangereuse ou héroïque, la Battante sera un personnage du quotidien, une révolte permanente, jusqu'à qu'on l'épuise, qu'on trouve autre chose de meilleur pour la remplacer. La Battante est le personnage de l'Avenir, ou bien l'Avenir sera battu, comme l'est l'Aujourd'hui.
Cela dépend de ce qu'on veut, cela dépend s'il on préfère les Combattants, ceux qui veulent cette vie meilleure, qui font des efforts pour briser les clichés, trouver des solutions à toutes nos crises, ou s'il on veut des Cons Battants, qui réitèrent ce monde, ce système, ces injustices, ces violences. C'est la révolte des personnages contre leur créateur, au nom de la liberté, au moins de la libération, qui décidera peut-être de l'image, cette image si précieuse et pourtant si dérisoire, de notre siècle dans l'Avenir. Imaginons Galathée se créer toute seule, ou bien une fois crée, se libérer des formes et des habits que lui a soumis Pygmalion. Chandelle, joueur pris en l'air, pénalité pour l'adversaire.
La beauté, si elle existe, est improvisée. Chistéra. Pour atteindre l'improvisation, pour espérer toucher la beauté, il faut commencer par combattre les clichés, car on aura toujours le droit, homme ou femme, binaire ou non-binaire, genré ou non-genré, de parler au nom des humains, qu'ils soient homme ou femme, binaire ou non-binaire, genré ou non-genré ; c'est là qu'est l'art, la vérité, notre beauté. L'art peut créer des matchs de sport aux équipes mixtes : égalité des sexes, retournement des images, le sport comme une révolution. L'humanité est l'avenir de l'homme.

Elles transformèrent l'essai, et bientôt l'arbitre siffla la fin du match, leur victoire éternelle.