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- La Nuit
L'horloge du bar indiquait qu'il était déjà deux heures et demie, à quelques minutes près. Dans ma tête, il était minuit et quelques verres. Je ne savais plus ni où j'étais ni où j'allais, mais je connaissais mon prénom, mon âge, mon numéro de carte bancaire, le nom du chat de la voisine, le numéro de téléphone de la pizzeria d'en face, les chevaux de la course d'hier, la couleur de la voiture de ma mère, quelques citations de la Bible et les différents cocktails que j'avais pris, et je connaissais mon prénom, et mon âge, et tout un tas de choses sans aucune importance, et je connaissais mon prénom et mon âge et une infinité d'informations qui ne me définissait pas. Il était minuit et quelques verres ou une heure sans moi. Il s'est assis à mes côtés et il a attendu que les vertiges s'en aillent. Je ne tenais pas debout, mais n'étais pas mieux assise, alors il m'a prise par la main et m'a tirée hors du bar. L'horloge indiquait presque trois heures du matin, pour moi il était toujours minuit et quelques cigarettes.
D'un bras il portait toute ma dépouille encore en vie – j'en étais la première surprise. Et si tous les êtres vivants étaient finalement mourants ? Je souriais de mes propres mots, mais il ne m'a pas vue, et c'était mieux ainsi, parce que si je trouvais ça drôle à ce moment précis, il ne comprendrait cependant probablement pas l'ironie de l'affaire. Je me suis donc simplement laissée emmener sans m'opposer. Il m'a assise sur un banc, sur une digue que plus personne ne fréquentait à cette heure, et j'entendais les vagues qui gémissaient si loin de moi. J'ai voulu me lever pour regarder les étoiles dans la mer, et c'est ce que je lui ai dit – « Victor, je voudrais voir les étoiles dans les vagues ! » – avant de sentir le sol trembler. Il a voulu attraper ma main, mais je me suis dérobée et j'ai voulu le fuir et courir me jeter dans l'eau trouble. J'ai fait deux pas et j'ai embrassé le macadam qui aurait dû être sous mes pas et non sous mon nez. Je me suis mise sur le dos et j'ai commencé à rire ; je voyais le ciel comme pour la première fois, je voyais le ciel comme lorsqu'on découvre la peau le premier soir au premier corps, j'apercevais le noir profond, les étoiles et la grandeur de ce qui nous entourait. Parfois il ne suffit pas de prendre de la hauteur, il faut tomber. Et je l'entendais tomber lui aussi, amoureux. Et je tombais à mon tour, d'alcool. Il était à mille secondes de moi et pourtant si près. Je suis restée allongée sur le macadam gelé et il s'est assis à côté de moi pour me regarder sombrer. J'ai laissé glisser une larme – « Si je pleure c'est de froid et si je souris, c'est que je pleure. Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? » – et il l'a effacée du bout de son doigt. J'ai cru voir dans ses yeux la larme qu'il m'avait volée. Il s'est finalement couché à mes côtés et m'a montré quelque chose dans le ciel si sombre.
— Je te dessine une étoile filante. Fais un vœu, a-t-il soufflé à mon oreille.
Je me suis tournée vers lui, j'ai esquissé un sourire, et ce n'était pas la vodka qui sculptait mon visage. Il s'est redressé légèrement pour me regarder dans les yeux et a posé une main sur mon cœur. J'aurais voulu prévoir ce qui allait se passer – « Tu vas m'embrasser, n'est-ce pas ? » – mais rien n'est jamais défini. Il s'est approché de moi – « J'aimerais te dire... » – et a posé un doigt sur mes lèvres. J'ai fermé les yeux pour mieux le voir, mais l'alcool n'aime pas l'amour. Le monde s'est écroulé sous moi et la chute fut si longue.
L'inconscience est un ciel de nuit.
Je me suis réveillée dans mon appartement, encore habillée de mes vêtements de la veille. Le soleil me brûlait la rétine, tout était trop clair et les murs trop blancs. Je n'aurais jamais dû écouter ma mère pour décorer ma pièce. J'ai tourné la tête vers la table de chevet ; il était onze heures et un horrible mal de crâne. Je connaissais toujours mon âge et toutes les futilités qui ne sont pas moi, seulement, au-dessus de tout, je connaissais mon nom, mais pas le sien. Et les baisers qui s'envolent avant d'être nés ne laissent pas de traces.
— Cette nuit c'était mes derniers verres.
Je parlais à mon reflet fatigué, mais il semblait m'écouter. J'avais déjà fait cette promesse des dizaines de fois, mais jamais par amour. Et les mots sont terriblement plus sincères quand ils sont amoureux.
D'un bras il portait toute ma dépouille encore en vie – j'en étais la première surprise. Et si tous les êtres vivants étaient finalement mourants ? Je souriais de mes propres mots, mais il ne m'a pas vue, et c'était mieux ainsi, parce que si je trouvais ça drôle à ce moment précis, il ne comprendrait cependant probablement pas l'ironie de l'affaire. Je me suis donc simplement laissée emmener sans m'opposer. Il m'a assise sur un banc, sur une digue que plus personne ne fréquentait à cette heure, et j'entendais les vagues qui gémissaient si loin de moi. J'ai voulu me lever pour regarder les étoiles dans la mer, et c'est ce que je lui ai dit – « Victor, je voudrais voir les étoiles dans les vagues ! » – avant de sentir le sol trembler. Il a voulu attraper ma main, mais je me suis dérobée et j'ai voulu le fuir et courir me jeter dans l'eau trouble. J'ai fait deux pas et j'ai embrassé le macadam qui aurait dû être sous mes pas et non sous mon nez. Je me suis mise sur le dos et j'ai commencé à rire ; je voyais le ciel comme pour la première fois, je voyais le ciel comme lorsqu'on découvre la peau le premier soir au premier corps, j'apercevais le noir profond, les étoiles et la grandeur de ce qui nous entourait. Parfois il ne suffit pas de prendre de la hauteur, il faut tomber. Et je l'entendais tomber lui aussi, amoureux. Et je tombais à mon tour, d'alcool. Il était à mille secondes de moi et pourtant si près. Je suis restée allongée sur le macadam gelé et il s'est assis à côté de moi pour me regarder sombrer. J'ai laissé glisser une larme – « Si je pleure c'est de froid et si je souris, c'est que je pleure. Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? » – et il l'a effacée du bout de son doigt. J'ai cru voir dans ses yeux la larme qu'il m'avait volée. Il s'est finalement couché à mes côtés et m'a montré quelque chose dans le ciel si sombre.
— Je te dessine une étoile filante. Fais un vœu, a-t-il soufflé à mon oreille.
Je me suis tournée vers lui, j'ai esquissé un sourire, et ce n'était pas la vodka qui sculptait mon visage. Il s'est redressé légèrement pour me regarder dans les yeux et a posé une main sur mon cœur. J'aurais voulu prévoir ce qui allait se passer – « Tu vas m'embrasser, n'est-ce pas ? » – mais rien n'est jamais défini. Il s'est approché de moi – « J'aimerais te dire... » – et a posé un doigt sur mes lèvres. J'ai fermé les yeux pour mieux le voir, mais l'alcool n'aime pas l'amour. Le monde s'est écroulé sous moi et la chute fut si longue.
L'inconscience est un ciel de nuit.
Je me suis réveillée dans mon appartement, encore habillée de mes vêtements de la veille. Le soleil me brûlait la rétine, tout était trop clair et les murs trop blancs. Je n'aurais jamais dû écouter ma mère pour décorer ma pièce. J'ai tourné la tête vers la table de chevet ; il était onze heures et un horrible mal de crâne. Je connaissais toujours mon âge et toutes les futilités qui ne sont pas moi, seulement, au-dessus de tout, je connaissais mon nom, mais pas le sien. Et les baisers qui s'envolent avant d'être nés ne laissent pas de traces.
— Cette nuit c'était mes derniers verres.
Je parlais à mon reflet fatigué, mais il semblait m'écouter. J'avais déjà fait cette promesse des dizaines de fois, mais jamais par amour. Et les mots sont terriblement plus sincères quand ils sont amoureux.
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