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Le sable s'ouvrait sous nos pas. La marée haute recouvrait la bande à la fois ferme et douce qui rendait si agréable le souvenir des promenades sur la plage. Je devais lutter à chaque pas pour ne pas me tordre la cheville. Négocier pour que les grains de sable ne rentrent pas dans mes baskets. Enjamber les écheveaux d'algues sèches dont on ne savait trop ce qui pouvait se dissimuler dessous. Parfois une vague plus hardie venait m'éclabousser de ses embruns avant de retourner se planquer fissa au milieu de ses copines.
— Putain, Eli, j'ai la dalle ! On aurait dû emporter quelque chose à manger.
— Mange tes mains si t'as faim ! a répliqué Eleanor sans se retourner.
— Mange tes mains si t'as faim ! a répliqué Eleanor sans se retourner.
C'était une des expressions préférées de Maman quand on lui réclamait à manger alors que ce n'était pas l'heure. Eleanor avait dit ça avec le même ton qu'elle employait. Plus les années passaient et plus elle lui empruntait ses expressions.
Ma sœur marchait deux bons mètres devant moi. Elle allait d'un bon pas. Elle ne paraissait pas gênée par le sable mou. Parfois elle se retournait et me faisait comprendre que je trainais, alors je soupirais et accélérais. Elle portait son jean préféré, tellement usé que sa couleur d'origine était un souvenir perdu, et un pull marin dont elle laissait ouverts les boutons sur son épaule. Ses cheveux semblaient attachés n'importe comment, mais je savais qu'il lui avait fallu des mois pour parfaire cette technique. Eleanor était cool. Elle donnait l'impression de ne jamais douter de rien. Tout paraissait facile pour elle. Tout le monde aurait voulu lui ressembler.
L'automne arrivait mais le soleil se couchait encore tard. J'aurais parié que c'était pour ça qu'Eleanor nous avait fait faire cent-cinquante kilomètres. Quand je lui avais demandé pourquoi on avait pris la route, elle m'avait répondu, « C'est une surprise ! ». Tu parles d'une surprise... Comme si elle et moi on n'avait jamais vu le soleil plonger dans l'océan pour son bain de minuit. Eleanor avait accéléré sur la fin en surveillant l'heure. Sans doute avait-elle lu quelque part qu'ici plus qu'ailleurs le coucher de soleil était exceptionnel. Peut-être qu'ici on pouvait voir le fameux rayon vert, ce phénomène lumineux, rare, que l'on parvient parfois à observer au-dessus de l'eau quand le soleil disparait. Eleanor faisait une fixation sur le soleil. Elle-même se disait solaire, tout comme elle avait décrété que j'avais un côté sélénite, ce qui était plus délicat que me dire lunaire.
— Ici ! a finalement dit ma sœur.
L'endroit semblait parfait, c'est vrai. Un large rocher arrondi, un dossier à l'inclinaison propice au confort, un sable sec sans le moindre caillou ni coquillage, un creux de dune pour protéger du vent, une vue directe sur l'horizon.
— Sérieusement, j'ai demandé, tandis qu'elle s'asseyait, les mains plantées dans les poches, qu'est-ce qu'on fout ici, Eli ?
— C'est quoi le truc qui t'échappe dans le concept de surprise ? a-t-elle répliqué avec un sourire moqueur. Allez, Léo, arrête de faire ton ronchon, pose tes fesses et profite !
— Si c'est encore un de tes foutus couchers de soleil...
— C'est quoi le truc qui t'échappe dans le concept de surprise ? a-t-elle répliqué avec un sourire moqueur. Allez, Léo, arrête de faire ton ronchon, pose tes fesses et profite !
— Si c'est encore un de tes foutus couchers de soleil...
Et d'un mouvement de menton, elle a pointé l'horizon. J'ai suivi le mouvement, et effectivement, le soleil descendait vers la ligne bleue de l'océan. Lentement, parfaitement visible à travers une légère brume, une boule rouge qui se laissait observer sans brûler les yeux. C'était beau, oui, indiscutablement, mais des images comme ça on en trouvait plein les fonds d'écran, les cartes postales ou les comptes Insta des apprentis photographes du monde entier.
Je me suis tourné vers Eleanor, blasé, et avant que j'aie eu le temps de dire quoi que ce soit, elle a dit :
— Regarde mieux !
— Regarde mieux !
J'ai à nouveau porté mon regard vers l'horizon. Quelques voiles s'attardaient encore au loin, des oiseaux planaient ici et là, un fin nuage étirait une gaze orangée en travers du ciel... Et puis j'ai vu. Aperçu, plutôt. Toute proche du soleil, la lune se levait. Noyée dans son ombre, elle formait un cercle sombre qui se fondait dans le ciel du soir. Elle aurait été invisible sans cet arc doré, de l'épaisseur d'un cheveu, du côté du soleil. À chaque clignement de paupières, on risquait de la perdre.
— Une éclipse ? j'ai demandé, ne parvenant pas à décrocher mon regard du ballet astral.
— Nan, c'est bateau les éclipses. C'est mieux que ça, tu vas voir...
— Nan, c'est bateau les éclipses. C'est mieux que ça, tu vas voir...
Chacun des deux astres avançait sur sa trajectoire à la rencontre l'un de l'autre. Quelques minutes ainsi à s'approcher timidement, jusqu'à ce moment où ils se frôlèrent, semblèrent collés l'un à l'autre, et se figèrent ainsi, le temps d'une respiration.
— Les deux jumeaux réunis, a murmuré Eleanor.
— Faux jumeaux, ai-je corrigé.
— Exact, a admis Eleanor en souriant et me prenant la main. Allez, dépêche-toi ! Fais un vœu !
— Faux jumeaux, ai-je corrigé.
— Exact, a admis Eleanor en souriant et me prenant la main. Allez, dépêche-toi ! Fais un vœu !
Je me suis raidi. Je devinais quel serait le vœu de ma sœur. Il concernerait Mouss, le garçon qui faisait battre son cœur sans qu'elle ne soit encore parvenue à l'émouvoir en retour, qui occupait toutes ses pensées depuis plusieurs semaines, et qu'elle m'avait présenté. Le vœu que je rêvais de faire était le même. Eleanor et moi partagions le même amour. Après tout, quoi de surprenant. Elle ne cachait pas ses sentiments. Moi si. Mais j'aimais Eleanor davantage encore, et pour rien au monde je ne me serais mis en travers de son bonheur.
Je regardais le soleil et la lune, encore unis pour un instant, chacun s'apprêtant à tracer sa propre route.
— Au fait, je t'ai pas dit ? a lancé Eleanor. Je ne suis plus sur Mouss. Je me suis fait une raison. Je ne suis pas son parfum. Je crois qu'il préfère les gars au chocolat aux filles à la vanille, elle a ajouté avec un clin d'œil. Au fait, je t'ai déjà parlé de Rapha ? Faut absolument que je te parle de Rapha !
— Bon, me suis-je empressé, qu'est-ce qu'on attend pour les faire, ces vœux ? Si on traine trop, on va rater le coche !
— Bon, me suis-je empressé, qu'est-ce qu'on attend pour les faire, ces vœux ? Si on traine trop, on va rater le coche !
À l'horizon, les faux jumeaux poursuivirent leur chemin. Chacun sa vie, chacun ses rêves et ses projets, mais quel que soit le chemin qu'ils emprunteraient, ils reviendraient toujours l'un vers l'autre.
— Tiens, a lancé Eleanor, j'ai pitié de toi.
J'ai sursauté quand une barre de céréales a atterri sur mes genoux.
— Ça trainait dans mon sac. Ça devrait t'aider à patienter jusqu'à ce qu'on trouve un endroit pour dîner. Je t'entends gargouiller d'ici. Ça gâche un peu le plaisir.
J'ai pris la barre de céréales et j'ai remercié ma sœur.
— C'est quoi ça ? ai-je demandé alors que je m'apprêtais à déchirer l'emballage.
— Tu parles de quoi ?
— Tu parles de quoi ?
Eleanor s'est penchée dans ma direction tandis je tendais la barre vers elle. Elle a froncé les sourcils, semblant s'interroger sur ce qu'elle avait sous les yeux.
— Oh, ça ! C'est le 06 de Mouss. J'ai dû le noter là-dessus quand il me l'a donné. C'est fou, je ne m'en souvenais même pas. Mais tu l'as déjà, non ?
— Oui, ai-je menti. Oui, bien sûr. Tu penses bien.
— Oui, ai-je menti. Oui, bien sûr. Tu penses bien.
Elle a hoché la tête et a semblé s'abandonner à nouveau dans l'admiration du ciel, le nuancier de couleurs qu'il déployait tandis que le soleil disparaissait.
Je l'ai rejointe dans sa contemplation tout en rangeant soigneusement l'emballage dans ma poche.
Le soleil s'était maintenant retiré. Il laissait la lune maîtresse de son destin. Le monde lui appartenait. C'était à elle de jouer.
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