Étreinte océanique


Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. Mes yeux s'écarquillèrent, à en crever leurs orbites. Je n'aurais pas de l'être là, pas à ce moment, pas moi, ni eux, personne me dis-je, courant de toutes mes forces face au vent.
 
Ce moment contraste pleinement avec mon cadre de vie, l'expression des beautés insulaires où je réside. Moi, Joseph, j'avais encore 16 ans à l'époque, soit un garçon de petite taille reconnaissable, vivant en Guadeloupe et inscrit à l'internat à la suite d'un examen réussi pour une entrée en filière binationale. Pourtant, à ce moment-là, à ce moment précis, tout cela n'avait plus aucune importance.
 
Les larmes, sèches, déformaient encore mon visage, alors que je courais à plein élan sur le bord de mer, proche de mon lycée : première rupture sentimentale.
 
Un autre garçon avait débarqué, plus grand, sûrement meilleur en quelques aspects qui me dépassaient. De mes 16 ans, il m'était impossible de comprendre ce qui se passait. Elle était toujours là, en face de moi, m'annonçant la situation avec un air indifférent. Les rires résonnaient autour de moi, j'étais comme anesthésié, ma vision se troublaient. Mon cœur avait sauté un battement, je ne le sentais plus battre, et arrivais encore moins à respirer. Nous étions en fin de journée, le grillage du lycée s'apprêtait à se fermer. Le directeur adjoint s'occupait de vérifier qu'aucun enfant de l'internat ne quittait les murs, dont moi.
 
Alors qu'elle finissait ses derniers mots, je décidai de me retourner pour faire face au soleil et à la mer face au lycée. Il me fallait bouger, créer du mouvement, fuir. Je tournai le dos à mon ex-copine, Sarah, et avança d'un pas ferme vers la sortie, les yeux vides, le pas ferme, je pris la décision de me fondre dans la foule afin de dépasser la barrière, toujours fixant le soleil, un succès.
 
Cette étape passée, le temps s'arrêta, se dilua, et je pris l'élan le plus féroce de ma vie et dévala les marches en direction du bord de mer. Je n'allais nulle part, je décidai juste de courir, oublier, la rupture, les maux, la danse macabre de tous des traumatismes se liant les uns aux autres. Une danse entre inconnus, un enfant non désiré d'un manteau noir recouvrant mes bras, dévorant l'intérieur.
Cette course dura un temps, une éternité pour moi, je ne voyais personne sur le bord de mer, et je décidais de courir jusqu'à ce que je n'aie plus de force. Je ne pensais même plus à cette relation, la douleur avait pris le pas, et plus que cette rupture, c'est un amas de souvenir qui déclencha cette douleur.
Les bruits de la mer s'écrasant contre les rochers, le soleil proche de se coucher rayonnaient de mille feux et suivaient ma course, silencieux. Cette minute dura une éternité, et mes yeux s'écarquillent, à en crever leurs orbites. Je n'aurais pas de l'être là, pas à ce moment, pas moi, ni eux, personne. Chaque impulsion de mes pieds me ramenait à maintenant et ailleurs, les larmes ruisselaient sur mes joues, résonnant avec la mer.
Alors que je continuais à courir, j'enjambais les morceaux de gravier, d'un bâtiment écroulé, détruit par l'un des séismes, ayant secoué l'ile ces dernières année. L'idée devenait claire, je voulais me diriger vers l'une des vieilles plages abandonnées, pas faite pour se baigner mais je voulais avant tout éteindre le brasier en moi.
 
Ainsi j'ai continué, écoutant les aboiements de mon chien que nous avions du donner, car il nous était devenu financièrement impossible de nous occuper. Un grand berger allemand, nous avions passé 7 ans ensemble.
Ça devait maintenant faire une dizaine de minutes que je courais, mais je ne sentais ni le temps, ni même les efforts physiques, je me laissais porter par le paysage, embraser par le moment. Et avant même que je me rends compte, la plage se trouvait devant moi.
Je sautais de la plaque de béton au sable, un saut symbolique, une réception douce.
Un pécheur, portant une casquette afin de se protéger des derniers rayons du soleil de la journée était posé là, en silence. Il détourna doucement la tête afin de jeter un coup d'œil à qui venait d'arriver. Sans un bruit, il se reconcentra sur son activité.
Emporté par les vagues, je retirai mon t-shirt et décida de plonger dans l'océan.
Bercé par les vagues, je continuais à nager, les pensées m'envahissant, se laissant longuement bercé par la nature, jusqu'à m'accrocher à une bouée. L'une de mes activités préférées à l'époque était l'apnée, et après plusieurs respirations, je plongeai, me dirigeant vers le fond de l'océan.
Plusieurs mètres plus bas, la tête vers le sol, les pieds vers la surface, je me remis droit, sur mes jambes. La pression m'enfonçait encore au fond de l'océan alors que mes cheveux, encore long à l'époque s'espaçaient déjà pour rejoindre la surface.
 
Plus rien ne semblait compter, un calme presque idyllique me ramena à moi-même. La situation n'allait pas, elle n'était pas catastrophique mais elle n'allait pas. Et malgré tout, en ce lieu, à ce moment, rien d'autre n'importait que moi, regardant les dernières lueurs. L'idée que mon chien ait pu vivre encore quelques années apaisées, m'apparus agréable. Cette relation, lointaine, bien que mon cœur serré me fît encore mal.
L'immensité de l'océan me rappela à moi-même, la part que nous avions à jouer dans le monde. Et surtout, après tout, ce que nous y représentions. La cruauté du monde parut un peu moins lourde à porter, entouré d'eau. Le temps lui-même parut s'étendre, porté par la nature, comme un écho, un rappel que quoiqu'il puisse arriver, tout ira bien.
 
Après ces quelques secondes, je me laissai porter vers la surface et rejoint le rivage. Le pécheur n'était plus là, et le sceau qu'il portait avec lui avait disparu. Les reflets du soleil s'estompèrent, et je soupirai. Cela n'irait peut-être pas mieux demain, encore moins le surlendemain, mais face à tant de beauté, je sus qu'un jour, tout irait mieux.
 
Je récupérai alors mon t-shirt et décida de rentrer, je trouverais forcément un moyen de rentrer à l'internat en pensant à mes amis s'inquiétant surement.
 
Je trouverais un moyen sur le chemin du retour.
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