Toute histoire commence un jour, quelque part. Dans une contrée d’Afrique vivait une famille modeste, sage et respectée. Sa Majesté Hassane Boigny louait la sagesse des époux qui souffraient d’une stérilité irréversible, due à un grave accident routier survenu le jour de leur mariage. Mais l’Éternel Être qui n’avait encore dit son mot que nul autre ne révoque, leur fit la grâce de concevoir Rachelle, dont la naissance leur ôta ce chagrin de mourir sans héritier pour rendre la reconnaissance qu’on doit à nos bienfaiteurs.
Dès son jeune âge ses parents lui inculquèrent les civilités dignes de leur modestie. Rachelle était peu grande et blonde. Elle avait des yeux étincelants, de longs cheveux noirs d’une ravissante obscurité. Elle était une fille très charmante, à la manière de quelques femmes hindoues, avenante, brillante et pleine de projets. Elle rencontra, quelque part sur son chemin, un jeune fermier du nom de Sharles, un homme sage et héroïque, aux suaves mœurs et d’une réputation honorable et digne d’un fils de roi. Ce gentilhomme était très beau, bien vêtu, d’un teint brun avec une tête bien faite. Et, un jour qu’il revenait de sa ferme, il aperçut de loin trois hommes aux allures robustes qui étaient sur le point d’assaillir une jeune fille parmi une compagnie de lycéennes. Rachelle était cette fille, huit ans moins âgée que ce fils de roi. Connaissant très parfaitement la vie de ces gens repus de ruses, qui ont coutume d’attaquer, piller, violer, tuer les adolescentes qui résistent, il sentit le danger qu’elle courait. Il accourut diligemment pour intervenir contre ces hommes, à l’effet de les mettre hors d’état de nuire. Cet acte ayant tant impressionné cette compagnie de filles laissa la jeune Rachelle tout admirative, à tel point qu’elle dut courir à toutes jambes comme une jeune gazelle informer ses parents. Cette bravoure de Sharles faisait la une des discours...
Le père qui apprit que le héros de sa fille est fils de son ami le roi Hassane Boigny, qui machinait déjà ce qu’il ferait d’inouï pour exprimer sa reconnaissance, réunit sa femme et sa fille pour leur faire connaître ses intentions. En des termes posés et même fort pesés, il dit : « Ecoute ma très chère fille : jamais je n’ai entendu dire qu’on refuse le bonheur qui sonne à notre demeure, surtout quand nous sentons passer la fleur de l’âge. Ce bonhomme qui t’a à peine sauvé la vie, est peut-être celui qu’il te faut pour aisément vivre dans ce monde plus ou moins cruel, un monde qui devient même de plus en plus pervers. Tu sais ? Ta mère et moi sommes presque déjà dans le dernier âge de la vie. Sache que nous sommes fiers de toi, pour ce que tu mènes jusqu’à cet âge une vie chaste et louable en vue de l’idéal pour lequel tu répugnes tout repos. C’est vrai : suivant nos us et coutumes que nous tenons tant en respect, il te reste encore une année pour avoir légitimement le droit de convoler avec l’homme à qui il te conviendrait volontiers d’offrir tes bonnes grâces. Mais réalisant la bravoure de cet homme qui t’a épargnée d’un mal certain, je voudrais en toute bonne foi, sous réserve de l’avis de ta mère, que tu acceptes librement d’être la reconnaissance que nous souhaitons lui témoigner. » La mère qui perçut très vite le sens de ce discours qu’elle discernait très avisé, ne perdra pas une minute pour dire son assentiment en exhortant Rachelle à se plier aux intentions de son père. À quoi Rachelle, amoureuse, répondit d’un air fort enthousiaste : « Mère, que puis-je dire qui puisse aller contre la volonté de mon père ! À vrai dire, j’aime éperdument ce bonhomme gentilhomme bien que je ne l’aie jamais vu réagir. Je pense qu’il devrait être le genre d’homme qui convienne beaucoup à mon âme. D’ailleurs ne dit-on pas que l’homme et la femme se rencontrent en temps voulu ? Mais si, à cause de notre modeste condition, il lui arrivait de refuser une telle reconnaissance de notre part, je conclurais que la Providence me réserve sûrement une destinée bien meilleure que ce que nous pourrions espérer à présent. »
Le lendemain matin, ils allèrent chez le roi pour remercier Sharles qui ne s’attendait pas à quelque matinale surprise. Ils y furent dignement reçus, et le récit fort agréable de Rachelle à propos de l’incident pour quoi ses parents firent cette visite inédite, attira beaucoup l’attention du roi qui non seulement admirait la beauté à nulle autre pareille de la fille, mais aussi voyait en elle celle qui fût digne d’être la future reine consort de son fils bien aimé. Quant à ce dernier, séduit si j’ose dire par la physionomie éloquente de la jeune fille, il voyait en Rachelle s’exprimer l’âme de sa belle dulcinée. (...) Le père de Rachelle lui remet alors une lettre romancée, bien écrite, machinée. Une promesse de mariage. Quelle gratitude inouïe ! À la découverte de son contenu le bonhomme fut particulièrement entiché, enfiévré comme un jeune lion famélique qui scrute sa proie. Regardant tendrement cette beauté rutilante qu’incarnait Rachelle, il dit d’un air heureux : « Mais qui serait ce sot qui refuserait qu’on lui fasse une telle générosité !» Il avisa toutefois son père, Sa Majesté Hassane Boigny qui ne balbutia point pour donner son accord si cher. La prodigieuse promesse fut acceptée et par tous louée. On se préparait pour le mariage. Le bonhomme alla donc en voyage. Il entama les préparatifs pour la célébration des noces. Quelqu’un aurait dit naïvement : quelle belle histoire d’amour ! La nouvelle se répandit aussitôt dans toute la contrée et tous parlaient assez plaisamment de ce futur couple royal. Mais voici, assez curieusement quelques jours plus tard, il survint une aventure douloureuse qui les anéantira à jamais, une aventure qui leur fera vivre presqu’un éternel calvaire...
En effet, comme s’il fut dans la geôle des éternelles créatures aux cœurs endurcis, un homme qu’on surnommait Srantê à cause de ses attitudes empreintes de criminalité, était fort jaloux de son frère jumeau, Sharles, parce que celui-ci était beaucoup plus sage et aimé de leur père. Ce fut à Sharles en fait qu’était destiné le trône royal si, éventuellement, le roi venait à passer l’arme à gauche. Alors il détesta son frère. Il détesta son père. Il quitta sa famille. Il avait à peine sept ans. Et dix-huit ans plus tard, comme si le destin avait tout planifié, il apprit que son frère se marierait. Il décida de tout ruiner en songeant à lui causer le pis des déshonneurs qu’abhorre leur communauté. À l’époque, c’était chose répugnante que d’épouser une fille nubile qui venait à être déflorée. Cela était considéré comme une honte, surtout pour les parents qui risquaient parfois d’être accusés de parents n’ayant aucune autorité, certains allant même jusqu’à vouloir oser leur dénier la dignité. Et Srantê qui donnait l’air d’être un invétéré, préméditait cet acte éhonté comme s’il n’avait aucune dignité. La haine peut-elle soigner ? Délinquant cynique et rusé comme le diable, il s’enquit très vite de Rachelle par le biais de ses semblables, des fauteurs de troubles.
La nuit, alors qu’elle dormait, Srantê s’étant voilé d’une cagoule pour n’être reconnu par sa victime ou par quiconque l’apercevrait, pénétra l’enceinte de la chambre en forçant expertement la fenêtre. Il réussit à éclairer légèrement l’intérieur de la pièce par un moyen que l’on ne sut jamais. Sauf ceux qui n’avaient l’air que trop curieux, et qui n’avaient senti aucune vergogne à s’enquérir de cette triste histoire. Aurais-je d’ailleurs assez d’audace pour jusqu’au bout la conter ? Ils disaient que Srantê se mit délicatement à découvrir le corps de l’adolescente tout en tirant prudemment cette baguette charnelle. Et cette innocente jeune fille qui était de nature très sensible à tout contact extérieur, ouvrit promptement ses yeux qui découvrirent ce membre viril. Y en eût-il quelque chose de plus affreux pour Rachelle ? Elle n’eut pas le temps de s’écrier que ce fougueux l’assomma d’une inédite paire de gifles qui lui firent perdre toute sa lucidité, à tel point qu’elle ne pût crier à la rescousse. Et, troublée par un tel traumatisme, elle ne put faire aucun geste à l’effet de réagir ni même de fuir. Elle était comme sidérée. Srantê en profita pour la rendre complètement immobile. Et bien qu’ayant les yeux grands ouverts, hélas... elle ne pouvait rien faire que subir. Il se mit alors à l’introduire pour assouvir son dessein. Quel impudent de Srantê ! La pauvre, quel malheur t’est-il arrivée ?! La Providence t’aurait-elle oubliée ? Mais, Dieu peut-il oublier l’âme d’un quelconque des siens qui peine ? Après que Srantê eut atteint son orgasme, Rachelle sortit de sa sidération avec des cris d’effroi et démasqua, assez prestement, cet invétéré qui prit aussitôt la fuite par l’endroit d’où il fit son entrée. Rachelle, péniblement déflorée, toute confuse, pleurait à chaudes larmes. Ses sanglots d’épouvante alertèrent ses parents qui, réveillés et pris de peur, coururent à toutes jambes s’enquérir de cette cause qui causait ces cris. Ils la trouvèrent dans un état excessivement lamentable, déplaisant, triste. Et tous deux, paniqués, ils se mirent à interroger leur fille Rachelle toute en pleur qui leur raconta exactement mais non sans aucune honte ce qu’elle vécut de cruelle. À cause de la ressemblance de visage qu’elle put constater pour l’avoir démasqué, elle leur dira que son agresseur est bel et bien celui à qui l’on venait de faire la prodigieuse promesse. À l’entendre s’exprimer ainsi, ils furent tous deux surpris ; parce que ne pouvant croire ou admettre qu’un aussi généreux homme qui lui sauva la vie en vînt à vouloir nuire à sa réputation. Sa mère, qui savait que ce dernier n’était encore pas rentré de son voyage, se mit à épiloguer aux seules fins de persuader et convaincre sa fille de délires pour aboutir à l’idée de l’inutilité de toute dénonciation. Elle prétendait en fait qu’il leur serait difficile, peut-être impossible d’identifier l’auteur. Pour l’honneur de leur fille et partant de la famille, nul n’apprit cet incident pas même le roi.
Secrètement ses parents la firent soigner, tout en gardant le secret à propos de cet incident, par crainte d’irriter la colère de leur communauté qui ne tolère jamais tel déshonneur. Et malheureusement, voici que quelques semaines plus tard Rachelle présentait des symptômes qui, d’après des analyses médicales, prouvèrent admirablement un état de grossesse. Quelle guigne pour cette fille ! Ses parents, tout surpris, étaient dans un imbroglio total. Ils se demandaient ce qu’il fallait faire, surtout qu’ils ont toujours eu l’avortement en horreur. Nonobstant leur si louable sagesse, ils demeurèrent tous perplexes. Qu’elle est donc si limitée la sagesse humaine ! Ceux qui se rendaient compte de l’état de la fille à cause des symptômes, notamment les vomissements assez fréquents, de même que le changement assez brusque de sa physionomie habituelle, se demandaient comment était-il possible qu’une si jeune fille advînt à présenter ces caractères. Et ces indices étant signes certains qu’elle fût enceinte, que d’hypothèses faisaient la une des discours à tous les coins de rue ! Certains disaient : « Aurait-elle été victime d’un viol ? » Et d’autres : « Aurait-elle fait preuve d’infidélité en violation de la promesse faite au bien aimé de Sa Majesté ? » De ces hypothèses-ci, le déshonneur n’était-il pas inévitable, surtout que le bouche à oreille faisait l’honneur et même la gloire des commères ? D’ailleurs ils feront très vite le rapport au roi, qui fit aussitôt appel à son fils pour qu’il vînt tout clarifier. Il se disait en lui-même : « peut-être mon fils aurait-il eu l’impudence de commettre ce péché qui égard l’âme des jeunes aux yeux curieux. »
Au lendemain de son retour, le bonhomme qui – ayant ouï parler de cet événement d’une façon assez déshonorante – voyait l’avortement du projet de mariage se profiler, convoqua une grande assemblée dans le dessein de mettre fin aux rumeurs dont il eut vent. A l’attention de tous, il se mit à mettre Rachelle sur la sellette pour qu’elle décrivît comment il advint qu’elle tomba enceinte, alors qu’on la lui avait promise en mariage. Rachelle prit la parole en présence de tous pour décrire la cruauté qu’elle vécut. Quelques femmes pouvaient à peine tenir leur calme, les hommes leur sérieux... La jeune fille eut beau expliquer cette aventure douloureuse, honteuse en la racontant d’une manière assez détaillée pour qu’elle fût crue, on ne la crut point. Elle ne fut pas crue. Ni par le roi qui accusait ses parents d’avoir souillé son honneur. Ni par la communauté qui, sans répit, clamait son bannissement. Le bonhomme qui convoqua cette assemblée, ayant réussi, un tant soit peu, à apaiser cette clameur publique, dit avec un air larmoyant : « Mon âme est triste : l’âme toute faite pour m’aimer, c’est celle que l’on vient de briser... » Les murmures reprirent aussitôt et l’on pouvait entendre : « Mais, quel homme est cela ! A-t-il oublié la loi qui punit quiconque se rend indigne de nos valeurs ? – Mais, répliqua-t-il, êtes-vous sans sens pour oser jusqu’à blâmer une innocente ? Pourquoi ne pas rechercher les véritables fauteurs de troubles et de tout ce qui crée nos malheurs pour les arrêter, les poursuivre, les juger, les punir en les faisant périr dans la geôle tout faite pour eux plutôt que s’en prendre aux pauvres victimes ? Cette fille, n’a-t-elle vraiment pas été violée ? Pourquoi une telle insouciance ! Vous n’êtes quand-même pas des bêtes sauvages ! Quand comprendrions-nous que la haine a toujours été à l’origine de nos misères ? [...] » Il ne finira ce plaidoyer qu’un homme l’assomma d’un violent coup de fer... et quel silence il y eut ! Rachelle qui se jetta sur son époux de rêve, du sang qui jaillissait de sa nuque, des larmes qui tombaient à verse ; Sharles était au sol. Plus de souffle. Plus rien.
Dès son jeune âge ses parents lui inculquèrent les civilités dignes de leur modestie. Rachelle était peu grande et blonde. Elle avait des yeux étincelants, de longs cheveux noirs d’une ravissante obscurité. Elle était une fille très charmante, à la manière de quelques femmes hindoues, avenante, brillante et pleine de projets. Elle rencontra, quelque part sur son chemin, un jeune fermier du nom de Sharles, un homme sage et héroïque, aux suaves mœurs et d’une réputation honorable et digne d’un fils de roi. Ce gentilhomme était très beau, bien vêtu, d’un teint brun avec une tête bien faite. Et, un jour qu’il revenait de sa ferme, il aperçut de loin trois hommes aux allures robustes qui étaient sur le point d’assaillir une jeune fille parmi une compagnie de lycéennes. Rachelle était cette fille, huit ans moins âgée que ce fils de roi. Connaissant très parfaitement la vie de ces gens repus de ruses, qui ont coutume d’attaquer, piller, violer, tuer les adolescentes qui résistent, il sentit le danger qu’elle courait. Il accourut diligemment pour intervenir contre ces hommes, à l’effet de les mettre hors d’état de nuire. Cet acte ayant tant impressionné cette compagnie de filles laissa la jeune Rachelle tout admirative, à tel point qu’elle dut courir à toutes jambes comme une jeune gazelle informer ses parents. Cette bravoure de Sharles faisait la une des discours...
Le père qui apprit que le héros de sa fille est fils de son ami le roi Hassane Boigny, qui machinait déjà ce qu’il ferait d’inouï pour exprimer sa reconnaissance, réunit sa femme et sa fille pour leur faire connaître ses intentions. En des termes posés et même fort pesés, il dit : « Ecoute ma très chère fille : jamais je n’ai entendu dire qu’on refuse le bonheur qui sonne à notre demeure, surtout quand nous sentons passer la fleur de l’âge. Ce bonhomme qui t’a à peine sauvé la vie, est peut-être celui qu’il te faut pour aisément vivre dans ce monde plus ou moins cruel, un monde qui devient même de plus en plus pervers. Tu sais ? Ta mère et moi sommes presque déjà dans le dernier âge de la vie. Sache que nous sommes fiers de toi, pour ce que tu mènes jusqu’à cet âge une vie chaste et louable en vue de l’idéal pour lequel tu répugnes tout repos. C’est vrai : suivant nos us et coutumes que nous tenons tant en respect, il te reste encore une année pour avoir légitimement le droit de convoler avec l’homme à qui il te conviendrait volontiers d’offrir tes bonnes grâces. Mais réalisant la bravoure de cet homme qui t’a épargnée d’un mal certain, je voudrais en toute bonne foi, sous réserve de l’avis de ta mère, que tu acceptes librement d’être la reconnaissance que nous souhaitons lui témoigner. » La mère qui perçut très vite le sens de ce discours qu’elle discernait très avisé, ne perdra pas une minute pour dire son assentiment en exhortant Rachelle à se plier aux intentions de son père. À quoi Rachelle, amoureuse, répondit d’un air fort enthousiaste : « Mère, que puis-je dire qui puisse aller contre la volonté de mon père ! À vrai dire, j’aime éperdument ce bonhomme gentilhomme bien que je ne l’aie jamais vu réagir. Je pense qu’il devrait être le genre d’homme qui convienne beaucoup à mon âme. D’ailleurs ne dit-on pas que l’homme et la femme se rencontrent en temps voulu ? Mais si, à cause de notre modeste condition, il lui arrivait de refuser une telle reconnaissance de notre part, je conclurais que la Providence me réserve sûrement une destinée bien meilleure que ce que nous pourrions espérer à présent. »
Le lendemain matin, ils allèrent chez le roi pour remercier Sharles qui ne s’attendait pas à quelque matinale surprise. Ils y furent dignement reçus, et le récit fort agréable de Rachelle à propos de l’incident pour quoi ses parents firent cette visite inédite, attira beaucoup l’attention du roi qui non seulement admirait la beauté à nulle autre pareille de la fille, mais aussi voyait en elle celle qui fût digne d’être la future reine consort de son fils bien aimé. Quant à ce dernier, séduit si j’ose dire par la physionomie éloquente de la jeune fille, il voyait en Rachelle s’exprimer l’âme de sa belle dulcinée. (...) Le père de Rachelle lui remet alors une lettre romancée, bien écrite, machinée. Une promesse de mariage. Quelle gratitude inouïe ! À la découverte de son contenu le bonhomme fut particulièrement entiché, enfiévré comme un jeune lion famélique qui scrute sa proie. Regardant tendrement cette beauté rutilante qu’incarnait Rachelle, il dit d’un air heureux : « Mais qui serait ce sot qui refuserait qu’on lui fasse une telle générosité !» Il avisa toutefois son père, Sa Majesté Hassane Boigny qui ne balbutia point pour donner son accord si cher. La prodigieuse promesse fut acceptée et par tous louée. On se préparait pour le mariage. Le bonhomme alla donc en voyage. Il entama les préparatifs pour la célébration des noces. Quelqu’un aurait dit naïvement : quelle belle histoire d’amour ! La nouvelle se répandit aussitôt dans toute la contrée et tous parlaient assez plaisamment de ce futur couple royal. Mais voici, assez curieusement quelques jours plus tard, il survint une aventure douloureuse qui les anéantira à jamais, une aventure qui leur fera vivre presqu’un éternel calvaire...
En effet, comme s’il fut dans la geôle des éternelles créatures aux cœurs endurcis, un homme qu’on surnommait Srantê à cause de ses attitudes empreintes de criminalité, était fort jaloux de son frère jumeau, Sharles, parce que celui-ci était beaucoup plus sage et aimé de leur père. Ce fut à Sharles en fait qu’était destiné le trône royal si, éventuellement, le roi venait à passer l’arme à gauche. Alors il détesta son frère. Il détesta son père. Il quitta sa famille. Il avait à peine sept ans. Et dix-huit ans plus tard, comme si le destin avait tout planifié, il apprit que son frère se marierait. Il décida de tout ruiner en songeant à lui causer le pis des déshonneurs qu’abhorre leur communauté. À l’époque, c’était chose répugnante que d’épouser une fille nubile qui venait à être déflorée. Cela était considéré comme une honte, surtout pour les parents qui risquaient parfois d’être accusés de parents n’ayant aucune autorité, certains allant même jusqu’à vouloir oser leur dénier la dignité. Et Srantê qui donnait l’air d’être un invétéré, préméditait cet acte éhonté comme s’il n’avait aucune dignité. La haine peut-elle soigner ? Délinquant cynique et rusé comme le diable, il s’enquit très vite de Rachelle par le biais de ses semblables, des fauteurs de troubles.
La nuit, alors qu’elle dormait, Srantê s’étant voilé d’une cagoule pour n’être reconnu par sa victime ou par quiconque l’apercevrait, pénétra l’enceinte de la chambre en forçant expertement la fenêtre. Il réussit à éclairer légèrement l’intérieur de la pièce par un moyen que l’on ne sut jamais. Sauf ceux qui n’avaient l’air que trop curieux, et qui n’avaient senti aucune vergogne à s’enquérir de cette triste histoire. Aurais-je d’ailleurs assez d’audace pour jusqu’au bout la conter ? Ils disaient que Srantê se mit délicatement à découvrir le corps de l’adolescente tout en tirant prudemment cette baguette charnelle. Et cette innocente jeune fille qui était de nature très sensible à tout contact extérieur, ouvrit promptement ses yeux qui découvrirent ce membre viril. Y en eût-il quelque chose de plus affreux pour Rachelle ? Elle n’eut pas le temps de s’écrier que ce fougueux l’assomma d’une inédite paire de gifles qui lui firent perdre toute sa lucidité, à tel point qu’elle ne pût crier à la rescousse. Et, troublée par un tel traumatisme, elle ne put faire aucun geste à l’effet de réagir ni même de fuir. Elle était comme sidérée. Srantê en profita pour la rendre complètement immobile. Et bien qu’ayant les yeux grands ouverts, hélas... elle ne pouvait rien faire que subir. Il se mit alors à l’introduire pour assouvir son dessein. Quel impudent de Srantê ! La pauvre, quel malheur t’est-il arrivée ?! La Providence t’aurait-elle oubliée ? Mais, Dieu peut-il oublier l’âme d’un quelconque des siens qui peine ? Après que Srantê eut atteint son orgasme, Rachelle sortit de sa sidération avec des cris d’effroi et démasqua, assez prestement, cet invétéré qui prit aussitôt la fuite par l’endroit d’où il fit son entrée. Rachelle, péniblement déflorée, toute confuse, pleurait à chaudes larmes. Ses sanglots d’épouvante alertèrent ses parents qui, réveillés et pris de peur, coururent à toutes jambes s’enquérir de cette cause qui causait ces cris. Ils la trouvèrent dans un état excessivement lamentable, déplaisant, triste. Et tous deux, paniqués, ils se mirent à interroger leur fille Rachelle toute en pleur qui leur raconta exactement mais non sans aucune honte ce qu’elle vécut de cruelle. À cause de la ressemblance de visage qu’elle put constater pour l’avoir démasqué, elle leur dira que son agresseur est bel et bien celui à qui l’on venait de faire la prodigieuse promesse. À l’entendre s’exprimer ainsi, ils furent tous deux surpris ; parce que ne pouvant croire ou admettre qu’un aussi généreux homme qui lui sauva la vie en vînt à vouloir nuire à sa réputation. Sa mère, qui savait que ce dernier n’était encore pas rentré de son voyage, se mit à épiloguer aux seules fins de persuader et convaincre sa fille de délires pour aboutir à l’idée de l’inutilité de toute dénonciation. Elle prétendait en fait qu’il leur serait difficile, peut-être impossible d’identifier l’auteur. Pour l’honneur de leur fille et partant de la famille, nul n’apprit cet incident pas même le roi.
Secrètement ses parents la firent soigner, tout en gardant le secret à propos de cet incident, par crainte d’irriter la colère de leur communauté qui ne tolère jamais tel déshonneur. Et malheureusement, voici que quelques semaines plus tard Rachelle présentait des symptômes qui, d’après des analyses médicales, prouvèrent admirablement un état de grossesse. Quelle guigne pour cette fille ! Ses parents, tout surpris, étaient dans un imbroglio total. Ils se demandaient ce qu’il fallait faire, surtout qu’ils ont toujours eu l’avortement en horreur. Nonobstant leur si louable sagesse, ils demeurèrent tous perplexes. Qu’elle est donc si limitée la sagesse humaine ! Ceux qui se rendaient compte de l’état de la fille à cause des symptômes, notamment les vomissements assez fréquents, de même que le changement assez brusque de sa physionomie habituelle, se demandaient comment était-il possible qu’une si jeune fille advînt à présenter ces caractères. Et ces indices étant signes certains qu’elle fût enceinte, que d’hypothèses faisaient la une des discours à tous les coins de rue ! Certains disaient : « Aurait-elle été victime d’un viol ? » Et d’autres : « Aurait-elle fait preuve d’infidélité en violation de la promesse faite au bien aimé de Sa Majesté ? » De ces hypothèses-ci, le déshonneur n’était-il pas inévitable, surtout que le bouche à oreille faisait l’honneur et même la gloire des commères ? D’ailleurs ils feront très vite le rapport au roi, qui fit aussitôt appel à son fils pour qu’il vînt tout clarifier. Il se disait en lui-même : « peut-être mon fils aurait-il eu l’impudence de commettre ce péché qui égard l’âme des jeunes aux yeux curieux. »
Au lendemain de son retour, le bonhomme qui – ayant ouï parler de cet événement d’une façon assez déshonorante – voyait l’avortement du projet de mariage se profiler, convoqua une grande assemblée dans le dessein de mettre fin aux rumeurs dont il eut vent. A l’attention de tous, il se mit à mettre Rachelle sur la sellette pour qu’elle décrivît comment il advint qu’elle tomba enceinte, alors qu’on la lui avait promise en mariage. Rachelle prit la parole en présence de tous pour décrire la cruauté qu’elle vécut. Quelques femmes pouvaient à peine tenir leur calme, les hommes leur sérieux... La jeune fille eut beau expliquer cette aventure douloureuse, honteuse en la racontant d’une manière assez détaillée pour qu’elle fût crue, on ne la crut point. Elle ne fut pas crue. Ni par le roi qui accusait ses parents d’avoir souillé son honneur. Ni par la communauté qui, sans répit, clamait son bannissement. Le bonhomme qui convoqua cette assemblée, ayant réussi, un tant soit peu, à apaiser cette clameur publique, dit avec un air larmoyant : « Mon âme est triste : l’âme toute faite pour m’aimer, c’est celle que l’on vient de briser... » Les murmures reprirent aussitôt et l’on pouvait entendre : « Mais, quel homme est cela ! A-t-il oublié la loi qui punit quiconque se rend indigne de nos valeurs ? – Mais, répliqua-t-il, êtes-vous sans sens pour oser jusqu’à blâmer une innocente ? Pourquoi ne pas rechercher les véritables fauteurs de troubles et de tout ce qui crée nos malheurs pour les arrêter, les poursuivre, les juger, les punir en les faisant périr dans la geôle tout faite pour eux plutôt que s’en prendre aux pauvres victimes ? Cette fille, n’a-t-elle vraiment pas été violée ? Pourquoi une telle insouciance ! Vous n’êtes quand-même pas des bêtes sauvages ! Quand comprendrions-nous que la haine a toujours été à l’origine de nos misères ? [...] » Il ne finira ce plaidoyer qu’un homme l’assomma d’un violent coup de fer... et quel silence il y eut ! Rachelle qui se jetta sur son époux de rêve, du sang qui jaillissait de sa nuque, des larmes qui tombaient à verse ; Sharles était au sol. Plus de souffle. Plus rien.