Et pourtant... !

Toute histoire commence un jour, quelque part, la mienne est plus qu'une histoire. C'est une vie. J'avais dix-neuf ans et je me voyais déjà dans cinq ans journaliste professionnelle, correspondante de RFI au Bénin. Je suis Sonia BERIANE élève en classe de terminale série A au CEG 1 de Djougou. Je suis l’aînée d'une fratrie composée d'un petit frère et de deux petites sœurs. Cela faisait trois ans que maman a quitté Papa. Elle est partie avec la benjamine. Nous étions à six mois du baccalauréat. Il fallait que je constitue le dossier pour le remettre au censeur du collège et cela commence par la légalisation de mon acte de naissance. J’ai rangé l'original dans mon livre Discours de la méthode de René Descartes. C'était mon prix l'an dernier au concours de ''Dictée sans faute''. J'ai été sacrée première devant ma plus grande concurrente de tous les temps. Oh ! Celle-là, jusqu'aujourd'hui je ne l'aime pas.
Je me préparais pour me rendre à la mairie quand je constate l'absence de mon acte de naissance. C'est à ce moment que tout a commencé. Je n'ai pas pu le perdre, me disais-je. Quelqu'un l'a surement ramassé ou l'ai-je oublié à la maison ? Parlant justement de maison, je vivais avec mon petit frère, ma petite sœur et mon père dans une cafétéria construite en bambou recouverte de tôles ondulées. Elle n'a ni portes ni fenêtres. L’entrée principale n’était sécurisée que par une barrière de fortune fabriquée par mon père qui est menuisier. Pour certains, c'est un taudis. Mais nous y vivions fièrement.
Arrivée à la maison, j'ai cherché mon acte de naissance, j'ai tout fouillé, mais rien. Je l’ai peut-être égaré en classe. Le soir, après le cours je m'approche de mon professeur de Mathématiques, M. Matina, pour lui expliquer la situation, il demande à toute la classe:
- Sonia a perdu son acte de naissance quelqu'un l'a-t-il vu?
Mon cœur battait la chamade, j'espérais de toute mon âme que quelqu'un dise oui et me le rende. Mais la classe répond en chœur:
- NON
Qu’allais-je dire à mon père? Lui qui me battait à la moindre erreur ! Je suffoquais et pour la première fois de toute ma vie, je me suis évanouie.
Je me suis réveillée à l'infirmerie du collège en demandant à l'homme en blouse bleu:
- Que s'est-il passé?
- Tu t'es évanouie en classe. Cela doit être l'effet de la fatigue me répondit-il calmement.
Il n’a rien compris, me dis je intérieurement. Craignant la vive réaction de mon père, je renonce à prendre le chemin de la maison. Je retournai alors en classe et l'un de mes camarades me regarde tout en souriant. Il m'a l'air suspect du coup. Après le cours, je rentre et tout doucement je m’approchai de papa qui était au comptoir:
- Bonsoir papa, lançai-je d’une voix tremblante
- Bonne arrivée. Comment a été les cours aujourd'hui me demanda-t-il avant d’ajouter avec autorité. Que se passe-t-il? Il me regardait droit dans les yeux comme s'il attendait un mensonge de ma part. Je baissai aussitôt les yeux en murmurant:
- Papa, j'ai fait une bêtise...
Il me braquait toujours du regard et je continuai:
- J'ai perdu mon acte de naissance ce matin à l'école. Je crois que quelqu'un me l’a dérobé.
Contrairement à ce que je pensais, sa réaction était plutôt douce.
- Que vas-tu faire à présent? Tu ne pourras pas passer ton BAC? m'interrogea t il.
- Je ne sais vraiment pas. Mais je pense faire le duplicata de mon acte de naissance! affirmai-je avec une lueur d'espoir.
Deux jours plus tard, j'étais à la mairie pour des renseignements à ce propos. Et j’appris que le livre d'enregistrement, le mien, celui qui contenait ma souche et qui pouvait me sortir d'affaire avait disparu. Oh mon Dieu! Que vais-je devenir? Moi qui espérais avoir ce BAC pour quitter Djougou et vivre en paix! Je suis allée à l'école ce jour comme si de rien n'était. Mais la tristesse se lisait sur mon visage. M'PO un ami de la terminale A2 s'approcha de moi:
- Qu'as-tu Sonia? me demanda-t-il.
Les larmes aux yeux je lui expliquai ma situation. C'est presqu'en rigolant qu'il me répond:
- Ce n'est pas encore la fin du monde. Tu peux demander au tribunal de te délivrer un jugement supplétif.
- Vraiment! Demandai-je avec un sourire d'espoir.
Il m'expliqua le processus et puis je le quittai rapidement pour aller rédiger ma demande adressée au président du tribunal. Quand je fus à la maison, j'informai papa. Nous prîmes ensemble les dispositions. A présent, il fallait prier pour que l’acte sorte avant la clôture du dépôt des dossiers. Une semaine passa j'étais impatiente. Deux mois passèrent et toujours rien, aucune nouvelle de mon jugement supplétif. Un jour alors que je revenais des cours, papa me raconta qu'il y a un fonctionnaire du tribunal qui est passé prendre le petit déjeuner à notre cafétéria;
- Je lui ai parlé de toi et de tes prouesses à l'école. Il a promis t'aider; m’informa t il.
Une semaine après cette annonce, mon jugement supplétif était établi. Je pouvais à présent passer à la seconde étape, celle de la carte d'identité. J'étais loin d'imaginer ce qui m'attendait. Entre temps, avec tous ces remous, je n'ai pas pu me concentrer comme je le désirais sur mes cours. Et à présent, je suis confiante quant à la suite. Désormais tout ira mieux.
C'était un lundi matin, comme je les aime, pas trop ensoleillé mais lumineux avec cette température tempérée. Je pressai le pas pour me rendre à la mairie quelques jours après le dépôt du dossier. Maintenant, ma carte d'identité devrait être prête. Je saluai l'agent d'Etat civil et lui fis part de ma préoccupation.
- Fouille dans ces lots de cartes. Si tu ne trouves pas la tienne alors vérifie les dossiers rejetés. répondit-il. Je commençai par chercher mon nom. Deux, quatre...vingt cartes et mon nom n'y était pas. Était-ce possible que mon dossier soit rejeté? Les mains tremblantes, je pris l’autre pile de dossier. Eh oui! Mon dossier est rejeté. C'est mon dossier qu'on trouvait en premier. Décidément tout était contre moi. Que vais-je devenir si je ne passe pas ce BAC? Oh Seigneur aides moi car je m'abandonnerai pas. Je veux passer et réussir ce Baccalauréat quoiqu'il m'en coûte murmurai je en me dirigeant vers le portail.
J'ai passé des journées entières à réfléchir. L'examen est prévu pour Juin et nous étions en Mars. Je n'ai toujours pas ma carte d'identité. Un matin, alors que je discutai avec M'PO de ma situation, il me proposa d'aller à Parakou, une ville voisine, pour établir ma carte d'identité en tant que ménagère. L'idée me parue saugrenue mais avais je le choix? J'en parlai à mon père qui promit me trouver l'argent, de quoi me déplacer, me nourrir et les frais de dossiers. Je devais choisir une date. Après quelques jours, je fis savoir à Papa que j'étais prête à partir dès le début des congés de pâques. Et là, il répliqua qu'il n'avait pas encore d'argent. Au fond de moi, je m'y attendais un peu. Je savais qu'il n’aurait pas les moyens. Je réfléchis rapidement à qui pourrait m'aider? J'eus l'idée d'aller voir une religieuse. Après qu'elle m'eut écouté, elle me donna vingt mille francs CFA. Je repartis très contente. Je vins trouver papa à la cafétéria et lui annonçai la bonne nouvelle. Il prit les vingt mille francs et promit que je partirai le plus tôt. La date retenue arriva et je lui demandai:
-Papa, que dis-tu par rapport à mon départ sur Parakou?
- Euh...J'oubliais. J'ai trouvé un moyen d'avoir ta carte en étant à Djougou. me répondit-il.
J'étais un peu surprise et inquiète.
Des jours passèrent et je n'eus aucune nouvelle de ma carte d'identité. Je compris qu'il fallait me battre pour passer cet examen universitaire. Un jour profitant de son absence, je fis une fugue. Je vis Line, une amie avec laquelle j'avais fait la quatrième. Elle vivait à Parakou. Elle proposa de m'héberger mais il me fallait trouver l'argent du voyage. Ayodelé est une très bonne amie. Elle connaissait mon histoire. Lorsque je lui fis part de mon projet d'aller à Parakou, elle me remit cinq milles francs. J'étais heureuse et confiante pour mon avenir.
A Parakou, je travaillerai dans un bar en tant que serveuse pour un mois. Un mois suffirait pour me faire établir ma carte d'identité. Le lendemain de notre arrivée, Line me trouva un bar dans lequel je commençai par travailler. Je serai payée vingt mille francs le mois. Et en cas de perte, je devais rembourser. Tout allait bien la première semaine. Mais un jour un client me lança:
-N'es-tu pas trop petite pour travailler dans un bar?
La question me choqua. Il faut reconnaître que malgré mes dix-neuf ans j'étais de petite corpulence. Je répondis sans tact:
-J'ai dix-neuf ans et suis en classe de terminale. Si je suis ici c'est parce que je n'ai pas les moyens de me faire une carte d'identité pour passer le BAC.
Il était époustouflé. Il me répondit gentiment
-Toutes mes excuses.
Je repartis vers l'antichambre du bar où était ma place. J'en ruminais cela encore lorsque dans la soirée, un autre client arriva. Quand j'arrivai à sa hauteur pour prendre sa commande, il voulut me tapoter les fesses. Je rattrapai sa main avant qu'il l'eut fait. Malgré ma colère, je lui présentai mes excuses :
-Monsieur, ce n'est pas bien de tapoter les fesses d'une serveuse avec qui vous ne sortez pas. Ce sont des gestes pareils qui font que ce métier est minimisé dis je. Je continuai dans la langue locale Dendi en disant: vous ne savez pas ce qui m'a amené à faire ce travail. Mais je ne suis pas une prostituée.
Il resta sans voix quelques secondes avant de présenter ses excuses. Je lui servis sa bière et puis continuai mon travail. Quand il voulut partir, il me laissa un bon pourboire. Des jours passèrent, j’étais toujours égale à moi même dans cet environnement.
Un jour, mon petit ami passa me voir au bar. Je lui demandai de l'aide pour ma carte d'identité. Il me fit comprendre ceci
-Je veux bien t'aider mais je n'en ai pas les moyens. Ce sont mes parents qui me donnent de l'argent de poche. Si j'avais l'argent de ma bourse, j'aurais pu faire quelque chose. Mais là, je l'ai déjà remis à maman.
A cet instant précis, je su que mon petit ami était un fils à maman et même mentalement il ne peut me soutenir. J'étais dégoûtée de voir qu'il n'allait pas prendre les devants. Léon et moi on se voyait rarement. Mais c'est à présent que la distance s'installait entre nous.
A côté de mon lieu de travail se trouvait un collège. Je voyais défiler les élèves et cela me rappelait ma situation. Plusieurs fois, j'ai pleuré car mon école, mes amis, mes enseignants et ma famille me manquaient. J'étais entrain de couler des larmes un après midi, lorsque M'PO m'appela
-Salut Sonia! Il y a eu les calculs de moyenne du premier semestre m'annonça t il
- Oui répondis je
- Tu es la première de ta classe murmura t il
Je ne m’en revenais pas. J'avais raté des interrogations et pourtant j'étais la première de ma classe. Cela me galvanisa davantage dans ma bataille. Je pensais aux voies et moyens pour établir ma carte d'identité pour afin de rentrer et reprendre les cours.
Un soir alors que je n'étais pas de service, ma colloque était sortie après avoir prit soin de fermer la porte de notre chambre, tardait à revenir. Un de nos voisins était assis sur la véranda. Il suivait la série "HAWAÏ"et m'invita à la suivre avec lui. Ce que je fis. A une heure du matin, alors que ma colloque ne rentrait toujours pas il lança :
- Il y a pleins de moustiques ici. Je veux aller en chambre. Si tu veux, tu peux entrer aussi.
Cela ne me dérangea pas. Il était célibataire et il me plaisait bien. J'acceptai son offre et entrai dans sa chambre. Nous nous posâmes sur son lit sous la moustiquaire. Nous suivîmes la série jusqu'à trois heures du matin. Il faisait tellement frais en ce moment, que nos corps se sont rapprochés inconsciemment l’un de l’autre. Doucement, sa main se posa sur ma cuisse et nous commençâmes par nous embrasser sans rien nous dire. Seul notre désir comptait à cet instant. Nous fîmes l'amour tout en nous protégeant. Nous nous sommes endormis juste après nos jouissances. Je n'avais jamais ressenti ça même avec mon petit ami qui m'avait défloré. Nous nous quittâmes au petit matin sans un mot. Line était rentrée un peu plus tôt dans la matinée. J'allais au boulot ce matin-là. Je ne savais pas que c'était un grand tournant dans ce que j'étais venue chercher à Parakou: ma carte d'identité.
Quelques jours après cette nouvelle relation, Jean, c'était son prénom, me convia dans sa chambre. Nous échangeâmes sur ma vie et tout. Il prit l'engagement de m'aider. Il me remit l'argent pour réunir les dossiers. Ce que je fis. Il m'accompagna ensuite à la préfecture. On y prit mes mensurations et mes empruntes. Tout était prêt. Je devrais avoir ma carte d'identité dans les jours qui viennent.
Des jours passèrent et mon travail prit fin au bar. Je pris comme salaire dix milles francs cfa car j'avais emprunté cinq milles francs et avais eu comme manquant cinq milles francs. Jean me proposa de rentrer à Djougou pour reprendre mes cours.
- Dès que la carte d'identité sort, je te l'envoie par taxi a-t-il ajouté.
J’acceptai et pris départ le lendemain très tôt pour Djougou. Arrivée dans ma ville natale, je ne pouvais plus retourner chez mon père. Je me dirigeai vers ma meilleure amie, Miriam, qui accepta de m'héberger pour un moment. Elle vivait avec sa mère. Une semaine plus tard, je trouvai une chambre à louer, deux milles francs le mois. Je pris la chambre avec l'aide d'un ami à mon père. Parmi mes collègues de classes, certains me donnèrent des habits, des céréales, pâtes alimentaires et ustensiles de cuisines. Miriam me trouva une robe kaki. Je repris donc les cours sans tarder.
Pendant que je me débattais à Parakou, il y a eu des interrogations et devoirs du second semestre. Je ne pouvais plus les reprendre. Par contre tous mes enseignants connaissaient mon parcours. Ils avaient décidé de ne pas m'en tenir rigueur. Tout se déroulait bien et même si j'avais quelque fois des difficultés à me nourrir, je tenais bon.
Un mois après mon retour, Jean m’appela pour m’informer de ce que ma carte était prête. Enfin, je pouvais me concentrer sur mes cours pour l'examen. A la fin de l'année, j'occupai la troisième place pour le compte du second semestre et deuxième de la classe pour le compte de l'année. Alors que j'étais déçue, tout le monde m'encourageais. J'espérais quant à moi mieux faire au BAC.
Je passai mon baccalauréat et c'est le professeur Matina qui m'annonça mon résultat. J’étais admise au Bac pour le compte du premier tour. J'étais fière de moi mais je pensais tout de même au lendemain. Quelle sera mon expérience à l'Université ? Et ça c'est une nouvelle histoire.