Pour une fois, Asha portait bien son nom. Alors que dans toute l’île aux belles eaux, la bien-nommée Guadeloupe, beaucoup de ses amies portaient des prénoms historiques comme Victor ou Louise, elle avait hérité de ce prénom indien, un peu à cause de son père et beaucoup grâce à sa grand-mère. Lui voulait la baptiser Espoir car il désespérait d’avoir une fille après la naissance de trois garçons ! Mais sa propre mère lui avait soufflé d’adoucir son choix pour l’avenir de la petite, en choisissant sa version indienne, liée à leurs origines.
Et aujourd’hui, Asha était pleine d’espoir pour cette course. Elle détestait courir après le bus scolaire, mais elle avait enfin trouvé une cause pour se dépasser. Le traditionnel Volcano Trail associé à l’opération «Octobre Rose» serait l’occasion cette année d’affronter l’escalade de La Soufrière, pour accompagner celles qui souffrent justement.
Le célèbre volcan dominait les petites Antilles du haut de ses presque mille cinq cent mètres. Par beau temps, son pic offrait une vue splendide sur les îles voisines. D’abord la Dominique, parfois Les Saintes, ces îlets jumeaux de l’archipel réputés pour sa population métissée, tous descendant de bretons ou normands, et Ses nombreux iguanes. Les plus chanceux devineraient au loin Marie-Galante et Montserrat, mais peu d’élus avaient droit au spectacle. Si les guides touristiques promettaient trois cents jours de soleil par an, l’ascension du volcan annonçait autant de journées de pluie... Même durant la saison sèche, il serait difficile de passer au travers des gouttes ! Sans compter l’odeur de souffre, imposant le port d’un masque à l’approche du sommet. Tandis que de superbes plages de sable noir ou blanc selon le côté de l’île, étaient fréquentées par une flopée de touristes nonchalants brulant au soleil ou de rares pêcheurs, certains téméraires se lançaient à l’assaut de la montagne, et rares étaient ceux qui arrivaient au bout.
Asha croyait à une force divine. Elle s’était persuadée que de bienveillants ancêtres l’aideraient devant la noble cause soutenue dans cette course. Un pouvoir magique porterait ses pas tout là-haut. Elle avait entendu tant d’histoires, faite de «croyances incroyables» depuis son enfance, qu’elle en avait forgé une religion. De son hamac situé sur les terrasses de Malendure, elle pouvait admirer le coucher de soleil dans la mer des Caraïbes. À la veille du départ, elle ne put s’empêcher d’y voir un signe : si l’astre ne disparait pas sous les nuages, j’atteindrai la ligne d’arrivée... Et son sourire s’élargit devant le rayon vert se déployant à l’horizon, quand le soleil plongea dans l’eau azurée, au-delà du lagon.
Dès quatre heures du matin, tous les acteurs de l’événement étaient en faction. Les athlètes individuels et leurs sponsors bien sûr, mais aussi les équipes amateures constituées d’amis se soutenant pour l’occasion, ou d’athlètes aguerris à l’exercice. Et comme toujours lors d’événements sportifs, une foules de bénévoles dévoués, attentifs au bien-être de chaque participant. Asha pouvait compter sur sa classe pour la soutenir, ainsi que ses frères aînés, et son père en tête, si fier. Après une remise de dossards sur le parking des Bains Jaunes, une forêt de jambes s’activa pour un échauffement collectif.
La course démarra à six heures tapantes en attaquant le Sentier du Roy menant au Belvédère. Certains s’élançaient à fond, d’autres plus modestement en s’économisant, malgré les cris d’encouragement du public resté sur le plateau. Asha soupçonna les premiers de vouloir battre leur propre record chronométré, et les suivants de viser seulement la ligne d’arrivée. Elle faisait partie de ceux-là. Son objectif pouvait sembler facile, il représentait pourtant trois heures de grimpe sévère, dans une ambiance humide de température tropicale, passant de trente degrés étouffant au départ, à quatre petits degrés dans les brumes de l’arrivée chargée des vapeurs de souffre...
Dès le début, elle sentit ses tempes battre la chamade, et rapidement ses genoux s’abimèrent dans les feuillages de la forêt tropicale. Elle regrettait l’absence d’alizés, lesquels stoppaient leur douce brise sur la côte. Après la Savane aux Mulets, le dénivelé devint chaotique et elle manqua de trébucher plusieurs fois. Malgré tout, elle s’accrochait. L’envie de ne pas décevoir ses supporters, l’espoir de se dépasser, et surtout la motivation de servir une cause solidaire lui donnait le courage de continuer. Elle s’enivrait des orchidées sauvages ornant le chemin, ces tâches rouges et jaunes lui servant de balises dans les moments d’épuisement... Courir jusqu’à celle-ci, tenir jusque celle-là ! Plus loin, les mêmes couleurs étaient portées par des «ananas pays», bien plus gros que ceux vendus au marché. Elle les comptait comme autant d’étapes franchies pour rythmer sa progression.
Quand la végétation laissa place aux mousses volcaniques, elle sut que le sommet était proche, et elle enfila le masque fourni. L’odeur caractéristique d’oeuf pourri du souffre lui donnait la nausée, et devenait difficile à soutenir entre deux respirations hachées. D’un seul coup, elle entra dans un brouillard épais, se transformant rapidement en nuage chargé d’humidité tiède... Et tout de suite après, une pluie violente la rinça, avec le double intérêt de la rafraîchir et d’éteindre l’odeur oppressante des fumerolles. Mais ses jambes ne la portaient plus, tout son corps était épuisé par l’effort fourni en altitude et le manque d’oxygène.
Alors Asha perdit courage. Pour la première fois depuis son départ deux heures plus tôt, elle douta. Que faisait-elle là... Il n’y avait rien à gagner dans ce challenge, à part quelques blessures ! Perdue dans ses sombres pensées, elle entendit soudain un coup de tonnerre terrifiant, semblant venir de terre et non du ciel, ses pieds en avaient tremblé. La Soufrière se réveillerait-elle, après quatre décennies de sommeil ? La peur lui donnant une nouvelle énergie, elle aussi endormie au fond de ses muscles, elle détala de plus belle en allongeant le pas, sa tête oubliant son épuisement physique. Elle réussit alors à sortir un instant du nuage pluvieux. Aussitôt, la vue dégagée lui offrit un spectacle époustouflant sur la forêt si verte, presque fluorescente, plongeant dans l’océan si bleu comme s’il était rempli d’émeraudes, lui-même se perdant dans un ciel exempte des nuages de la vallée, d’un bleu encore plus insolent.
C’est alors qu’elle comprit. Pourquoi elle était venue jusqu’ici, sans motivation de gloire ni d’enjeu financier. La chance d’avoir un corps sain, entier, la capacité de pouvoir se retrouver ici, sur cette route difficile d’accès, d’affronter sa montée épuisante... Elle devait endurer toutes les difficultés physiques, y arriver pour toutes celles restées en bas, clouées par leur maladie et parfois dans leur fauteuil. Elle était leur espoir, elle ne pouvait pas abandonner. Mouiller le maillot, oui, mais pour les autres ! Porter haut leurs envies, prendre des photos avec ses yeux pour leur raconter avec sa propre émotion, et les faire sourire ou rêver. Voilà ce qui portait chacun de ses pas, elle et surement d’autres concurrents. Peu importait de gagner, l’important était d’être là, au sommet de l’effort, pour les autres.
Sur la photo officielle de l’arrivée, l’on apercevait Asha, hors d’haleine parmi les derniers arrivés. Malgré la douleur, elle affichait des yeux rêveurs et un sourire radieux. En revanche, le cliché ne pouvait montrer l’immense satisfaction envahissant son corps autant qu’elle réchauffait son âme. Son mental avait dépassé ses limites physiques. En affrontant ses démons, et elle avait réussi à terminer la course. Dans le fond se dit-elle, corps et âme ne font qu’un pour atteindre un objectif. Son corps se souviendrait quelques temps de l’effort, mais sa tête garderait longtemps en mémoire les merveilles de la nature dont elle avait été témoin. L’île aux papillons faisait papillonner son coeur rempli d’espoir...
Et aujourd’hui, Asha était pleine d’espoir pour cette course. Elle détestait courir après le bus scolaire, mais elle avait enfin trouvé une cause pour se dépasser. Le traditionnel Volcano Trail associé à l’opération «Octobre Rose» serait l’occasion cette année d’affronter l’escalade de La Soufrière, pour accompagner celles qui souffrent justement.
Le célèbre volcan dominait les petites Antilles du haut de ses presque mille cinq cent mètres. Par beau temps, son pic offrait une vue splendide sur les îles voisines. D’abord la Dominique, parfois Les Saintes, ces îlets jumeaux de l’archipel réputés pour sa population métissée, tous descendant de bretons ou normands, et Ses nombreux iguanes. Les plus chanceux devineraient au loin Marie-Galante et Montserrat, mais peu d’élus avaient droit au spectacle. Si les guides touristiques promettaient trois cents jours de soleil par an, l’ascension du volcan annonçait autant de journées de pluie... Même durant la saison sèche, il serait difficile de passer au travers des gouttes ! Sans compter l’odeur de souffre, imposant le port d’un masque à l’approche du sommet. Tandis que de superbes plages de sable noir ou blanc selon le côté de l’île, étaient fréquentées par une flopée de touristes nonchalants brulant au soleil ou de rares pêcheurs, certains téméraires se lançaient à l’assaut de la montagne, et rares étaient ceux qui arrivaient au bout.
Asha croyait à une force divine. Elle s’était persuadée que de bienveillants ancêtres l’aideraient devant la noble cause soutenue dans cette course. Un pouvoir magique porterait ses pas tout là-haut. Elle avait entendu tant d’histoires, faite de «croyances incroyables» depuis son enfance, qu’elle en avait forgé une religion. De son hamac situé sur les terrasses de Malendure, elle pouvait admirer le coucher de soleil dans la mer des Caraïbes. À la veille du départ, elle ne put s’empêcher d’y voir un signe : si l’astre ne disparait pas sous les nuages, j’atteindrai la ligne d’arrivée... Et son sourire s’élargit devant le rayon vert se déployant à l’horizon, quand le soleil plongea dans l’eau azurée, au-delà du lagon.
Dès quatre heures du matin, tous les acteurs de l’événement étaient en faction. Les athlètes individuels et leurs sponsors bien sûr, mais aussi les équipes amateures constituées d’amis se soutenant pour l’occasion, ou d’athlètes aguerris à l’exercice. Et comme toujours lors d’événements sportifs, une foules de bénévoles dévoués, attentifs au bien-être de chaque participant. Asha pouvait compter sur sa classe pour la soutenir, ainsi que ses frères aînés, et son père en tête, si fier. Après une remise de dossards sur le parking des Bains Jaunes, une forêt de jambes s’activa pour un échauffement collectif.
La course démarra à six heures tapantes en attaquant le Sentier du Roy menant au Belvédère. Certains s’élançaient à fond, d’autres plus modestement en s’économisant, malgré les cris d’encouragement du public resté sur le plateau. Asha soupçonna les premiers de vouloir battre leur propre record chronométré, et les suivants de viser seulement la ligne d’arrivée. Elle faisait partie de ceux-là. Son objectif pouvait sembler facile, il représentait pourtant trois heures de grimpe sévère, dans une ambiance humide de température tropicale, passant de trente degrés étouffant au départ, à quatre petits degrés dans les brumes de l’arrivée chargée des vapeurs de souffre...
Dès le début, elle sentit ses tempes battre la chamade, et rapidement ses genoux s’abimèrent dans les feuillages de la forêt tropicale. Elle regrettait l’absence d’alizés, lesquels stoppaient leur douce brise sur la côte. Après la Savane aux Mulets, le dénivelé devint chaotique et elle manqua de trébucher plusieurs fois. Malgré tout, elle s’accrochait. L’envie de ne pas décevoir ses supporters, l’espoir de se dépasser, et surtout la motivation de servir une cause solidaire lui donnait le courage de continuer. Elle s’enivrait des orchidées sauvages ornant le chemin, ces tâches rouges et jaunes lui servant de balises dans les moments d’épuisement... Courir jusqu’à celle-ci, tenir jusque celle-là ! Plus loin, les mêmes couleurs étaient portées par des «ananas pays», bien plus gros que ceux vendus au marché. Elle les comptait comme autant d’étapes franchies pour rythmer sa progression.
Quand la végétation laissa place aux mousses volcaniques, elle sut que le sommet était proche, et elle enfila le masque fourni. L’odeur caractéristique d’oeuf pourri du souffre lui donnait la nausée, et devenait difficile à soutenir entre deux respirations hachées. D’un seul coup, elle entra dans un brouillard épais, se transformant rapidement en nuage chargé d’humidité tiède... Et tout de suite après, une pluie violente la rinça, avec le double intérêt de la rafraîchir et d’éteindre l’odeur oppressante des fumerolles. Mais ses jambes ne la portaient plus, tout son corps était épuisé par l’effort fourni en altitude et le manque d’oxygène.
Alors Asha perdit courage. Pour la première fois depuis son départ deux heures plus tôt, elle douta. Que faisait-elle là... Il n’y avait rien à gagner dans ce challenge, à part quelques blessures ! Perdue dans ses sombres pensées, elle entendit soudain un coup de tonnerre terrifiant, semblant venir de terre et non du ciel, ses pieds en avaient tremblé. La Soufrière se réveillerait-elle, après quatre décennies de sommeil ? La peur lui donnant une nouvelle énergie, elle aussi endormie au fond de ses muscles, elle détala de plus belle en allongeant le pas, sa tête oubliant son épuisement physique. Elle réussit alors à sortir un instant du nuage pluvieux. Aussitôt, la vue dégagée lui offrit un spectacle époustouflant sur la forêt si verte, presque fluorescente, plongeant dans l’océan si bleu comme s’il était rempli d’émeraudes, lui-même se perdant dans un ciel exempte des nuages de la vallée, d’un bleu encore plus insolent.
C’est alors qu’elle comprit. Pourquoi elle était venue jusqu’ici, sans motivation de gloire ni d’enjeu financier. La chance d’avoir un corps sain, entier, la capacité de pouvoir se retrouver ici, sur cette route difficile d’accès, d’affronter sa montée épuisante... Elle devait endurer toutes les difficultés physiques, y arriver pour toutes celles restées en bas, clouées par leur maladie et parfois dans leur fauteuil. Elle était leur espoir, elle ne pouvait pas abandonner. Mouiller le maillot, oui, mais pour les autres ! Porter haut leurs envies, prendre des photos avec ses yeux pour leur raconter avec sa propre émotion, et les faire sourire ou rêver. Voilà ce qui portait chacun de ses pas, elle et surement d’autres concurrents. Peu importait de gagner, l’important était d’être là, au sommet de l’effort, pour les autres.
Sur la photo officielle de l’arrivée, l’on apercevait Asha, hors d’haleine parmi les derniers arrivés. Malgré la douleur, elle affichait des yeux rêveurs et un sourire radieux. En revanche, le cliché ne pouvait montrer l’immense satisfaction envahissant son corps autant qu’elle réchauffait son âme. Son mental avait dépassé ses limites physiques. En affrontant ses démons, et elle avait réussi à terminer la course. Dans le fond se dit-elle, corps et âme ne font qu’un pour atteindre un objectif. Son corps se souviendrait quelques temps de l’effort, mais sa tête garderait longtemps en mémoire les merveilles de la nature dont elle avait été témoin. L’île aux papillons faisait papillonner son coeur rempli d’espoir...