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Monsieur Oubliette est sans parents ni amis pour lui faire la conversation. Seul un appareil photographique pour compagnon et une casquette tout droit sortie d'un film de Pagnol. Sélénite n'a jamais vu d'humain si mal loti. La Nature ne l'a pas épargné. Un grand maigre, dans un habit sombre, de ce noir revêtu par les croque-morts, au visage anguleux taillé à la machette et aux cheveux corbeau qui s'obstinent à ne pas blanchir. De surcroît, il claudique, un souvenir de sa gestation. Lorsqu'elle recevait de la visite, sa teigneuse de génitrice l'obligeait à se cacher dans sa chambre en tendant une main menaçante vers la porte : « Toi, l'échalas, tu rentres immédiatement ». Ainsi enfermé, le marmot, au teint d'endive, ne voyageait que dans les photos du calendrier de la Poste qui offrait une palette animale qu'il ne manquait pas de collectionner. Sélénite renonce à décrire la laideur de son voisin, c'est au-dessus de ses forces, mais le cœur de monsieur Oubliette est bon. Et c'est bien la seule à le savoir. À certains moments, elle aurait envie de le consoler, de le serrer fort dans ses bras. Elle, seule, peut franchir le seuil de sa maison, et à chacune de leur rencontre, l'homme livre des fragments de son histoire. Il entre et sort de chez lui, comme dans un moulin livré aux quatre vents, goûtant sa liberté, avec un sourire resté dans le ventre de sa mère, maintenant fossilisée. « Son extinction n'est pas une vraie perte pour la science », a-t-il lâché, un jour désordonné.
Amoureux des oiseaux, et particulièrement des cigognes, des cygnes, des flamants roses, il passe des heures à observer la vie sur l'eau, et à contempler ses photographies animalières étalées sur la table en buvant de l'arabica dans un bruit caverneux. À force d'observer ces grands oiseaux, il a fini par leur ressembler. Avec son nez extrêmement long, pointu, au milieu de deux petits yeux perçants, et ses jambes interminables, il adopte des attitudes bizarres, proches de celles du héron. Comme ce grand échassier, Sélénite le retrouve parfois campé sur une jambe devant sa porte palière en train de trier ses clichés. Il caresse ses tirages, les manipule soigneusement, leur parle même doucement, sous l'illustré punaisé au mur du cœlacanthe, poisson fossile vivant, photographié par Laurent Ballesta. Monsieur Oubliette est resté un éternel rêveur, animé par un esprit aventureux, curieux du monde sous-marin qu'il découvre à travers les fabuleuses images de ce biologiste, explorateur marin, et photographe talentueux, qui offre des voyages passionnants.
L'appareil en bandoulière, M. Oubliette boitille vers l'allée de cyprès, flâne sur le sentier bordé de tamaris de la réserve naturelle, avant d'atteindre l'étang. Sur ce site protégé, il coule des journées délicieuses près des joncs, des roseaux, des plumets qui dansent au gré du vent frais, salé ; une diversité biologique hors du commun. Le marais est calme avec une brume du diable à ne pas distinguer un goéland à deux pas. Ce n'est point grave. Dans une heure, ce brouillard disparaîtra, et cet amateur d'oiseaux sauvages pourra alors admirer la magnificence de ce lieu qui lui met des ailes à chaque fois, au point d'en oublier l'heure ; et le temps fait ce qu'il doit faire : il passe. Là-haut, tout là-haut, à la cime d'un arbre, il vient d'apercevoir une mouette rieuse qui semble lui faire signe. En moins d'une seconde, sa main se crispe sur l'objectif. Il visualise, cadre, fait sa mise au point, presse sur le déclencheur, et capture l'animal. Pendant ce temps, des canards colverts, rassemblés, semblent dormir après leur nuit agitée à chercher leur nourriture dans les points d'eau avoisinants. Monsieur Oubliette relève les pans de sa longue veste, taillée dans le velours d'un vieux rideau, et s'assoit au pied d'un gros chêne vert près d'un cabanon, en écoutant le marécage matutinal. Dix, trente, soixante minutes s'écoulent. Soudain, dans les branches, deux fauvettes à tête noire chantent leurs plus jolis airs. Les yeux fermés, il écoute la mélodie de ces petites effrontées, et se laisse lentement envahir par ce nouveau charme. Il se sent peu à peu pénétrer par l'harmonie des vies environnantes. Il semble se trouver mieux ici, plus chaudement que chez lui. Dans sa maison, il campe ; ici, il demeure. Grisé de parfums, ivre de musique, les pieds calés sur une racine du chêne, il s'endort le nez piquant dans son torse, la casquette tombante, près d'un roseau qui se plie à faire pleurer l'arbre aux glands. Il se voit dans l'océan Indien, moulé dans un scaphandre aux côtés de Laurent Ballesta, caressant le cœlacanthe, si vieux, si moche, si proche, comme un air de famille.
Amoureux des oiseaux, et particulièrement des cigognes, des cygnes, des flamants roses, il passe des heures à observer la vie sur l'eau, et à contempler ses photographies animalières étalées sur la table en buvant de l'arabica dans un bruit caverneux. À force d'observer ces grands oiseaux, il a fini par leur ressembler. Avec son nez extrêmement long, pointu, au milieu de deux petits yeux perçants, et ses jambes interminables, il adopte des attitudes bizarres, proches de celles du héron. Comme ce grand échassier, Sélénite le retrouve parfois campé sur une jambe devant sa porte palière en train de trier ses clichés. Il caresse ses tirages, les manipule soigneusement, leur parle même doucement, sous l'illustré punaisé au mur du cœlacanthe, poisson fossile vivant, photographié par Laurent Ballesta. Monsieur Oubliette est resté un éternel rêveur, animé par un esprit aventureux, curieux du monde sous-marin qu'il découvre à travers les fabuleuses images de ce biologiste, explorateur marin, et photographe talentueux, qui offre des voyages passionnants.
L'appareil en bandoulière, M. Oubliette boitille vers l'allée de cyprès, flâne sur le sentier bordé de tamaris de la réserve naturelle, avant d'atteindre l'étang. Sur ce site protégé, il coule des journées délicieuses près des joncs, des roseaux, des plumets qui dansent au gré du vent frais, salé ; une diversité biologique hors du commun. Le marais est calme avec une brume du diable à ne pas distinguer un goéland à deux pas. Ce n'est point grave. Dans une heure, ce brouillard disparaîtra, et cet amateur d'oiseaux sauvages pourra alors admirer la magnificence de ce lieu qui lui met des ailes à chaque fois, au point d'en oublier l'heure ; et le temps fait ce qu'il doit faire : il passe. Là-haut, tout là-haut, à la cime d'un arbre, il vient d'apercevoir une mouette rieuse qui semble lui faire signe. En moins d'une seconde, sa main se crispe sur l'objectif. Il visualise, cadre, fait sa mise au point, presse sur le déclencheur, et capture l'animal. Pendant ce temps, des canards colverts, rassemblés, semblent dormir après leur nuit agitée à chercher leur nourriture dans les points d'eau avoisinants. Monsieur Oubliette relève les pans de sa longue veste, taillée dans le velours d'un vieux rideau, et s'assoit au pied d'un gros chêne vert près d'un cabanon, en écoutant le marécage matutinal. Dix, trente, soixante minutes s'écoulent. Soudain, dans les branches, deux fauvettes à tête noire chantent leurs plus jolis airs. Les yeux fermés, il écoute la mélodie de ces petites effrontées, et se laisse lentement envahir par ce nouveau charme. Il se sent peu à peu pénétrer par l'harmonie des vies environnantes. Il semble se trouver mieux ici, plus chaudement que chez lui. Dans sa maison, il campe ; ici, il demeure. Grisé de parfums, ivre de musique, les pieds calés sur une racine du chêne, il s'endort le nez piquant dans son torse, la casquette tombante, près d'un roseau qui se plie à faire pleurer l'arbre aux glands. Il se voit dans l'océan Indien, moulé dans un scaphandre aux côtés de Laurent Ballesta, caressant le cœlacanthe, si vieux, si moche, si proche, comme un air de famille.
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