Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. C’est peut-être un rêve. J’essayais de me réveiller mais je n’y arrivais pas. Devant moi, une vaste étendue sans arbres, sans lumière. J’avançais d’un pas hésitant cherchant à trouver un quelconque sens à tout ce vide, cette prison de noirceur immense dans lequel mon subconscient m’avait piégé. Je marchais depuis je ne savais plus combien de temps, une heure, deux heures ou six. Je ne pouvais pas le savoir, je me disais que c’était certainement un rêve, parce que le temps dans les rêves, c’est vingt fois peut être le temps réel, ça dépend du rêve.
Je n’étais pas fatigué, j’avançais, je ne transpirais pas même si j’augmentais ma vitesse. Je poursuivais un objectif inconnu. Sur ce que je dirais être des kilomètres, le noir et le vide persistaient. J’avais décidé de m’asseoir sur un sol de nature inconnue, je ne savais pas si c’était un macadam ou une terre battue. J’attendais que je me réveille de ce rêve dans lequel j’étais trop conscient. Des fois, j’avais l’impression de contrôler mes rêves : décider si j’allais tourner à gauche ou à droite ou même de pouvoir mettre le rêve sur pause, me réveiller et reprendre là où j’avais laissé une fois que je retournais dormir. Les rêves représentent un grand mystère comme tous les mystères que l’homme n’est jamais arrivé à percer dans tout leur aspect, ils révèlent encore une fois l’impuissance de celui-ci face à l’avenir, ils confirment son incapacité à maîtriser tout ce qui va au-delà de son propre corps.
Je continuais à avancer sans destination, trop conscient de ce qui se passait et ayant trop grande capacité des choix que je faisais, ça avait l’air réel et ça m’effrayait. Las à un moment de marcher sans jamais me fatiguer, je m’ennuyais car je voulais rencontrer quelqu’un qui pourrait m’expliquer où j’étais ou me donner un coup mortel qui allait certainement me réveiller. Mon souhait de trouver quelqu’un fut exaucé.
J’entendis un bruit de pas et je vis un homme nu sortant de nulle part venir en ma direction. Depuis que j’étais conscient, je n’avais pas remarqué que j’étais nu. Il s’avança vers moi en m’observant et ne sembla éprouver aucune gêne par rapport à nos costumes d’Adam. Mon premier réflexe était de lui balancer toutes les questions dont les réponses me faisaient peur : « où sommes-nous ? Qui es-tu ? Qu’est-ce qu’on fait la ? »
Il m’invita à marcher et dans notre longue marche il me raconta tout ce que je voulais entendre. Il m’avait souhaité la bienvenue dans ce que tout le monde appelait l’espace atemporel. Ici la notion de temps n’existait pour personne. Il n’y avait plus le jour ni la nuit, on ne savait même pas sur quelle planète on se trouvait. Personne ne voyait des étoiles, pas de soleil ni de lune. On se déplaçait tous à la recherche d’un sens à cette immensité mais personne n’avait rien trouvé. La gravité était absente elle aussi. On flottait, marchait si on le voulait. Ça n’aurait fait aucune différence de toute façon puisque voler ou courir n’allait pas nous permettre d’explorer tout ce qu’on avait sous les yeux. On volait sur une vaste étendue sans bornes, on ne pouvait pas savoir si on était sur une autre planète en atterrissant ou si tout faisait partie d’un tout ; à la vue de quelqu’un, on s’arrêtait pour savoir qui était-ce. Si la personne venait d’arriver, on lui faisait un petit topo si celle-ci demandait. On l’emmenait voir Le Restaurateur car lui seul dans ce monde où nous étions avait la capacité de faire récupérer à ceux qui arrivaient une bribe de mémoire. On arrivait tous ici avec des souvenirs flous, des connaissances basiques qui nous permettaient de distinguer le blanc du noir bien qu’ici tout était noir et nous étions tous des chats dans ce noir.
On ne pouvait aller voir le Restaurateur qu’une seule fois et on arrivait à récupérer qu’une infime quantité de ce qu’on avait en souvenir du monde précédent. Tout le monde dans la file cherchait à récupérer des souvenirs très intimes tels que la façon dont ils avaient fait pour arriver là. Ici c’était vaste au point où on ne pouvait pas recenser le nombre d’arrivés, et on ne pouvait pas savoir s’il y en avait quelques-uns qui partaient. La notion de distance n’était pas plus claire que celle du temps qui n’existait pas. J’avais laissé mes plus précieux biens là-bas, j’aurais voulu les apporter avec moi pour pouvoir les lire, les relire. On était dépourvu de tout : maisons, voitures. Même les arbres et les animaux n’étaient pas là pour nous tenir compagnie. Ce n’était qu’une partie non physique de notre être qui errait dans cet espace sans limites connues. Celui qui me racontait tout ça s’appelait Caluum Benaquista et il était de la Louisiane.
Au moment de parler à Caluum, je n’avais pas encore vu le Restaurateur, je ne pouvais pas savoir qui j’étais et c’est lui qui m’aiderait à aller le voir. Il y avait certains ici qui ne savaient pas si ce dernier existait, ils erraient depuis leur arrivée sur toute cette vaste étendue, nus, livrés à l’inconnu, inconnus de leur propre personne. Depuis que j’étais arrivé ici les notions de passé, présent et de futur n’avaient plus d’importance. C’était à ce moment que je m’étais rendu compte que le temps donnait beaucoup de sens à la vie qu’on avait. On lui accordait beaucoup d’importances car il nous permettait de fixer un point de départ, une date de naissance, qui deviendrait spécial pour certains, un âge qui nous faisait dire qu’untel partait trop tôt. On mettait la pression à certains pour accomplir des tâches tandis que la personne aurait réalisé de plus grandes choses sans certaines contraintes. Ici on ne comptait pas les jours, on n’attendait pas avec impatience le Week end ou la fin de l’année pour la réunion de famille. J’avais essayé de prendre l’ampleur de ce que représentait tout ce vide atemporel. Je crois que c’est une liberté qui nous est offerte. J’explorais indéfiniment cet endroit. Je ne découvrais rien de spécial. Il n’y avait que des gens éparpillés là où j’allais, comme si on était dans une autre galaxie plus grande que celle dans laquelle on était avant et que chacun était sur sa propre planète, la plupart d’entre nous ignorant les limites qui ne nous étaient plus imposées, ce qui nous empêchaient d’explorer au maximum ce qui avait à notre disposition.
« J’écris tout ceci gravé à l’aide d’une pierre sur ce que j’appelle le sol, je ne sais pas combien de temps après ma mort, personne ne sait d’ailleurs depuis combien de temps on est mort ni je ne sais pas à qui ça va être utile là où je suis ni si ça pourra traverser et aller dans l’autre monde. Les gens font la file pour rencontrer le Restaurateur, peut être que j’aurai droit à une deuxième rencontre avec lui pour que je puisse lui demander s’il pourrait d’une façon ou d’une autre faire passer le message dans l’autre monde, celui des vivants. Ça peut aussi arriver qu’il existe des millions de restaurateurs ici et que je ne l’ai pas encore découvert mais ça viendra, je vais regrouper le maximum d’informations sur le fonctionnement de ce monde. Je vais continuer mon travail de l’autre monde et je finirai par trouver le moyen de les faire passer de l’autre côté pour avertir les autres à propos de ce qui les attendent. Ceci constitue les premiers paragraphes d’une longue série qui ne s’arrêtera que lorsque j’aurai tout compris. J’ai toujours été cet écrivain perspicace avec le désir ardent de partager avec les autres, ceux qui me font l’honneur de me lire, toutes les vérités que je crois qu’ils doivent connaitre et je ne cesserai pas dans ce monde de penser que je peux oser continuer ce travail. »