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Histoire d'art
2 min
Épaule contre épaule
Diane Marnier <br><i>Conférencière à la Réunion des musées nationaux – Grand Palais</i>
Mounia se réveille. Son épaule est douloureuse et ses paupières lourdes. Dans sa tête, les images se mélangent et le sang se teinte du bleu de ses draps d'hôpital dans lesquels elle émerge. Dans ses oreilles vibrent les éclats du rock, des balles et de l'électrocardiogramme. Dans son nez, les odeurs de poudre et de lessive se mélangent. Les médecins lui annoncent avec un sourire qu'elle va pouvoir sortir dans quelques jours et reprendre le fil de sa vie.
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Mounia se réveille. Elle ne sent presque plus sa blessure. Les images du concert de ce 13 novembre 2015 au Bataclan sont redevenues nettes. Celles de l'un des 4 tireurs aussi. Elle frotte machinalement son épaule. C'est le moment que choisit la sonnette de l'appartement pour retentir. Elle sursaute. Son ami Paul vient la chercher pour l'accompagner au lycée. Le bruit des pas des passants ne lui fait plus peur. Mais quand au coin de la rue une porte de voiture claque, elle s'agrippe au bras de Paul. Arrivée au lycée, les professeurs lui souhaitent la bienvenue et lui donnent un tas de copies pour qu'elle rattrape les cours et reprenne le fil de sa vie.
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Mounia se réveille, frotte son épaule et va prendre son petit déjeuner. Cela fait plusieurs mois qu'elle ne sent plus le goût des tartines grillées. Elle part au lycée. Pour s'y rendre, elle passe sur le pont de la Tournelle. L'image de la cathédrale Notre-Dame vue du pont, fière et immortelle, pourrait presque recouvrir celle du tireur du Bataclan. Presque... Mounia n'est pas croyante et malgré les encouragements de son père à prier, elle ne croit pas que la religion qui a servi de prétexte aux terroristes pourrait l'aider à reprendre le fil de sa vie.
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Mounia se réveille. Elle part au lycée. Pont de la Tournelle, elle jette un œil à la cathédrale mais une autre image attire son attention. Jusqu'ici, elle ne l'avait jamais remarquée. Pourtant, vu l'état du papier, cette affiche est là depuis longtemps. Un simple fond noir, et un mot inscrit en blanc : COEXIST. Le C est un croissant musulman, le X une étoile juive, le T une croix chrétienne. Mounia n'est pas croyante, mais cette petite affiche lui donne un peu d'espoir. Elle effleure le coin du papier qui se décolle. Les doigts de Paul se mêlent aux siens. Paul est né dans une famille chrétienne et Mounia sait que tous les dimanches il va prier. Mais quand leurs doigts s'entremêlent, elle ne voit pas un chrétien blanc qui touche une fille de musulman arabe. Quand leurs doigts se mêlent, Mounia sent leurs cœurs coexister et elle espère que Paul sera là quand elle reprendra le fil de sa vie.
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Mounia se réveille. Elle caresse son ventre. Le bébé remue. Paul pose doucement la main sur son épaule, juste au-dessus de sa cicatrice. En riant, les amoureux imaginent le petit visage de leur enfant. Mounia sent que cette image sera plus puissante que toutes les autres. Elle sait que le visage où coexisteront les couleurs du monde se superposera à l'affiche de l'artiste Combo. Cette affiche qu'elle a décollée du pont de la Tournelle, il y a plus de huit ans, égoïstement. Cette affiche qui est aujourd'hui encadrée dans leur appartement, parce qu'elle savait que ce simple mot allait l'aider à reprendre le fil de sa vie.
« CoeXist » de Combo CK
« CoeXist » est une œuvre créée en 2015 par le street artiste français Combo. Touché par les attentats ayant eu lieu en 2015 à Paris et dans sa périphérie, Combo s'est inspiré du logo du même nom créé en 2000 par le designer graphique polonais Piotr Młodożeniec pour relayer à son tour un message de paix et de tolérance.
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