Entre justice et vengeance
Toute histoire commence un jour, quelque part, forcément. Toutes ces lignes que j’écris sont surement mes dernières, je vais mourir je le sais donc peu importe si tout le monde me lit. Je ne serai plus là de toute façon.
C’est l’histoire d’une fille dont la vie parfaitement imparfaite a transformée en ce qu’elle est aujourd’hui.
Je m’appelle Layla un très joli prénom qui ne colle malheureusement pas avec ma personne, ni avec mon physique. Je ne me rappelle même plus la dernière fois que j’ai entendu quelqu’un m’appeler par mon prénom. J’avais même oublié que mon nom c’était Layla en fait. Je suis née dans une richissime famille, une adorable famille, un papa, une maman, deux beaux garçons et une belle fille que tout le monde appelle rayon de soleil. Il faut reconnaître qu’elle est vraiment jolie avec un sourire angélique, mon Dieu, on croirait voir une fée. La famille idéale j’imagine. Et moi je suis le sixième membre de la famille, la brebis galeuse mais je n’ai jamais réellement eu d’attaches avec ma famille. J’ai toujours été mise à l’écart, toujours ignorée, insignifiante. Tout simplement parce que je suis née différente avec un handicap. Je suis née avec un seul œil, une malformation horrible, je suis borgne. Je les comprends car c’est vraiment moche. Cette défaillance dont je ne suis même pas responsable m’a coûtée vingt deux ans de malheur. Je ne me rappelle pas avoir une fois été heureuse dans ma vie, je ne sais même pas ce à quoi peut ressembler le bonheur. Moi je n’ai pas voulu être ainsi, ce n’était pas mon choix. Pourquoi moi ? Pourquoi moi et pas lui, elle, les autres ? Pourquoi? Je n’avais pas droit aux privilèges qu’avaient les autres, je n’avais pas cette chance. Mes frères étudiaient dans une école privée, une prestigieuse école et moi dans une école publique bon marché située à des kilomètres de la maison. Mes parents m’avaient délibérément inscrite dans cette école pour que les gens ne puissent s’imaginer que je pouvais avoir un quelconque lien avec la célèbre famille Andrade. Ils rentraient en voiture luxueuse, climatisée et moi je marchais à pied, je revenais essoufflée, assoiffée, fébrile à force de marcher autant. Parfois on se croisait en court de route, je leur faisais un petit coucou avec un sourire anodin mais ils faisaient comme s’ils ne me connaissaient pas. Je pouvais rester des jours sans respirer l’air conditionné de la maison parce que je vivais dans la cave, au sous-sol avec ma nounou, la seule personne qui s’est occupée de moi. Elle me comprenait, surement parce qu’elle s’imaginait ce que je pouvais ressentir. Puis un jour, elle est tombée gravement malade, on n’avait plus d’espoir car elle était devenue tellement vielle. Hélas elle a fini par mourir. Tout mon univers s’écroula à cet instant, je ne savais plus quoi faire, quoi dire, quoi penser. Le pire est que je ne pouvais malheureusement pas assister aux funérailles de ma nounou car ma mère me l’avait interdite. Ce fut un choc terrible pour moi, comme si j’avais reçu une gifle magistrale. Mais ce n’était pas bien grave, elle sera toujours gravée en lettres d’or dans mon esprit et dans mon cœur. Je ne me suis jamais sentie aussi seule de ma vie, les nuits étaient plus longues que d’habitude, les secondes étaient pour moi comme des heures, j’avais constamment une insomnie, j’avais peur, j’entendais souvent un cri inhumain, bestial pendant la nuit. C’était surement l’effet de la peur et le fruit de mon imagination. Puis les jours passaient, les mois, la tristesse s’amenuisait peu à peu mais je vivais toujours seule dans la cave, je mangeais toujours les restes de la classe supérieure. Enfin une bonne nouvelle, j’étais admise au collège. Je pensais que la situation allait s’améliorer mais non c’était de mal en pire. Je n’avais pas d’amis, on se moquait encore et encore de moi et de mon handicap. C’était intenable, j’étais harcelée, maltraitée, humiliée et j’ai fini par sombrer dans la dépression. Je me suis refugiée dans la nourriture et je suis devenue boulimique, obèse. J’ai entendu toutes sortes de surnoms, la grosse vache borgne, la baleine, sac à patate et l’extrême grossièreté de certains qui faisaient un bruit de cochon quand on se croisait dans les couloirs de l’école. C’était affreux, c’était mon calvaire quotidien. Je n’arrivais pas à comprendre comment on pouvait infliger une telle souffrance à un être humain. Comment ?
Je n’ai jamais été une fille choyée, je n’ai jamais connu ce bonheur et cette joie. A l’école je travaillais bien, j’avais de bonnes notes, de très bons résultats tout simplement pour attirer l’attention de ma famille, pour que ma mère puisse être fière de moi, me féliciter, m’encourager. Mais jamais je n’ai eu cette chance. J’entendais à l’étage ma mère qui reprochait à son rayon de soleil ses mauvais résultats, je me disais si seulement je pouvais être à sa place, peu importe si c’étaient des insultes, j’avais juste besoin d’un mot, d’un simple petit mot. Un jour j’ai fait exprès de rater un examen, juste pour me faire remarquer par ma maman même si c’était négativement, cela m’importait peu à dire vrai. Mais ça ne lui faisait rien en fait, elle était indifférente comme si je n’existais pas. A ce moment là, j’ai pris conscience que ma vie n’avait aucun sens, aucune valeur à leurs yeux. J’ai plusieurs fois pensé au suicide, j’ai voulu plonger dans une rivière du haut d’un pont ou d’une falaise ou bien me jeter sous un train parce que j’en avais marre de cette vie, marre de cette indifférence. J’étais tourmentée, j’avais des idées noires dans ma tête mais en même temps j’étais torturée par la peur de mourir. Je n’arrivais même plus à me regarder dans la glace, de voir le reflet de cette affreuse créature que j’étais. La vie me mettait à genoux en permanence et je n’en pouvais plus de ces coups, des déceptions, des trahisons. Je n’avais plus de larmes à force de pleurer chaque nuit sous ma couette, ni la force de faire semblant d’être forte, ni de jouer à la guerrière. J’avais envie de briser cette carapace et de montrer au monde entier que j’étais une fille sensible, que j’avais besoin d’attention, d’amour, de tendresse. Mais qui voudrait d’une borgne, d’une grosse vache ? Personne ! Et tout cela c’est à cause de ma famille, de ma mère. J’aurai pu me faire opérer, avoir une prothèse oculaire au moins. Après tout, à quoi servait tout cet argent? Je grandissais un peu plus, ma haine envers cette famille devenait de plus en plus grande, elle prenait de l’ampleur. Je suis devenue une fille froide, gothique, j’avais le teint pâle. J’avais quitté l’école, je fumais, je buvais de l’alcool, je me droguais, je m’étais repliée sur moi-même, je suis devenue dépressive, une fille anéantie et détruite. Je pouvais passer des heures sur le net à créer de faux profils, à me cacher derrière ma frange qui recouvrait mon horrible regard. J’utilisais de faux noms, ou l’anonymat pour me faire des amis virtuels, avoir une personne avec qui je pourrais parler. J’avais installé un logiciel photoshop juste pour dissimuler mon apparence, toute cette masse graisseuse.
J’ai senti ma colère pour ma famille se transformer peu à peu en une haine obsessionnelle, maladive. Puis un jour, le hasard a voulu que je croise le chemin de Paul sur instagram, le hasard fait bien les choses comme on dit. Ce fut le coup de foudre total, « love at first sight », l’amour au premier regard. J’ai été frappée par la fameuse décharge électrique de l’amour. Paul était un détenu en cavale, un criminel. Il avait eu pratiquement la même histoire que moi, pire que la mienne d’ailleurs. Je lui racontais toute mon histoire du début à la fin sans barrière, sans euphémisme, sans filtre et il a fini par me façonner à son image. Il m’a changé en mal, je suis devenue une fille méchante, sadique, une fille sans cœur. Il m’a appris à faire taire toutes mes émotions, tous mes sentiments. C’est comme si on m’avait anesthésié le cœur. Je n’avais qu’une ambition, qu’un objectif maintenant et c’était de me venger, de détruire la prestigieuse famille Andrade, d’en finir avec l’existence de chaque membre de la famille et particulièrement ma mère. Je voulais la voir par terre, à mes genoux, je voulais qu’elle paie toute la souffrance que j’ai endurée, toutes les larmes que j’ai versées. Et c’est exactement ce que j’ai fait. Cela lui faisait plaisir de me faire travailler, de me voir dans cet affreux uniforme de servante. Mais elle ignorait que ce choix allait signer son arrêt de mort, ce fut la pire décision de sa vie. Je réfléchissais constamment sur comment j’allais m’y prendre, comment ? J’avais un besoin maladif de la voir tomber, allonger par terre, s’écrouler comme un château de carte, la pousser dans ses derniers retranchements. J’aurai pu lui enfoncer dans son sommeil, une dague en plein cœur, lui crever un œil ou bien les deux, non, non et non cela aurait été beaucoup trop facile et rapide. Moi je voulais qu’elle souffre, qu’elle regrette, qu’elle s’excuse de m’avoir fait vivre le calvaire, l’enfer sur terre. Décidément ma haine laisse planer toutes les hypothèses possibles. Je vais en finir avec elle, je vais la réduire en miette, je vais l’écraser comme une cigarette. Telle est ma promesse, la promesse de la borgne.
Puis avec l’aide de Paul, j’ai eu une idée follement géniale. J’ai mis en scène un plan machiavélique. Dans ma tête, le scénario était bien ficelé. C’était un plan risqué mais très bien calculé. Je me suis procurée un puissant poison incolore et inodore qui provoque une mort lente et douloureuse. Une mort atroce. A chaque plat concocté j’y rajoutais une touche de folie, le poison! Plus un dessert d’amour empoisonné. Quand j’y repense j’en rigole avec larme au coin de l’œil, ils n’ont rien vu venir les pauvres. Plus les jours passaient, plus ils se sentaient horriblement faibles. Tous à l’exception de rayon de soleil, ma sœur qui était en vacances à l’étranger, profitant des plus belles plages du monde et du beau temps pendant qu’une scène insoupçonnable se produisait chez elle. J’avais coupé toutes les lignes téléphoniques, personne ne pouvait ni entrer ni sortir de la maison, j’avais obtenu le pouvoir. Je les regardais agoniser, pleurer, me supplier. Mais elles ne me faisaient rien, toutes leurs supplications, j’étais totalement insensible. Le poison provoquait des effets irréversibles, tellement dévastateurs qu’il a provoqué chez eux un embryon d’horreur, une cécité, puis une paralysie du visage suivi du cou, puis des étourdissements, une perte de connaissance, des convulsions, une asphyxie et enfin une mort imminente. Je n’avais jamais été aussi heureuse de ma vie, je les ai vus mourir et j’ai ressenti une montée extraordinaire d’adrénaline, un cœur qui battait plus fort que d’habitude, une sensation étrange. J’ai ressenti un plaisir fou, un plaisir sauvage, doux et brutal à la fois, une décharge électrique qui me parcourait tout le corps, c’était puissant, c’était fort, c’était intense. Comme on dit, la vengeance est un plat qui se mange froid. Moi je dirai même glacé. J’avais pris le soin d’installer des caméras dans toute la maison pour avoir un souvenir de ma victoire parce que j’avais gagné le jeu, je leur ai fait un échec et mat. La partie était finie. Enfin jusqu’à ce que...
Je ne pouvais plus contenir ma joie, l’émotion était tellement intense que j’ai fini par publier les images et les vidéos de mon exploit sur les réseaux sociaux pour que tout le monde sache que la famille Andrade n’est plus que poussière. Mais j’avais nettement sous-estimé la technologie, j’étais loin d’imaginer que j’allais être localisée et arrêtée à l’instant d’après. Je n’y avais pas pensé en fait. Le jour du procès arriva, j’ai divisé la toile à travers mon histoire. Je pouvais apercevoir « rayon de soleil » assise avec un visage en détresse, un visage triste et en colère, les yeux rouges à force de pleurer, elle devait vraiment souffrir. Mais cela me faisait plaisir intérieurement, parce que mon visage à moi avait la même expression durant vingt deux ans. C’était une victoire pour moi car je savais qu’elle allait souffrir durant toute sa vie. J’ai prétendu être une démente, j’ai fait semblant d’être malade mentalement tout simplement pour être envoyée dans un hôpital psychiatrique et à partir de là je pourrai m’échapper et achever mon travail, en finir avec la survivante de la famille. Mais malheureusement pour moi, la chance n’a pas été de mon coté cette fois ci. J’ai été déclarée mentalement apte, sans aucuns troubles psychiques. Les juges ne pouvaient pas comprendre l’incompréhensible, comment c’était humainement possible un tel acte? J’ai donc été condamnée à la peine de mort, la peine capitale. Je vais mourir à mon tour, je vais être exécutée par chaise électrique. Les juges et les experts psychiatriques ne sont pas dupes, ils savent que je vais récidiver, si jamais je retrouvais la liberté, je vais tuer encore et encore. Ma vie était vouée à l’échec. A cause d’une soif de vengeance, je vais croupir derrière les barreaux en attendant l’heure de mon exécution et elle va bientôt sonner car il me restait juste que quelques heures, le temps d’écrire mes dernières lignes.
Pourtant j’aurai pu choisir le tournant de ma vie, prendre l’autre option et laisser la justice divine se charger d’eux. Mais non, la facilité n’était pas une option pour moi, j’ai suivi Paul, je l’ai écouté parce que je l’aimais et c’est cet amour qui m’a conduite à ma perte, à ma destruction, à la mort. Peut être que si j’avais rencontré une autre personne gentille, ou si je n’avais pas fait la connaissance de Paul, jamais je n’en serai arrivée là, à de tels extrêmes. Il m’arrive de penser durant un court instant à ma nounou, la seule personne qui a ressenti un amour sincère pour moi et de me dire qu’elle n’aurait pas aimé me voir ainsi et je regrette mon geste. Mais quand je repense à ma mère, les pulsions reviennent et j’ai une folle envie de tuer, je n’y peux rien, c’est plus fort que moi. C’est devenu une maladie.
Toute histoire commence un jour quelque part, forcément. La mienne a commencé à l’instant où j’ai poussé mon premier cri de bébé et elle va prendre fin dans quelques heures, une fin tragique.
Si cette histoire vous parvient entre les mains, c’est parce que je suis probablement morte. Certains diront que je le mérite, que je suis un monstre, que j’ai commis l’irréparable et qu’il fallait impérativement me mettre hors d’état de nuire. D’autres penseront plutôt que j’ai juste été victime d’une injustice et que je n’ai pas su faire les bons choix simplement.
Alors pour toi, qu’est ce que je suis ?