En perdre son lutin

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Fredo ressassait l'énoncé de l'ultime examen de l'année. Une question, huit mots. Cinquante autorisés pour la réponse, pas un de plus. La consigne était claire, la pertinence du sujet moins. Mais qu'avait en tête le type qui avait pondu un truc pareil ? Derrière quels fagots avait-il déniché l'idée ? Une heure à bûcher sur une page ponctuée au final de quarante-huit termes plus fades qu'une soupe de potiron sans sel. L'épreuve sonnait le début des vacances de Noël et le glas de ses espérances. Fredo se pliait rarement au jeu des pronostics mais, cette fois-ci, il ne donnait pas cher de ses chances. Copie bâclée, piètre prestation et style ampoulé, tout juste pouvait-il espérer les rattrapages. En cette période festive, le hall de l'école brillait de mille feux. Aussi illuminé que les concepteurs de sujet, pensa-t-il. L'étudiant hâta le pas pour fuir le campus et croisa, à côté du centre commercial voisin, pas moins de trois Père Noël. A leur air goguenard, il eut l'étrange sensation qu'ils avaient pris connaissance de son devoir. Leur mine réjouie le ramena sans ménagement à l'examen. Un sacré sacerdoce que d'être Père Noël de nos jours. A l'époque de l'immédiateté, difficile de maintenir le cap sans en perdre son lutin. Il y avait de quoi rendre son costard et raccrocher sa hotte. Des cheminées mal entretenues, négligées par leurs propriétaires sans considération pour le grand homme, et des itinéraires moins évidents – réchauffement climatique oblige. L'absence de neige sur la route amenait des pièges à déjouer par milliers. Et que dire de ces mioches capricieux adoubés par leurs parents et des contes poussiéreux aux refrains démodés ? Fredo en avait ras le bonnet.

Ce sentiment de malaise se traduisait par une certaine fébrilité qui gagnait les rangs, des aspirants élèves aux jeunes diplômés pourtant assurés de décrocher un emploi. Seul le Père Noël restait de marbre. Fredo accomplit les derniers mètres de son trajet avec Tim, lui confiant en deux mots ses craintes.
— Et toi ? L'exercice t'a inspiré ? Comment as-tu expliqué la longévité du Père Noël ?
L'assurance de Tim avait de quoi déboussoler le plus aguerri des rênes.
— Oh oui, c'était facile : sujet bouclé en douze mots.
— Douze ?
— Oui ! « Le Père Noël connaît cette longévité car il vit dans le présent. »
Fredo marqua un temps d'arrêt avant de comprendre la formule.
— OK, Tim, mais les enfants eux aussi vivent dans le présent !
— Peut-être mais les gamins butinent, ils changent de présent en permanence, délaissant l'un pour le suivant.
Cette réponse plongea Fredo dans ses pensées. Alors que les deux amis marchaient en silence, les sourcils froncés trahissant leur concentration, Fredo poussa un long soupir. Tim le consola :
— Courage Fredo, on va l'intégrer cette fichue école internationale des lutins, et on aura enfin la chance de travailler avec le Père Noël !



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