«Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité.» Oui! Une éternité dans le temps et tout a basculé pour Benedicta. Fille unique d'une pauvre famille, depuis sa tendre enfance, elle n'eut pas la chance de vivre au même rythme que les autres enfants du quartier, ses amies. Pour cause, Joel, son père naquit au ciel suite à un incendie deux jours avant sa naissance. Gracia, sa mère, s'évertuait à subvenir à ses besoins et assurer son éducation avec son commerce. Benedicta obtint son Baccalauréat à l'âge de seize ans puis s'ensuivirent les études universitaires.
Fort heureusement, la chance lui sourit et son premier travail professionnel arriva juste au sortir des salles de soutenance.
C'était en ce moment-là qu'elle rencontra Félix, un jeune homme doté d'une élégance à faire se pâmer d'admiration même les aveugles. Tout était beau. Tout luisait de lumière divine. L'amour battait ses ailes et l'un comme l'autre dansait à son rythme. Ils firent même connaissance de leurs familles respectives. Leur relation était parsemée de roses. Mais tout cela n'était que chimère, fugace.
Deux ans après leurs fiançailles, Felix commença à prêter flanc aux habitudes qu'on lui connaissait depuis son jeune âge. Toutes les filles étaient, pourvu qu'elles soient modelées à son goût, des proies à capturer. Pour lui, tout était question d'alchimie corporelle. Parfois..., non, souvent, il s'adonnait à des insanités dans le lit qu'il partageait avec Benedicta.
Le coefficient de sa perversité était si grand qu'il se permit d'inviter des demoiselles, retrouvées çà et là dans les poubelles de la société, à la maison en présence de Benedicta.
Les mois passèrent et la situation s'intensifiait. D'une fille en semaine, Felix doubla, puis, tripla le chiffre. Sa liste de conquises s'élargissait.
Ce soir-là, ne pouvant plus supporter, Benedicta alla chez Fleurielle, l'une de ses meilleures amies. Celle-ci ne saurait soupçonner cette réalité cauchemardesque que Benedicta lui racontait.
- Ta vie amoureuse est d'une complexité labyrinthique. Il serait salvateur que tu te sépares de cet homme, lui suggéra Fleurielle.
- Comment pourrais-je y arriver ? Il s'agit de mon premier amour et jusqu'à présent, je n'ai de mépris que pour ses actes. Je donne pourtant de toute mon énergie pour assouvir ses désirs.
Aussitôt qu'elle eût achevé cette phrase, telle une boule au ventre faisant son ascension vers la gorge, l'envie la prit, l'envie de vomir. Elle courut dans les toilettes et là, commença à dégurgiter.
- C'est la puanteur de ce que je vis qui me remonte à la gorge, se confie-t-elle.
- Non, tu es toute pâle, Benedicta. En plus, tu as le corps chaud. Rassure-moi... rassure-moi que... non. Ce ne peut pas être cela, s'il te plaît mon amie.
Le doute n'a pu planer que cette nuit-là. Le jour suivant, les deux amies se rendirent dans la clinique LA REFERENCE du Dr. Kaleb. Après quelques analyses, le docteur leur apprit que Benedicta attendait un bébé. Plutôt que de les réjouir, la nouvelle assombrit leur espoir. Benedicta devra faire la consultation régulièrement , car dit le docteur, elle est trop fragile. C'était une vérité de la Palice.
- Qu'allons-nous faire ? demanda-t-elle à Fleurielle, toute perdue dans ses idées.
- Rien d'autre que d'informer ton compagnon qu'il sera bientôt père. Et dis-lui qu'il est de sa survie qu'il nettoie ses écuries d'Augias sur le champ avant qu'il ne se fasse castrer par une vache en colère, dit-elle rageusement.
- D'accord, répondit-elle
A son retour à la maison, elle mit Félix au courant de son état. Quand celui-ci apprit la nouvelle, il ne pipa mot, regarda vaguement l'horizon et dit à Benedicta qu'il a compris avec un ton glacial.
Aidée par Fleurielle, Benedicta ne comptait plus sur Felix qui n'avait ostensiblement cure de ce qu'elle pourrait traverser avec sa grossesse. De jour en jour, sa fragilité s'accentuait, s'exacerbait ; elle tombait récurremment malade.
A chaque fièvre, à chaque toux, à chaque céphalée, le docteur lui prescrivait des tonnes de médicaments à ingurgiter. A chaque consultation, Benedicta vidait sa bourse pour payer les médicaments.
Deux semaines plus tard, sa forme ventrale s'arrondissait, sa circonférence devenait inquiétante. Elle naviguait à l'embouchure de l'obésité androïde. Ses pieds devenaient de plus en plus lourds. Au fur et à mesure que le temps passait, de son abdomen à ses orteils, la graisse s'amassait, son poids se multipliait.
Tout cela augurait de sombres et obscurs mois. Elle informa Felix de ses ressentis, mais pour lui, le docteur seul a le dernier mot. Une telle occasion ne se présente que rarement au cours de l'année pour le docteur Kaleb. Il lui fallait vider son stock de médicaments moisissant.
Benedicta ne sut plus à quel saint se vouer. Visiblement, elle ne se sentait plus bien dans son corps. Pour la soulager, le docteur lui ordonnait tous les traitements appris à la FSS (Faculté des Soins Sensibles).
Un jour, quittant la clinique, Benedicta tomba sur un jeune homme qui lui posa quelques questions à la vue de son état. Ce jeune était nutritionniste de formation. Il lui fit un prêche sur les compléments alimentaires et les menus amincissants. Elle était toute heureuse et en informa le docteur sur le champ. Mais la réponse de celui-ci fut négative de façon catégorique. Parole du médecin, Benedicta s'en est remise à lui puisqu'il ne restait plus que deux semaines pour mettre au monde son bébé.
Mais quelques jours avant, son état s'empira. Elle devint méconnaissable pour l'entourage au vu de son embonpoint peu ordinaire.
Cette nuit-là était froide, si froide, très froide que même l'enfant dans ses entrailles en ressentait l'effet. Vers minuit, elle entra en travail avant la date estimée par le docteur. Elle eut la présence d'esprit d'alerter Fleurielle qui ne ménagea aucun effort pour la rejoindre. Toutes deux, aidées par Felix, qui s'apprêtait à aller dans un night-club, se rendirent dans la clinique LA REFERENCE.
De fait, LA REFERENCE brillait de tout éclat par son absence en matériels de soins adéquats. Benedicta se mordait les doigts, se tortillait, criait, s'essoufflait, nageait entre le feu et l'eau, la vie et la mort. Pas d'autres solutions, c'était l'accouchement par césarienne, indiqua le docteur. Nul ne sait pour quelle raison, mais il y avait argent à l'horizon. Trois aides-soignantes firent entrer Benedicta dans une salle dédiée pour la cause, une salle où n'existaient qu'un lit et quelques bistouris.
En voyant l'état de Benedicta cette nuit-là, Felix eut de grands remords, ses yeux coulèrent quelques larmes. Environ quarante minutes plus tard, le docteur en ressortit, les gangs humectés de sang, le visage de sueur dégoulinant.
- Vous êtes père d'un joli garçon, dit-il à Felix.
Celui-ci poussa un ouf de soulagement avant de s'enquérir des nouvelles de Benedicta.
- Benedicta se porte bien également, rassure le docteur.
Felix se jeta sur le cou de Fleurielle comme une sangsue, tellement sa joie était à son paroxysme. Il fallut encore quelques minutes avant qu'ils n'eussent l'heur de voir le nouvel être et sa mère. Deux jours plus tard, le docteur les libéra et Benedicta rejoignit la maison.
Le jour suivant, elle commença à ressentir une douleur au bas ventre. Elle en informa monsieur Kaleb. Comme à l'accoutumée, il lui prescrivit quelques antalgies. Hélas ! La douleur ne s'estompait pas, mais au contraire, s'exacerbait, quittant le bas ventre pour envahir tout le ventre. Au bout d'une journée, Benedicta commença à pisser et à vomir du sang. L'inquiétude s'empara de Felix qui, aussitôt, la conduisit à LA REFERENCE. Avant que le docteur n'eût le temps de stabiliser le tableau, Benedicta entra dans le silence éternel. L'autopsie révéla qu'une lame ou plutôt deux lames avaient été oubliées dans ses entrailles après la suture.
Felix ne put supporter cette annonce au moment même où il prit l'engagement de rendre heureuse Benedicta. La nuit-là même, il se donna la mort, accablé par tant de remords.