Elisabeth

Né le 28 Mars 1989 à Brazzaville en République du Congo, Marcel Julmard YANDZA est écrivain et ingénieur en technologie. Il a initié en 2018 un programme culturel appelé le " Vécu" dont le ... [+]

Toute histoire commence un jour, quelque part et précisément à un instant. La mienne est partie de mon cerveau et de mes sens. Mon esprit bien agité et interactif m’a toujours guidé dans le chemin de l’épanouissement. A cet effet, je m’envolais sans cesse, se guidant dans un spectre bien large, celui de l’ivresse du livre. Mais où devrais-je trouver la connaissance?

L’université de Lingite, la seule de mon pays, est un drame que je supportais au quotidien. Clairement, le système d’enseignement présentait des failles. Des lacunes qui me tiraient vers le bas. Ma pensée, je la sentais étouffée par toutes ces manières méprisables que j’observais autour.

Je n’appréciais guère les notions vieilles qui défiaient mon intelligence. Tout cela me donnait une envie de fuir. Désespérément, je cherchais une condition utopique. Chaque jour m’infligeait la même question: « Que faire pour se trouver un chemin ? ».

J’avais hâte de ranger mon nom dans le duplexe du savoir. Je me sentais investi de la mission divine de découvrir un phénomène révolutionnaire. Une autre percée majeure qui nous rapprochera de la vérité.

Il y a quelques semaines, je le crois, rien ne me prédestinait à une opportunité : le voyage vers l’une des plus grandes universités du monde. Je venais d’atterrir dans un aéroport somptueux. En sortant de là, je découvris un autre pays. Mais lequel ?

Simplement, une grande nation, terre d’opportunités. Je venais de comprendre qu’enfin je m’étais débarrassé de l’ennui de Lingite. Désormais, tout cela restait loin, à la fois à des kilomètres et aux confins de ma psyché.

En quittant l’aéroport, j’avais sous mes yeux une ville plus belle que tout ce dont j’avais rêvé. Un bus était là pour notre transport, nous étudiants internationaux. Il amorçait son dernier virage. Le grand mûr éclatant de l’université Son of Moon suscita à notre égard une forte attention. Je me rapprochais des vitres pour apprécier l’art en béton. Le design qui mettait en échec les tableaux des illustres peintres italiens.

A l’entrée, on klaxonna. Et d’un coup, la barre métallique s’écarta du passage. Tout au fond, on voyait un château avec une coupole. En avançant un peu plus, on découvrait aussi d’autres logements depuis lesquels on nous acclamait. Les roses tombaient du ciel. C’était la cérémonie d’accueil. Et juste après, le bus s’arrêta et nous descendîmes. Puis, le protocole mis en place ouvrit les portes du grand château.

L’ambiance était festive comme dans une ruche au miel. De l’extérieur, j’avais aperçu un château. Et maintenant, j’observais le génie de l’architecture sous une coupole. Les marches en coquille d’escargot menaient plus haut vers des rires qui s’échappaient. Bien que tout cela me plaise, je m’interrogeais quand même sur le principe. Les universités sont réputées pour le travail et non les plaisirs simples.

Au moment où je m’affolais à tout décortiquer de ma propre hypocrisie, une jeune fille blonde me tendit un verre. J’ai hésité pendant un instant car je craignais d’être mal jugé. Très rapidement, la fille se rapprocha encore plus près. Elle agitait ses cheveux et prit mon esprit en otage. Dans ma tête, elle était la preuve même de l’existence du divin. Ses yeux bleus suffisaient pour me faire succomber de passion.

L’heure était à la fête. La boisson que je consommais sans insouciance me faisait grand effet. Elle bloquait mon cerveau, laissant place à l’instinct. La belle mignonne me plaisait beaucoup. Elle me tenait la main et j’étais impuissant de résister. Aucun mot ne coulait de nos bouches.

Ma dulcinée portait une culotte en cuire et une marnière pleine de broderies. Elle avait aussi un joli collier avec l’emblème de la lune. Sa beauté incarnait le summum de la perfection sur terre. Elle me tenait toujours dans la main. J’avançais derrière comme un bateau remorqué. Son visage éclatant laissait des poèmes aux cœurs des garçons. De plus, sa démarche envoûtait. Dans ces couloirs serrés, les regards échouaient à flot. Je me sentais grand.

Chaque battement de ses cils me renvoyait un message : « Sois patient ! ». A un moment donné, j’entendis une voix qui se glissait dans mes oreilles. Je doutais bien qu’il s’agisse de la fille. Sa bouche était fermée. En même temps, mon oreille devenait chaude. Alors, cette voix me dit : « M’aimes-tu ? ». Plus je me taisais, mieux j’endurais des douleurs atroces.
A un instant bien précis, je dis à cet être invisible à la voix féminine: « Qui es-tu ? ». Aussitôt, la fille devant moi me lâcha. Elle m’abandonnait. Je trottinais pour la rattraper mais l’écart entre nous restait le même.

Au pied d’une marche, elle s’arrêta brusquement et m’imposa son regard vif. J’attendais une parole. D’une voix très autoritaire, elle me dit : « Que veux-tu ? ». Cette question jeta sur moi un vent de timidité qui m’empêcha de formuler mon vrai désir.

Et encore une deuxième fois, l’être spirituel me parla. La même question m’était posée : « Est-ce que tu m’aimes ? ». Devant moi, se trouvait la fille, le pas un peu pressé. Elle me fit un regard de sympathie m’influençant d’accepter. Mais comment savait-elle ? Aussitôt, mon cerveau se bloqua. Un grand malaise me saisit.

De toute façon, j’étais dans un pays étranger. Le chemin du retour, je ne l’envisageais pas. Alors, j’ai accepté répondant simplement par la pensée. J’avais la tête basse. Je me sentais épuisé et j’étais avide de ressources. Alors que je me fondais dans la dépression, j’entendis des pas. A chaque son que la semelle produisait, je gagnais en force et en énergie.

En levant la tête, je vis la fille sourire. Elle me tendait sa main bien ornée de bracelets. Cela aiguisait ma curiosité un peu défaillante. Clairement, elle exerçait un pouvoir sur moi. Et puis, elle se présenta. Elle se prénommait Elisabeth et agissait comme une reine. Je n’osais pas lui dire mon nom. J’attendais qu’elle me demande. Derrière cette idée, se cachait la volonté de reconstruire une part de mon autorité masculine.

Peu de temps après, elle me demanda de lui prendre une boisson. Pas n’importe laquelle. Elle voulait de l’eau fruitée. Cette boisson remplaçait l’eau des fleuves dans ce milieu extraordinaire. Pendant un moment, je l’avais chassée de mes pensées. Je me souciais quand même qu’elle s’impatiente.

En revenant vers elle, elle était occupée et riait parmi d’autres filles. Je lui tendis la boisson mais elle ne me considéra pas. Tout de même, elle s’en saisit et se retira avec sa troupe à quelques mètres de là. Il y avait un siège à côté. En le voyant, une envie de s’asseoir me saisit. Cependant, j’observais ces trois sirènes heureuses et fortes. D’ailleurs que pouvaient-elles bien être ? Je le pensais car j’étais en colère. Puisque je m’étais fait écraser, alors je devrais l’écrasé de mon esprit. Leur conversation continuait.

Après un long moment, Elisabeth revint. La ravissante me présenta à ses copines qui se pressaient de partir. Elle leur dit mon prénom. J’étais étonné qu’elle le sache, mais tout de même, je me contenais. Puis, les filles m’accueillirent chacune avec amitié, me prenant dans les bras avec un petit sourire. Par la suite, elles me dirent au revoir.

Nous étions de nouveau face à face. Et là, elle me proposa de monter au cinquième, prendre un verre à la terrasse et échanger. Ça me convenait bien. Il y avait à ma gauche un ascenseur. Je voulais qu’on l’emprunte plutôt que de faire les marches une fois de plus. Elle n’était pas d’accord, je le savais. Son regard trahissait son tempérament. A son tour, elle me proposa de faire route séparée. Je pressentais son désir à fuir l’ascenseur. Son éloignement instinctif était sans égal. Mais pourquoi ? Alors que j’essayais de comprendre, immobile et embarrassé, l’idée géniale qui me vint à l’esprit disparut. Visiblement, les ténèbres avaient chassé la lumière de moi, m’empêchant même de réfléchir.

Avec son expression recelée dans l’œil, un simple battement de cils qui réclame pouvoir, elle avançait. Elle se rapprochait et me proposa la course : escalier contre ascenseur. Je n’étais pas d’accord. Pour faire preuve d’autorité, je la tenais du bras, m’incitant à la convaincre. Elle se débattait lâchement. Se sentant exaspérée, elle me dit : « Tu me lâches ! ». Je refusais de prendre cette menace au sérieux. Que pouvait-elle bien me faire cette fille mince dont la seule force était la séduction?

Et voilà, d’un simple mouvement, elle se retira de mes prises. J’ai eu peur de découvrir une force pareille dans un corps sexy. J’étais bée. De toute façon, j’étais sa proie. Comme je ne supportais plus que ça dure, alors je partais. Mon pied avait franchi l’ascenseur. Les portières se refermaient. Et voilà, comme cela devrait arriver, sinon je m’étonnerais du contraire, un bras arrêta le mécanisme en mouvement. Je découvris son visage. J’étais médusé et je fis fi de la regarder.

De son côté, elle changea d’allure et entra simplement. Elle envoya un coup de poing sur le bouton cinq et me lâcha un mot. L’instant d’après, elle me récita un verset, l’appareil en pleine ascension. J’entendais ces mots : « Au commencement, la terre était informe et vide. Il y avait des ténèbres au fond de l’abime. L’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux. Et alors Dieu dit que la lumière soit ! Et la lumière fût. Maintenant, que la lumière aille ! ». Elle s’arrêta, et dès cet instant, l’obscurité régnait. Les lumières s’éteignirent comme par magie. L’ascenseur progressait sa course vers le haut dans la nuit la plus colorée. Je sentis mon cœur battre et une sensation de flexibilité me saisit. Je l’appelais : « Elisabeth ! Tu m’entends ! ».

Face au silence auquel j’étais confronté, mon imagination hyperactive se lança dans une quête folle. Le noir de la place rallumait ce flux déjà débordant. Je me souvenais de toutes les histoires horribles du démon dans sa soutane noire. Le noir figure des forces maléfiques, du diable Satan et de ses fidèles. Mais qui était donc Elisabeth ?

Avec un peu de courage, ces idées oppressantes disparurent peu à peu. D’une seconde à l’autre, j’entendais le grand bruit des machines électriques qui gagnaient en inertie pour s’arrêter. Et puis, un son très singulier avant l’ouverture des portières. La lumière de l’extérieur me parvenait. Je sorti de là. Les portières se refermaient mais il n’y avait pas d’Elisabeth. Elle avait disparu.

J’observais le grand collectif des chercheurs enseignants qui mangeaient humblement. Derrière moi, un autre ascenseur libéra son son. Et quand ses portes s’ouvrirent, Elisabeth la magicienne sortait souriante, très fière d’elle. Elle venait de jouer un bon numéro. J’étais bien confus comme depuis. Elle prenait jouissance de me trouver aussi désemparé que stupéfait. Marchant entre les tables, sa main glissant dans ses cheveux, elle m’avoua tout doucement: «  Si tu veux comprendre, je ne t’expliquerais pas. Réponds toi-même. C’est ça le squelette de la réflexion scientifique ».

Bien heureuse, elle s’assit autour d’une table, commanda un repas et mangeait. En dépit de tout, je gardais la tête froide. En balançant un œil, j’avais de visu ces cils noirs que je souhaitais voir au détail. Elle avait le regard ailleurs. Dans son esprit, régnait surement la satisfaction de me sentir rechercher son attention.

Alors que je me perdais de plus belle dans cet océan de mirages, la jolie Elisabeth emboita le pas. Elle me fit bonne impression lorsqu’elle se leva. Ensuite, elle marchait. J’ai cru entendre à cet instant un son qui parcourait mes oreilles de l’intérieur. Je veux par-là dire qu’il s’agissait d’une idée formelle qui s’était enracinée dans mon cerveau. Avais-je vraiment entendu ? Sinon peut-être que mon cerveau n’était plus ma propriété. Un simple instrument à la merci de ceux qui voulaient s’en servir.

Très rapidement, je me mis à la suivre mais elle insista que je me rasseye. Elle fonça toute seule, loin dans un coin de cette salle, vers les casiers en bois d’acier. Un homme un peu plus âgé, mais encore jeune la rejoignait. On dirait un enseignant. Je ne laissais aucun détail m’échapper. A mesure que je me concentrais, m’évertuant à déchiffrer les mots qu’ils se renvoyaient chaleureusement, sourire au visage, acte du bonheur partagé, le son partant de mon cerveau jaillit.

Et soudainement, je captais fidèlement chaque lettre, chaque ponctuation, chaque brin de souffle engagé dans cette conversation. Ils se fixaient rendez-vous pour un moment ultérieur. J’étais jaloux, fou de jalousie et par-dessus tout consumé par la méfiance. Elisabeth plaça sa clé dans la serrure et sortit un bouquin assez particulier. Elle changea aussitôt d’allure en avançant vers moi. La perle envoûtante reprenait peu à peu sa robe d’impératrice. Et quand elle se plaça devant moi, jambe jointe, un genou légèrement fléchi réduisant sa taille dans la proportion métaphysique du nombre d’or, son autorité, son pouvoir et même sa malignité étaient au seuil de toute gloire.

La belle beauté ouvrit le livre. Sur la couverture se trouvait une image de la surface rugueuse de la lune. Le titre était en latin mais en caractères plus petits était inscrit : « l’Art de l’esprit ». Elisabeth me proposa de lire la préface du livre. Je refusais vainement de le faire. Avec beaucoup de peines, mais tout de même encouragé par la volonté de ne pas décevoir, je pris avec lourdeur ce recueil, le laissant sous mon nez.

L’écriture reflétait le moyen-âge. Il me semblait que les lettres étaient dessinées par un moine dont la seule priorité était d’écrire. Pour ce dernier, la prière serait un acte de seconde importance. La voix dans mon cerveau entra en jeu. Je ne lisais pas mais le son que j’entendais de l’intérieur était parfaitement uniforme au livre comme si on lisait à ma place. Ce livre renfermait plus de dix mille principes révélés sur le fonctionnement de l’univers. Un précieux trésor.

Et du coup, je lui dis : « Mais qui es-tu ? ». Elle me répondit : « La fille de tes rêves. C’est moi la source de ton inspiration et de tes envies de rébellion. C’est moi la critique et la voix que tu venais d’entendre. Si tu m’oublies, tu perdras pour toujours tous les repères qui t’ont emmené jusqu’ici. ». Pour finir, elle me demanda : « Veux-tu de mon livre ? Oui ou Non ?». Je ne trouvais pas de mots. D’un côté, si je disais non, je finirais seul son amour et sans grandeur. Et de l’autre, si j’acceptais de continuer, mon corps et ma vie seront pour toujours dédiés à la sirène Elisabeth. Elle qui consume l’esprit des hommes pour son offrande. Mon cerveau se bloqua et j’étais par terre.

Dans mon subconscient, pendant que les médecins se battaient à me maintenir en vie, la question posée revenait en boucle. Mon souffle s’atténuait. Quand j’ouvris les yeux, trois ans s’étaient écoulés. J’étais de nouveau dans mon pays natal sur un lit d’hôpital. Je devrais à présent affronter les impitoyables enseignants de l’université de Lingite.