Edelène se tenait debout, sur le bord de la falaise de craie blanche, elle scrutait la mer déchaînée, les rafales de vent la poussait vers le vide, encore un mètre et elle plongerait dans le néant. Elle était seule sous ce ciel sombre, il n’y avait aucun être vivant aux alentours. Edelène pleurait de rage et de désespoir, ses larmes salées se mélangeaient à l’air iodé, comme la tempête, elle sentait la révolte monter en elle. Les vieux ne voulaient pas lui prêter d’argent !
Ils avaient osé lui refuser son argent et bien tant pis, elle trouverait une solution ! Elle qui trimait pour eux depuis son enfance. Edelène était orpheline, comme beaucoup d’enfants à cette époque. C’était l’enfant d’une fille-mère d’un autre village. Qui était son père ? Un notable ? Un marin du Havre ? Un bourgeois de Rouen ? Quelqu’un d’ici, d’Etretat ? Cela n’avait aucune importance, elle avait été oubliée des siens depuis sa naissance en 1837. Les paysans pour qui elle travaillait l’avait adoptée quand elle avait 6 ans. Ils avaient besoin de main-d’œuvre pour nettoyer, cuisiner, servir, labourer les champs et nourrir les poules. Chaque matin elle devait se lever aux aurores, faire chauffer le chaudron dans la cheminée afin de réchauffer la soupe aux légumes et d’avoir quelque chose de chaud, qui tient au corps, afin d’effectuer les durs labeurs de la journée. On y mettait souvent le pain rassis, on mangeait les restes. Certes, il y avait la ferme, le poulailler, les champs et le verger rempli de pommiers. Ces paysans et leur fils n’étaient pas pauvres, mais comme ils disaient : « Un sou est un sou ! ». Ce qu’ils avaient était suffisant, ils pouvaient se nourrir, vendre des œufs, des pommes et des douillons préparés par Edelène. Le dimanche on mangeait encore de la soupe mais on y ajoutait de la graisse. Les hommes buvaient un peu de calva et Edelène préparait ses fameux douillons, en effet les pommes ne manquaient pas. Elle se levait plus tôt le dimanche car il fallait aller à la messe, montrer aux villageois que la ‘petite’ était certes orpheline mais croyante ! Puis un jour, alors qu’elle avait une quinzaine d’années, elle se maria avec le fils de la famille. Elle ne l’aimait pas mais elle ne le détestait pas non plus. Il était gentil avec elle, il la respectait car elle savait s’occuper de la ferme. Quand le fils avait dit à ses parents qu’il désirait épouser Edelène, ils n’avaient pas approuvé mais après réflexion, la petite avait grandi chez eux, elle n’avait pas peur du travail et surtout, elle n’avait aucun parent ainsi, la ferme, tous leurs biens et l’argent resteraient dans la famille. Les parents ne voulaient pas une étrangère chez eux, même une fille du village, une voleuse, qui pourrait tout s’approprier. Non, Edelène, même si elle était orpheline, ils la connaissaient. Il fallait aussi penser à la ferme et à la progéniture qui s’en occuperait. Le mariage avait donc eu lieu ! Un mariage simple avec des cousins éloignés, quelques villageois et le curé. Ils n’aimaient pas dépenser mais il fallait tout de même montrer aux autres qu’ils avaient de quoi subvenir à leurs besoins.
Seulement voilà, cela faisait une dizaine d’années qu’ils étaient mariés et ils n’avaient pas d’enfant !
Edelène, peu à peu s’était imposée dans la famille. Elle n’était plus une orpheline mais une femme mariée au fils de ces paysans ! Et elle avait des projets, de l’ambition ! Elle était restée dans l’ombre, docile, travaillant du matin au soir pour nourrir cette famille qui l’exploitait. Elle s’occupait toujours de la ferme mais, elle avait réussi à employer une petite paysanne du village pour l’aider. Cela n’avait pas été facile avec les parents. Son mari était malade depuis quelque temps et Edelène leur avait dit qu’une petite qui l’aiderait pour la cuisine et la lessive coûterait beaucoup moins cher qu’un homme pour l’aider aux champs. Ils avaient accepté mais ils voyaient cela d’un mauvais œil, avoir une étrangère sous leur toit et la payer de surcroît !
Chaque soir Edelène pensait à son projet. Cette ferme, sa ferme et ses terres, elle pouvait en faire autre chose. Elle n’avait pas besoin de savoir lire et écrire, mais compter, ça oui, et surtout écouter les paysans du coin qui discutaient à la sortie de la messe. Un jour, elle avait entendu une conversation intéressante entre quelques paysans. En effet, ils parlaient de fermiers qui vivaient à quelques lieues d’ici, du côté de Bénouville ; ceux-ci désiraient vendre quelques vaches laitières. Edelène s’était informée. Ces vaches étaient de race Normande, des Cauchoises plus exactement, une très bonne race laitière. Elle pensait qu’avec ces vaches elle pourrait fabriquer du fromage et de la crème, en vendre au marché pour commencer et petit à petit en vendre chez les détaillants mais pour cela, il lui fallait de l’argent et l’argent, les vieux le gardait bien caché.
La maladie de son mari tombait à pic ! Elle avait dit aux vieux qu’elle devait s’absenter une journée afin d’aller trouver un médecin au Havre et là-bas bien sûr, il y avait des médecins, mais également des notaires. Elle voulait connaître ses droits en cas de décès du mari et des droits elle en avait, elle pouvait prendre l’argent qui lui appartenait. Elle avait vu un notaire et obtenu tous les renseignements utiles pour réaliser son projet. Au début, le notaire avait été surpris de voir cette femme, elle ne faisait pas partie de sa clientèle habituelle mais, au bout de quelques minutes, il avait réalisé que c’était une femme qui savait exactement ce qu’elle voulait, qu’elle avait de l’ambition et du courage. Edelène était une femme à poigne.
Ce soir-là, en revenant du Havre, elle alla directement dans la chambre des vieux et commença à chercher l’argent. Ils tentèrent de l’arrêter mais elle était plus forte qu’eux et leur expliqua sa visite chez le notaire. Ils la regardèrent interloqués. Comment avait-elle pu aller chez un notaire ? Qu’est-ce qu’elle manigançait ? Elle leur expliqua que leur fils était en train de mourir et eux, ils étaient trop vieux maintenant pour s’occuper de la ferme. C’était leur bru donc elle avait des droits. Elle dévoila son projet. Ils restèrent bouche bée ! Comment une orpheline pouvait-elle savoir tant de choses ? Soit ils acceptaient son projet, soit elle retournait voir le notaire. En entendant ces mots, les vieux acceptèrent de lui donner l’argent pour acheter ses vaches.
Edelène poussa un soupir et sourit. A partir d’aujourd’hui elle eut le contrôle de la ferme, elle put acheter ses Cauchoises et commença à fabriquer et vendre du fromage et de la crème. Les débuts furent difficiles car il fallut s’imposer dans ce dur pays normand en tant que femme d’affaires. Son mari décéda quelques mois après la discussion. Les vieux ne se remirent jamais du décès de leur fils et ils moururent à quelques mois d’intervalle.
Edelène ne se remaria jamais mais, avec l’argent qu’elle avait accumulé au fil des années, elle ouvrit un orphelinat au Havre avec l’aide du notaire qui était devenu un très bon ami.
Ils avaient osé lui refuser son argent et bien tant pis, elle trouverait une solution ! Elle qui trimait pour eux depuis son enfance. Edelène était orpheline, comme beaucoup d’enfants à cette époque. C’était l’enfant d’une fille-mère d’un autre village. Qui était son père ? Un notable ? Un marin du Havre ? Un bourgeois de Rouen ? Quelqu’un d’ici, d’Etretat ? Cela n’avait aucune importance, elle avait été oubliée des siens depuis sa naissance en 1837. Les paysans pour qui elle travaillait l’avait adoptée quand elle avait 6 ans. Ils avaient besoin de main-d’œuvre pour nettoyer, cuisiner, servir, labourer les champs et nourrir les poules. Chaque matin elle devait se lever aux aurores, faire chauffer le chaudron dans la cheminée afin de réchauffer la soupe aux légumes et d’avoir quelque chose de chaud, qui tient au corps, afin d’effectuer les durs labeurs de la journée. On y mettait souvent le pain rassis, on mangeait les restes. Certes, il y avait la ferme, le poulailler, les champs et le verger rempli de pommiers. Ces paysans et leur fils n’étaient pas pauvres, mais comme ils disaient : « Un sou est un sou ! ». Ce qu’ils avaient était suffisant, ils pouvaient se nourrir, vendre des œufs, des pommes et des douillons préparés par Edelène. Le dimanche on mangeait encore de la soupe mais on y ajoutait de la graisse. Les hommes buvaient un peu de calva et Edelène préparait ses fameux douillons, en effet les pommes ne manquaient pas. Elle se levait plus tôt le dimanche car il fallait aller à la messe, montrer aux villageois que la ‘petite’ était certes orpheline mais croyante ! Puis un jour, alors qu’elle avait une quinzaine d’années, elle se maria avec le fils de la famille. Elle ne l’aimait pas mais elle ne le détestait pas non plus. Il était gentil avec elle, il la respectait car elle savait s’occuper de la ferme. Quand le fils avait dit à ses parents qu’il désirait épouser Edelène, ils n’avaient pas approuvé mais après réflexion, la petite avait grandi chez eux, elle n’avait pas peur du travail et surtout, elle n’avait aucun parent ainsi, la ferme, tous leurs biens et l’argent resteraient dans la famille. Les parents ne voulaient pas une étrangère chez eux, même une fille du village, une voleuse, qui pourrait tout s’approprier. Non, Edelène, même si elle était orpheline, ils la connaissaient. Il fallait aussi penser à la ferme et à la progéniture qui s’en occuperait. Le mariage avait donc eu lieu ! Un mariage simple avec des cousins éloignés, quelques villageois et le curé. Ils n’aimaient pas dépenser mais il fallait tout de même montrer aux autres qu’ils avaient de quoi subvenir à leurs besoins.
Seulement voilà, cela faisait une dizaine d’années qu’ils étaient mariés et ils n’avaient pas d’enfant !
Edelène, peu à peu s’était imposée dans la famille. Elle n’était plus une orpheline mais une femme mariée au fils de ces paysans ! Et elle avait des projets, de l’ambition ! Elle était restée dans l’ombre, docile, travaillant du matin au soir pour nourrir cette famille qui l’exploitait. Elle s’occupait toujours de la ferme mais, elle avait réussi à employer une petite paysanne du village pour l’aider. Cela n’avait pas été facile avec les parents. Son mari était malade depuis quelque temps et Edelène leur avait dit qu’une petite qui l’aiderait pour la cuisine et la lessive coûterait beaucoup moins cher qu’un homme pour l’aider aux champs. Ils avaient accepté mais ils voyaient cela d’un mauvais œil, avoir une étrangère sous leur toit et la payer de surcroît !
Chaque soir Edelène pensait à son projet. Cette ferme, sa ferme et ses terres, elle pouvait en faire autre chose. Elle n’avait pas besoin de savoir lire et écrire, mais compter, ça oui, et surtout écouter les paysans du coin qui discutaient à la sortie de la messe. Un jour, elle avait entendu une conversation intéressante entre quelques paysans. En effet, ils parlaient de fermiers qui vivaient à quelques lieues d’ici, du côté de Bénouville ; ceux-ci désiraient vendre quelques vaches laitières. Edelène s’était informée. Ces vaches étaient de race Normande, des Cauchoises plus exactement, une très bonne race laitière. Elle pensait qu’avec ces vaches elle pourrait fabriquer du fromage et de la crème, en vendre au marché pour commencer et petit à petit en vendre chez les détaillants mais pour cela, il lui fallait de l’argent et l’argent, les vieux le gardait bien caché.
La maladie de son mari tombait à pic ! Elle avait dit aux vieux qu’elle devait s’absenter une journée afin d’aller trouver un médecin au Havre et là-bas bien sûr, il y avait des médecins, mais également des notaires. Elle voulait connaître ses droits en cas de décès du mari et des droits elle en avait, elle pouvait prendre l’argent qui lui appartenait. Elle avait vu un notaire et obtenu tous les renseignements utiles pour réaliser son projet. Au début, le notaire avait été surpris de voir cette femme, elle ne faisait pas partie de sa clientèle habituelle mais, au bout de quelques minutes, il avait réalisé que c’était une femme qui savait exactement ce qu’elle voulait, qu’elle avait de l’ambition et du courage. Edelène était une femme à poigne.
Ce soir-là, en revenant du Havre, elle alla directement dans la chambre des vieux et commença à chercher l’argent. Ils tentèrent de l’arrêter mais elle était plus forte qu’eux et leur expliqua sa visite chez le notaire. Ils la regardèrent interloqués. Comment avait-elle pu aller chez un notaire ? Qu’est-ce qu’elle manigançait ? Elle leur expliqua que leur fils était en train de mourir et eux, ils étaient trop vieux maintenant pour s’occuper de la ferme. C’était leur bru donc elle avait des droits. Elle dévoila son projet. Ils restèrent bouche bée ! Comment une orpheline pouvait-elle savoir tant de choses ? Soit ils acceptaient son projet, soit elle retournait voir le notaire. En entendant ces mots, les vieux acceptèrent de lui donner l’argent pour acheter ses vaches.
Edelène poussa un soupir et sourit. A partir d’aujourd’hui elle eut le contrôle de la ferme, elle put acheter ses Cauchoises et commença à fabriquer et vendre du fromage et de la crème. Les débuts furent difficiles car il fallut s’imposer dans ce dur pays normand en tant que femme d’affaires. Son mari décéda quelques mois après la discussion. Les vieux ne se remirent jamais du décès de leur fils et ils moururent à quelques mois d’intervalle.
Edelène ne se remaria jamais mais, avec l’argent qu’elle avait accumulé au fil des années, elle ouvrit un orphelinat au Havre avec l’aide du notaire qui était devenu un très bon ami.