Toute histoire commence un jour, quelque part. Celle-ci commence ou plutôt s’achève doit-on dire, un sombre samedi matin aux alentours de onze heures, par des retentissements de sirène et gyrophare dans ce quartier mal famé de la capitale. C’était la police, suivie à quelques mètres plus loin par les sapeurs-pompiers. L’un suivant l’autre, ces deux véhicules vinrent se garer devant une foule qui criait et gesticulait comme si un drame venait de se produire. En effet, c’était bien le cas, raison pour laquelle la police a été dépêchée d’urgence. Les corps habillés réussirent à se frayer un chemin, puis à entrer dans une vieille et modeste concession dont tout ce qui tenait lieu de portail était un cadre en bois détérioré autour d’une tôle rouillée et apparemment fatiguée... Une dame de la quarantaine, portant une longue et grande chemise dans laquelle elle se perdait, au-dessus d’un pagne noué à la taille vulgairement, vint à leur rencontre. L’un des policiers la questionna :
-C’est bien vous Madame Efoué, la dame qui nous a appelés pour signaler un suicide ?
-Oui Monsieur l’agent. Ma voisine Fatimata s’est suicidée. Que c’est bien triste, fondit-elle en larmes...
-Calmez-vous-vous s’il vous plait, Madame. Nous allons faire le nécessaire, suggéra l’un des sapeurs-pompiers, puis il les devança.
-D’habitude elle se réveille toujours déjà à 5h du matin pour faire le ménage et se laver de bonne heure. Ce matin je n’ai pas vu son ombre jusqu’à neuf heures. Craignant qu’elle ne soit souffrante, car depuis hier soir elle s’était enfermée à l’intérieur, je suis allée la réveiller et voir si tout allait bien. Ayant cogné en vain, j’ai remarqué que la porte n’était point fermée à clef. J’ai alors ouvert et que vois-je... Oh mon Dieu... Madame Efoué ne put s’empêcher de fondre à nouveau en larmes, en averses cette fois-ci.
Les corps habillés présents sur la scène entrèrent dans la pièce indiquée par la voisine. C’était une large pièce presque vide pourtant. L’on pouvait compter un matelas délabré à même le sol, une pile de vêtements dans un coin de la chambre, à côté de deux seaux puis une chaise et une table... Une table... Oui, une table, l’arme du suicide... La jeune dame Fatimata était toujours suspendue à une corde au-dessus de la table. Quel scenario avait-elle adopté ? L’énigme planait toujours. C’était une scène horrible, difficile à voir sans se retourner et avoir un haut le cœur !
Rapidement les sapeurs-pompiers firent descendre le corps, après constat de la police. Cette masse inerte était rigide et dégageait la souffrance, l’amertume d’une vie dévastée. C’était une jeune femme, musulmane sans doute, car enturbannée d’un Hijab noir et habillée en longue robe musulmane encore appelée quamis. Elle tenait d’un point ferme une lettre dans sa main gauche.
Très tôt, le policier chef d’équipe retira doucement le document de sa main, non sans peine. Sur insistance de la foule et à l’inaccoutumée, il entreprit de lire la lettre devant l’assistance avide de vérité et de détails croustillants pour radiotrottoir...
« Bonjour à toi qui lis cette lettre de désespoir, toi qui parcours ces quelques lignes écrites de mon sang et de mes larmes, les seules encres que j’avais pu trouver à ma disposition... Oui, à toi, cette personne qui entreprends ce court voyage avec moi, afin de comprendre les raisons de mon acte, de mon suicide... Si tu reçois cette lettre ou si tu en as écho, c’est qu’indubitablement je ne fais plus partie de ce monde. Certes ce n’est peut-être pas la meilleure décision, mais ce n’est non plus une démission. Comme beaucoup d’autres, tu auras à me juger, à me condamner. Je te l’accorde, mais saches que je n’ai pas trouvé meilleure issue face à la stigmatisation, à la discrimination, à la marginalisation que j’ai eu à vivre au cours de ma modeste et courte vie, parce que je suis musulmane et que paradoxalement je sois séropositive. Pour moi, la vie est devenue fardeau et le harcèlement, le viol, les injustices sociales furent mon lot quotidien dans ce monde vil. Alors je m’en vais, épuisée de supporter le poids de tous ces chagrins.
Voilà mon histoire qui s’achève si tôt, mais je mets, je dépose entre ces quelques lignes les armes de mon combat, combat acharné contre la vie, combat pour l’égalité des droits entre homme et femme, entre chrétien et musulman, égalité de droits pour les personnes vulnérables. Que ma fin, aussi tragique soit-elle, constitue le début d’une lutte pour un monde meilleur. Qu’elle ne soit point vaine. Relaie cet écho, toi qui lis cette lettre, toi qui parcours ces mots teintés de ma douleur. J’ai quitté si hâtivement ce monde que, j’estime après réflexions, saignements et souffrances, n’être point le mien. Je te passe donc ainsi le flambeau, afin que ma voix porte aussi loin que possible et que la justice et la paix règnent sous tous les cieux. Que le soleil brille pour tout le monde.
Chère amie, je me nomme Fatimata, enfin c’est ce qui m’a été rapporté. Je signe donc Fatimata A. Je suis issue d’une famille royale et d’un père polygame, chef de village mais qui en fait n’est qu’un lâche qui ne sait point si j’existe encore sur cette terre, car ayant rejeté ma mère en pleine grossesse. Justement à propos de cette dernière, je n’en sais que très peu. Tout ce que j’ai d’elle, c’est sa photo et les recoupements d’histoire de Tante Aimée et Tante Chantal.
Vois-tu, ma vie n’a pas été un long fleuve tranquille, et ma naissance fut incertaine, un vrai défi. Mes parents, je ne les connais que très peu.
J’ai évolué de foyer en foyer, de famille en famille, gardant les cicatrices des multiples sévices subis, des abus et traitements inhumains.
Revenons à ma mère. Je ne l’ai point connue à proprement parler, mais son histoire m’a été apprise, transmise comme un héritage. Mon combat acharné contre la vie a commencé déjà même dès le bas-âge.
Elle s’appelait Awa, et était la troisième épouse de mon soi-disant papa, un irresponsable qui malheureusement est le chef de notre village. Etant la nouvelle femme, elle était la plus choyée des épouses de mon cher papa, également la plus jalousée par la même occasion. Elle souffrait de paludisme un soir et comme il se faisait tard pour se rendre au dispensaire principal du village sur la place publique, elle s’était rendue seule dans le centre de santé le plus proche. Elle s’adonnait à l’automédication avec des comprimés de Paracétamol et autres sûrement, mais ce soir-là son cas était assez grave. Arrivée au centre de santé, les infirmières la firent attendre une bonne heure, parce qu’elles suivaient un feuilleton à la télévision. Après la consultation d’usage, l’infirmière décida de lui faire un sérum, mais comble de malheur il n’y avait plus de perfuseur. Vu l’heure avancée, il était quasiment impossible de s’en procurer car seul le dispensaire principal disposant d’une petite unité pharmaceutique ferme assez tôt d’ailleurs. L’infirmière en charge des soins prit un risque énorme. Sur sa table de soins se trouvait toujours le perfuseur du dernier patient qu’elle n’avait pas encore jetée. Elle réussit donc à admettre la perfusion à ma mère, mais la conséquence de cet acte laxiste et ignoble est qu’elle réussit également à transmettre le VIH SIDA à ma chère tendre et douce mère. Comble de malheur !!! Cet acte indécent et maladroit allait malheureusement faire chavirer nos vies à toutes les deux. Et plus jamais, les choses ne seront comme avant.
Me comprenez-vous, chers tous ? Je n’ai pas décidé d’hériter de ces malheurs dans lesquels je suis plongée, noyée, submergée. Les méandres du tourment m’ont avilie. Je ne suis point un déserteur, tu peux me croire là-dessus. Mais là, j’en suis dépitée, je m’en vais et je te laisse continuer ce combat que j’ai commencé depuis fort longtemps.
Je disais donc que ma mère contracta ainsi le virus du SIDA sans le savoir, et même l’infirmière n’en savait rien de tout cela.
Quelques semaines plus tard, elle découvrit, après un malaise, qu’elle était enceinte et au cours des consultations prénatales, on lui apprit qu’elle était séropositive, ce qui, d’après elle était une erreur.
L’on refit les analyses, mais toujours le même et sinistre résultat. Elle ne sût comment l’annoncer à son mari, mon père... Elle vit dans un foyer polygame avec deux autres femmes, mais elle était la dernière épouse et la plus aimée de son mari, ce très vilain chef de village ; et cette mauvaise nouvelle risquait de détruire son foyer et son trône. On devait urgemment convoquer son mari et les deux autres femmes, afin de savoir s’ils étaient également porteurs du virus du SIDA ou pas, en d’autres termes de connaître leur statut sérologique. Les résultats furent négatifs pour son mari ainsi que pour les deux autres femmes, autrement dit pour mon père et mes belles-mères.
Très tôt, la nouvelle fut répandue dans leur petite communauté, et elle était la risée de tout le monde. L’on racontait même qu’elle se donnait à tous les hommes du milieu ou encore qu’elle fût une femme aux mœurs légères. Même son foyer était devenu un véritable calvaire pour elle. On la mettait en quarantaine. Elle ne pouvait plus s’associer aux autres femmes, ni partager le lit de son mari, pas même le toucher ou faire la cuisine ni même la lessive. Grâce aux mauvais conseillers et par les ragots du quartier, mon père décida de congédier sa femme Awa. Il disait qu’elle souillait sa maison et faisait sa honte. Ma mère fut donc renvoyée du village en plein jour et portant une grossesse, ma grossesse. Elle n’avait ni ressources pour subsister, ni personne chez qui se réfugier. Cependant, Chantal la deuxième femme du roi fut prise de compassion pour ma mère et lui indiqua la veille de son départ, de se rendre chez une de ses tantes en ville. Tout était planifié à l’insu de l’homme. Après quelques mois, Awa accoucha d’une mignonne fille nommée Fatimata, moi bien évidemment. C’était un accouchement par césarienne et ma mère y succomba.
Ce que j’ai oublié de mentionner est que le virus du SIDA m’a aussi été transmis. Je suis de ce fait séropositive dès le bas-âge et ce n’était point une situation confortable. A l’école, j’étais la risée de mes camarades et même de certains enseignants. Pendant les récréations, les bonnes dames qui vendaient de la nourriture refusaient de me servir dans leurs plats, ce qui me poussa à avoir un plat dans son sac que je trainais toujours avec moi. A la maison, j’étais fort heureusement comprise, mais ce n’était pas toujours pareil dans le quartier. Le calvaire était encore plus grandissant quand il s’agit de se rendre chez la coiffeuse ou chez la couturière. Après mon Certificat d’Etudes du Premier Cycle (CEPD), tante Aimée décida de me placer en foyer d’accueil, décision que je n’ai jamais réussi à comprendre car elle me comprenait et m’acceptait mieux que quiconque. J’évoluai ainsi de foyer en foyer, de famille en famille jusqu’à l’obtention de mon baccalauréat, après lequel je suivis une formation professionnelle en secrétariat de direction grâce à un programme pour personnes vulnérables dans lequel je fus insérée.
Le monde du travail ne me fût point clément. J’ai multiplié les dépôts pour demande d’embauche sans résultat. Quelques rares fois qu’on m’appelait pour l’interview, dès qu’on apprenait que je suis séropositive ou qu’on me voyait porter le voile, l’on me promettait de me rappeler... Ce qui n’a jamais été le cas. Une fois, j’ai même été violée par un directeur dans son bureau, car je repoussais ses avances malgré le salaire alléchant qu’il me promettait. C’était le jour le plus malheureux de ma vie, où j’ai versé toutes les larmes de mon corps. Je n’avais pas de force pour me défendre et mes cris n’ont pu me sauver. Mais je sais que le ciel le punira si ce n’est pas déjà le cas. Pourquoi la vie est si dure pour moi ? Qu’ai-je fait pour mériter ce si terrible sort ? Je n’avais toujours pas la réponse.
Je me battais pour survivre, mais j’avais toujours l’impression que l’étau se resserrait à chaque fois un peu plus autour de moi. Toutefois, je n’ai jamais arrêté de me battre. Le combat pour une vie meilleure et pour défendre ceux qui souffrent comme moi, je le mène chaque jour, même si ma voix n’était toujours pas entendue ou si l’on se moquait de moi quelques fois. Être séropositive fait de soi un moins que rien ? Ou être musulmane, porter le voile, est-ce là un crime pour être marginalisé ? Pourquoi les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes droits ? J’ai réussi cependant à toucher le cœur d’un commerçant qui m’embaucha comme sa secrétaire-comptable. Il me faisait travailler sans répit, et cela même les dimanches et jours fériés. Malgré cela, mon salaire était quatre fois inférieur à celui de ses autres employés. J’ai finalement compris qu’il voulait juste m’exploiter, profiter de ma vulnérabilité surtout que je n’avais pas de meilleure proposition. Chaque jour, j’étais la risée du personnel. Certains se refusaient même de me saluer par la main ou d’avoir un quelconque contact avec moi.
Noyée dans la dépression et le chagrin, je finis par prendre la décision de mettre fin à mes jours pour ne plus être la honte de la société, cette société également coupable. Je ne veux plus être souillure, rejetée, humiliée, martyrisée.
Chère amie, c’est donc ainsi que je pris cette lourde décision. J’aurais pu faire mieux, je le reconnais. Je n’ai pas été à la hauteur du combat, mais chaque fois que je voulais me faire entendre, personne ne se souciait de moi et ma voix tombait dans le vide. Tu dois comprendre que je suis une exilée involontaire. Mon pire exil est ma situation pitoyable de fille musulmane et séropositive de surcroît, mon lourd fardeau d’humiliation et de moqueries que je traîne chaque jour, sans le moindre grain d’amour pour me redonner le sourire. A toi, mon frère, ma sœur, je te transmets ainsi le flambeau de cette lutte que j’ai commencé. Que le combat pour l’égalité de droit, le vivre ensemble et l’insertion des personnes vulnérables dans la société ne s’arrête pas avec mon départ tragique et pesant pour moi-même. Que ma triste disparition soit le début d’une nouvelle bataille pour un monde meilleur, un monde de paix, d’égalité, un monde pluriel, un monde d’amour pour les exilés. Adieu, bien-aimés !!! »
Toute l’assistance fondit en larmes ; même le policier eut un air accablé et l’on prit conscience de cette triste réalité que des milliers sinon des millions de personnes vivent, éprouvent chaque jour. On emporta le corps sans vie inspirant la compassion et on lui rendit les hommages mérités. Dès lors, l’on réalisa qu’il faut prôner une société juste et de l’’amour pour les personnes vulnérables, ces exilés de la société.
-C’est bien vous Madame Efoué, la dame qui nous a appelés pour signaler un suicide ?
-Oui Monsieur l’agent. Ma voisine Fatimata s’est suicidée. Que c’est bien triste, fondit-elle en larmes...
-Calmez-vous-vous s’il vous plait, Madame. Nous allons faire le nécessaire, suggéra l’un des sapeurs-pompiers, puis il les devança.
-D’habitude elle se réveille toujours déjà à 5h du matin pour faire le ménage et se laver de bonne heure. Ce matin je n’ai pas vu son ombre jusqu’à neuf heures. Craignant qu’elle ne soit souffrante, car depuis hier soir elle s’était enfermée à l’intérieur, je suis allée la réveiller et voir si tout allait bien. Ayant cogné en vain, j’ai remarqué que la porte n’était point fermée à clef. J’ai alors ouvert et que vois-je... Oh mon Dieu... Madame Efoué ne put s’empêcher de fondre à nouveau en larmes, en averses cette fois-ci.
Les corps habillés présents sur la scène entrèrent dans la pièce indiquée par la voisine. C’était une large pièce presque vide pourtant. L’on pouvait compter un matelas délabré à même le sol, une pile de vêtements dans un coin de la chambre, à côté de deux seaux puis une chaise et une table... Une table... Oui, une table, l’arme du suicide... La jeune dame Fatimata était toujours suspendue à une corde au-dessus de la table. Quel scenario avait-elle adopté ? L’énigme planait toujours. C’était une scène horrible, difficile à voir sans se retourner et avoir un haut le cœur !
Rapidement les sapeurs-pompiers firent descendre le corps, après constat de la police. Cette masse inerte était rigide et dégageait la souffrance, l’amertume d’une vie dévastée. C’était une jeune femme, musulmane sans doute, car enturbannée d’un Hijab noir et habillée en longue robe musulmane encore appelée quamis. Elle tenait d’un point ferme une lettre dans sa main gauche.
Très tôt, le policier chef d’équipe retira doucement le document de sa main, non sans peine. Sur insistance de la foule et à l’inaccoutumée, il entreprit de lire la lettre devant l’assistance avide de vérité et de détails croustillants pour radiotrottoir...
« Bonjour à toi qui lis cette lettre de désespoir, toi qui parcours ces quelques lignes écrites de mon sang et de mes larmes, les seules encres que j’avais pu trouver à ma disposition... Oui, à toi, cette personne qui entreprends ce court voyage avec moi, afin de comprendre les raisons de mon acte, de mon suicide... Si tu reçois cette lettre ou si tu en as écho, c’est qu’indubitablement je ne fais plus partie de ce monde. Certes ce n’est peut-être pas la meilleure décision, mais ce n’est non plus une démission. Comme beaucoup d’autres, tu auras à me juger, à me condamner. Je te l’accorde, mais saches que je n’ai pas trouvé meilleure issue face à la stigmatisation, à la discrimination, à la marginalisation que j’ai eu à vivre au cours de ma modeste et courte vie, parce que je suis musulmane et que paradoxalement je sois séropositive. Pour moi, la vie est devenue fardeau et le harcèlement, le viol, les injustices sociales furent mon lot quotidien dans ce monde vil. Alors je m’en vais, épuisée de supporter le poids de tous ces chagrins.
Voilà mon histoire qui s’achève si tôt, mais je mets, je dépose entre ces quelques lignes les armes de mon combat, combat acharné contre la vie, combat pour l’égalité des droits entre homme et femme, entre chrétien et musulman, égalité de droits pour les personnes vulnérables. Que ma fin, aussi tragique soit-elle, constitue le début d’une lutte pour un monde meilleur. Qu’elle ne soit point vaine. Relaie cet écho, toi qui lis cette lettre, toi qui parcours ces mots teintés de ma douleur. J’ai quitté si hâtivement ce monde que, j’estime après réflexions, saignements et souffrances, n’être point le mien. Je te passe donc ainsi le flambeau, afin que ma voix porte aussi loin que possible et que la justice et la paix règnent sous tous les cieux. Que le soleil brille pour tout le monde.
Chère amie, je me nomme Fatimata, enfin c’est ce qui m’a été rapporté. Je signe donc Fatimata A. Je suis issue d’une famille royale et d’un père polygame, chef de village mais qui en fait n’est qu’un lâche qui ne sait point si j’existe encore sur cette terre, car ayant rejeté ma mère en pleine grossesse. Justement à propos de cette dernière, je n’en sais que très peu. Tout ce que j’ai d’elle, c’est sa photo et les recoupements d’histoire de Tante Aimée et Tante Chantal.
Vois-tu, ma vie n’a pas été un long fleuve tranquille, et ma naissance fut incertaine, un vrai défi. Mes parents, je ne les connais que très peu.
J’ai évolué de foyer en foyer, de famille en famille, gardant les cicatrices des multiples sévices subis, des abus et traitements inhumains.
Revenons à ma mère. Je ne l’ai point connue à proprement parler, mais son histoire m’a été apprise, transmise comme un héritage. Mon combat acharné contre la vie a commencé déjà même dès le bas-âge.
Elle s’appelait Awa, et était la troisième épouse de mon soi-disant papa, un irresponsable qui malheureusement est le chef de notre village. Etant la nouvelle femme, elle était la plus choyée des épouses de mon cher papa, également la plus jalousée par la même occasion. Elle souffrait de paludisme un soir et comme il se faisait tard pour se rendre au dispensaire principal du village sur la place publique, elle s’était rendue seule dans le centre de santé le plus proche. Elle s’adonnait à l’automédication avec des comprimés de Paracétamol et autres sûrement, mais ce soir-là son cas était assez grave. Arrivée au centre de santé, les infirmières la firent attendre une bonne heure, parce qu’elles suivaient un feuilleton à la télévision. Après la consultation d’usage, l’infirmière décida de lui faire un sérum, mais comble de malheur il n’y avait plus de perfuseur. Vu l’heure avancée, il était quasiment impossible de s’en procurer car seul le dispensaire principal disposant d’une petite unité pharmaceutique ferme assez tôt d’ailleurs. L’infirmière en charge des soins prit un risque énorme. Sur sa table de soins se trouvait toujours le perfuseur du dernier patient qu’elle n’avait pas encore jetée. Elle réussit donc à admettre la perfusion à ma mère, mais la conséquence de cet acte laxiste et ignoble est qu’elle réussit également à transmettre le VIH SIDA à ma chère tendre et douce mère. Comble de malheur !!! Cet acte indécent et maladroit allait malheureusement faire chavirer nos vies à toutes les deux. Et plus jamais, les choses ne seront comme avant.
Me comprenez-vous, chers tous ? Je n’ai pas décidé d’hériter de ces malheurs dans lesquels je suis plongée, noyée, submergée. Les méandres du tourment m’ont avilie. Je ne suis point un déserteur, tu peux me croire là-dessus. Mais là, j’en suis dépitée, je m’en vais et je te laisse continuer ce combat que j’ai commencé depuis fort longtemps.
Je disais donc que ma mère contracta ainsi le virus du SIDA sans le savoir, et même l’infirmière n’en savait rien de tout cela.
Quelques semaines plus tard, elle découvrit, après un malaise, qu’elle était enceinte et au cours des consultations prénatales, on lui apprit qu’elle était séropositive, ce qui, d’après elle était une erreur.
L’on refit les analyses, mais toujours le même et sinistre résultat. Elle ne sût comment l’annoncer à son mari, mon père... Elle vit dans un foyer polygame avec deux autres femmes, mais elle était la dernière épouse et la plus aimée de son mari, ce très vilain chef de village ; et cette mauvaise nouvelle risquait de détruire son foyer et son trône. On devait urgemment convoquer son mari et les deux autres femmes, afin de savoir s’ils étaient également porteurs du virus du SIDA ou pas, en d’autres termes de connaître leur statut sérologique. Les résultats furent négatifs pour son mari ainsi que pour les deux autres femmes, autrement dit pour mon père et mes belles-mères.
Très tôt, la nouvelle fut répandue dans leur petite communauté, et elle était la risée de tout le monde. L’on racontait même qu’elle se donnait à tous les hommes du milieu ou encore qu’elle fût une femme aux mœurs légères. Même son foyer était devenu un véritable calvaire pour elle. On la mettait en quarantaine. Elle ne pouvait plus s’associer aux autres femmes, ni partager le lit de son mari, pas même le toucher ou faire la cuisine ni même la lessive. Grâce aux mauvais conseillers et par les ragots du quartier, mon père décida de congédier sa femme Awa. Il disait qu’elle souillait sa maison et faisait sa honte. Ma mère fut donc renvoyée du village en plein jour et portant une grossesse, ma grossesse. Elle n’avait ni ressources pour subsister, ni personne chez qui se réfugier. Cependant, Chantal la deuxième femme du roi fut prise de compassion pour ma mère et lui indiqua la veille de son départ, de se rendre chez une de ses tantes en ville. Tout était planifié à l’insu de l’homme. Après quelques mois, Awa accoucha d’une mignonne fille nommée Fatimata, moi bien évidemment. C’était un accouchement par césarienne et ma mère y succomba.
Ce que j’ai oublié de mentionner est que le virus du SIDA m’a aussi été transmis. Je suis de ce fait séropositive dès le bas-âge et ce n’était point une situation confortable. A l’école, j’étais la risée de mes camarades et même de certains enseignants. Pendant les récréations, les bonnes dames qui vendaient de la nourriture refusaient de me servir dans leurs plats, ce qui me poussa à avoir un plat dans son sac que je trainais toujours avec moi. A la maison, j’étais fort heureusement comprise, mais ce n’était pas toujours pareil dans le quartier. Le calvaire était encore plus grandissant quand il s’agit de se rendre chez la coiffeuse ou chez la couturière. Après mon Certificat d’Etudes du Premier Cycle (CEPD), tante Aimée décida de me placer en foyer d’accueil, décision que je n’ai jamais réussi à comprendre car elle me comprenait et m’acceptait mieux que quiconque. J’évoluai ainsi de foyer en foyer, de famille en famille jusqu’à l’obtention de mon baccalauréat, après lequel je suivis une formation professionnelle en secrétariat de direction grâce à un programme pour personnes vulnérables dans lequel je fus insérée.
Le monde du travail ne me fût point clément. J’ai multiplié les dépôts pour demande d’embauche sans résultat. Quelques rares fois qu’on m’appelait pour l’interview, dès qu’on apprenait que je suis séropositive ou qu’on me voyait porter le voile, l’on me promettait de me rappeler... Ce qui n’a jamais été le cas. Une fois, j’ai même été violée par un directeur dans son bureau, car je repoussais ses avances malgré le salaire alléchant qu’il me promettait. C’était le jour le plus malheureux de ma vie, où j’ai versé toutes les larmes de mon corps. Je n’avais pas de force pour me défendre et mes cris n’ont pu me sauver. Mais je sais que le ciel le punira si ce n’est pas déjà le cas. Pourquoi la vie est si dure pour moi ? Qu’ai-je fait pour mériter ce si terrible sort ? Je n’avais toujours pas la réponse.
Je me battais pour survivre, mais j’avais toujours l’impression que l’étau se resserrait à chaque fois un peu plus autour de moi. Toutefois, je n’ai jamais arrêté de me battre. Le combat pour une vie meilleure et pour défendre ceux qui souffrent comme moi, je le mène chaque jour, même si ma voix n’était toujours pas entendue ou si l’on se moquait de moi quelques fois. Être séropositive fait de soi un moins que rien ? Ou être musulmane, porter le voile, est-ce là un crime pour être marginalisé ? Pourquoi les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes droits ? J’ai réussi cependant à toucher le cœur d’un commerçant qui m’embaucha comme sa secrétaire-comptable. Il me faisait travailler sans répit, et cela même les dimanches et jours fériés. Malgré cela, mon salaire était quatre fois inférieur à celui de ses autres employés. J’ai finalement compris qu’il voulait juste m’exploiter, profiter de ma vulnérabilité surtout que je n’avais pas de meilleure proposition. Chaque jour, j’étais la risée du personnel. Certains se refusaient même de me saluer par la main ou d’avoir un quelconque contact avec moi.
Noyée dans la dépression et le chagrin, je finis par prendre la décision de mettre fin à mes jours pour ne plus être la honte de la société, cette société également coupable. Je ne veux plus être souillure, rejetée, humiliée, martyrisée.
Chère amie, c’est donc ainsi que je pris cette lourde décision. J’aurais pu faire mieux, je le reconnais. Je n’ai pas été à la hauteur du combat, mais chaque fois que je voulais me faire entendre, personne ne se souciait de moi et ma voix tombait dans le vide. Tu dois comprendre que je suis une exilée involontaire. Mon pire exil est ma situation pitoyable de fille musulmane et séropositive de surcroît, mon lourd fardeau d’humiliation et de moqueries que je traîne chaque jour, sans le moindre grain d’amour pour me redonner le sourire. A toi, mon frère, ma sœur, je te transmets ainsi le flambeau de cette lutte que j’ai commencé. Que le combat pour l’égalité de droit, le vivre ensemble et l’insertion des personnes vulnérables dans la société ne s’arrête pas avec mon départ tragique et pesant pour moi-même. Que ma triste disparition soit le début d’une nouvelle bataille pour un monde meilleur, un monde de paix, d’égalité, un monde pluriel, un monde d’amour pour les exilés. Adieu, bien-aimés !!! »
Toute l’assistance fondit en larmes ; même le policier eut un air accablé et l’on prit conscience de cette triste réalité que des milliers sinon des millions de personnes vivent, éprouvent chaque jour. On emporta le corps sans vie inspirant la compassion et on lui rendit les hommages mérités. Dès lors, l’on réalisa qu’il faut prôner une société juste et de l’’amour pour les personnes vulnérables, ces exilés de la société.