D'une minute à l'autre..


Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. L'aiguille longue et étroite de l'horloge accrochée à la muraille avait frôlé frileusement et avec exactitude le nombre douze. Je jurerai que la durée de ce tour d'aiguille égale la durée de ma vie passée additionnée à la durée de mon existence. Ce laps de temps fut plus long qu'une vie doublée de résurrection. En soixante seconde, tout avait basculé. Une tierce avant, maman était encore là. Elle riait encore. Elle disait qu'il était temps qu'on aille profiter de la vie. Le sourire frénétique qui substituait à un long rire sincère n'avait pas disparu. Au coin de ses lèvres, l'image de ce sourire était encore là quand il eut un déclic. Cela témoignait de la vitesse à laquelle tout a chaviré. Le seul moment que j'eus le temps de cerner fut quand tout s'arrêta. Tout. Sauf l'aiguille étroite de l'horloge. Si elle s'était arrêtée rien ne serait pareil. J'aurai eu le temps de comprendre qu'au milieu des rires, une crise s'est déclenchée. Maman souffrait d'asthme. C'était sa première crise. Elle était confondue au rire. Elle était courte. Elle était subite. Elle était tout, sauf détectable. Je ne savais pas que la réalité de cette dualité était fatale. Je m'en étais pourtant rendu compte trop tôt. Mais, même si le temps pouvait être remonté tout se serait passé ainsi. Ce tour d'aiguille était l'instant du moment. Maman s'était écroulée à mes pieds. Sa tête avait violemment cognée mes orteils. La douleur que j'avais ressentie m'avait poussé à émettre un cri plus audible que mon chagrin. Grande était ma surprise face au monde qui n'avait pas tardé pas à venir partager avec moi le peu d'oxygène que j'arrivais à respirer. Sans mon consentement, un monde inconnu. D'où venait-il ? Je ne saurais jamais le dire.
Malencontreusement, je m'efforçais à supporter le poids qui pesait sur mes épaules à ce moment. J'étais sûr que d'un moment à l'autre je ne manquerais pas de m'effondrer au côté de ma mère. C'était ma prière du jour. Autour de moi, un brouhaha incontrôlable. En un laps de temps, un mythe expliquait l'origine de la mort de maman. Un mythe loin de la réalité sûrement pour apaiser la soif de curiosité. Un mythe conçu sans ma version des faits. N'étais-je pas le seul à avoir vécu avec maman sa dernière minute ? Le poids que je portais s'était doublé. Mes genoux se fléchissait déjà. Mes dernières prières allaient s'exaucer quand une menotte fut brandis au milieu de mon nez.
Monsieur, vous êtes en état d'arrestation pour le meurtre de votre mère. Vous êtes tenus de garder le silence. Tout ce que vous diriez pourrait être retenus contre vous.
Je venais d'entendre la pire absurdité de ma vie. Jusque là je n'avais pu dire mot. Le son de ma voix semblait avoir disparu. Pour m'assurer que tout ce qui se passait ne s'était ajouté la perte de ma langue, j'aspirai un souffle bruyant. A ce moment, je sentis mes mains liées. Je me rendis compte que je perdais vraiment mes sens. En effet, j'essayais de me rappeler du moment où une main m'avait touché histoire de me mettre les menottes mais en vain. J'étais comme hébété face à tout. Je ne pouvais ni parler, ni bouger de mes propres forces. La seule chose que je voyais c'était le corps de maman au sol. Et pourtant il avait été déplacé. Mais je le voyais là, jusqu'au moment où une main robuste me poussa vers la porte pour me mener vers le véhicule de police. A côté, il y avait le corbillard qui devrait se charger de transporter maman. Les moteurs et gyrophares firent mis en marche. Le long du trajet, je fixais la voie qui menait deux êtres que tout liait vers des destins inimaginables. Nos chemins se séparèrent devant la morgue. Le véhicule de police accéléra. A ce moment, je compris que tout était fini. Rien ne serait pareil. Tout était perdu. Une gigantesque larme s'échappa de mes yeux. J'aurai bien aimé la garder plus longtemps histoire de camoufler mon chagrin. Mais hélas, elle était mon seul soulagement. J'eus enfin le courage de demander aux policiers ce que j'avais fait.
Qu'ont-ils répondu ? demanda mon père, mon compagnon de cellule.
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