- Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maître.
Il se remit debout avec difficulté, essuyant d'un geste sec le sang qui coulait de sa bouche.
- J'ai œuvré comme simple serviteur, récurant les sols d'un manoir sous les ordres d'un petit baron. Malgré mes nombreuses erreurs, il ne m'a jamais frappé. Il m'a aidé à me relever, à apprendre ce que je ne connaissais pas. Lui, je l'ai appelé Maître.
Il fit un pas en avant.
- J'ai travaillé dans une forge, avant cela. À part moi et mon instructeur, personne ne s'approchait du feu. Il m'a accueilli et a fait de moi quelque chose de différent, quelque chose de plus grand. Là où tous me voyaient comme une brute seulement bon à manier ses poings, lui vit autre chose. Il m'apprit son art et, dans la chaleur de la forge, j'ai trouvé plus qu'un professeur. Lui, je l'ai appelé Maître.
Il s'avança à nouveau. L'homme qui l'avait mis au sol recula. Un silence tomba sur l'air d'entraînement alors que les autres bizuts observaient le rebelle.
- La forge appartenait à une femme qui m'acheta dans un marché aux esclaves. Elle m'amena au-delà de l'océan, me donnant l'ordre de la protéger. Mais c'est elle qui me protégea. J'étais jeune et perdu. Elle me donna un but, un dos derrière lequel me tenir, des paroles en lesquelles croire. Elle, je l'ai appelée Maîtresse.
L'instructeur fit siffler sa matraque et lui intima l'ordre de se taire, mais le rebelle l'ignora.
- Un moment, je me suis fait marin. J'ai rencontré des gens qui ne disposaient ni de ma force ni de ma stature. Pourtant, ils partaient sur les flots sans peur. Matelot ou capitaine, ils travaillaient ensemble pour défendre leur île et nourrir leurs familles. Rien n'est plus vaste et vide que la mer, mais ils s'y jetaient en souriant. Eux, je les appelais Maîtres.
Des murmures commençaient à éclater autour de lui.
- J'ai voyagé. Sur la route, j'ai rencontré mes frères. Jamais je n'ai trouvé d'hommes plus bons et patients. Ils ne se l'avoueront jamais, mais chacun d'entre eux est un soleil. Sans eux, je serais sûrement mort dans un caniveau, ou devenu une bête dans une arène. Mes frères sont forts et maîtrisent leurs disciplines. Pourtant, ils essayent de se dépasser comme je le fais ici, comme j'ai cru le faire en t'entendant clamer ta maîtrise des armes. Ils essayent de se dépasser, malgré leur force. Pourtant, ce n'est pas pour cela que je les vois comme des Maîtres.
Encore un pas. La matraque vola, rencontra la joue du rebelle, qui ne broncha pas. Le regard lointain, il fut agiter d'un tremblement, puis serra les poings.
- Le premier voyage que mes frères et moi avons effectué... nous avons croisé la route d'une petite fille, qui devint la mienne. Je la pensais faible. Elle tombait malade dès que le vent changeait, ne pouvait manger qu'on cuisait deux fois. Elle apprit à se battre mais, à côté de moi et des frères, elle ne pouvait faire autre chose que pâle figure. Je n'ai compris que bien plus tard qu'elle n'était pas faible, bien au contraire. Dans nos mondes, malgré tout, elle s'acharnait à déceler le bien en chacun. En cela et pour toujours, je l'appellerais Maîtresse.
La matraque vola à nouveau mais il la stoppa en plein vol.
- Une très longue vie que j'ai eue. J'ai appris beaucoup de choses, auprès de beaucoup de ces Maîtres que tu veux rejoindre. N'as-tu pas compris ce qui les relies ? L'amour et le respect. Toi, tu ne maîtrises que la peur.
Dans son immense main, la matraque fut brisée en deux et l'instructeur recula.
- J'ai été investi d'une mission par une impératrice, gouvernant la moitié d'un monde. Elle me paya grassement pour mes efforts. J'aurais pu l'appeler Maîtresse, car elle m'offrit de quoi vivre dix vie. Je ne le fis pas. Elle faisait une très bonne gouvernante, mais les bons gouvernants ne sont pas de bonnes personnes.
Son poing s'écrasa sur le visage de l'instructeur, qui fit deux pas en arrière. Sonné, il se mit malgré tout en garde et envoya un coup de pied dans les côtes du rebelle, qui esquiva au dernier moment.
- Un moment, un peu par hasard, je me suis retrouvé sur un trône, régnant sur un archipel. J'ai alors rencontré bien des rois et reines, mes voisins et confrères. Chacun, dans leurs belles parures raffinées, me virent arriver avec dégoût, moi l'homme ensanglanté ayant pris les rênes d'un pays par la force. Ils restaient cependant mes seniors. Ils avaient beaucoup à m'apprendre, les armées de leurs royaumes étaient bien plus larges que les miennes, leurs coffres bien plus remplis, leur bibliothèque plus fournies. J'aurais pu les appeler Maîtres, mais je ne le fis pas. Car il m'observait avec la même suffisance que toi.
Il leva ses bras pour bloquer deux coups de poing rapides dirigés vers sa glotte, puis grogna en recevant un genou dans le ventre.
- Je ne compte plus le nombre de personnes ayant cherché à me contrôler. Certains voulaient me briser, d'autres que je rejoigne leurs idéaux, leurs quêtes, leurs combats. J'ai croisé la route de ce qu'on peut appeler des dieux vivants, j'ai même croisé des dieux morts pourtant bien loquaces. Beaucoup d'êtres comme toi.
Le rebelle s'avança soudain et s'empara des avant-bras de l'homme, qu'il souleva de terre. L'instructeur était grand, mais il ne faisait pas face à un humain.
- Comme toi, ils trouvaient trop dur de gagner mon respect. Et je les comprends. Je l'ai moi aussi fait de nombreuses fois. Pourquoi s'attarder en longue discussion quand une menace bien sentie fait l'affaire ? Pourquoi perdre sa vie en soliloque quand la mort peut faire gagner tant de tant ? Car c'est ce que fait la peur, n'est-ce pas : elle appelle la mort.
Il souleva l'humain encore plus haut avant de le propulser vers le sol, soulevant un nuage de poussière et de cris choqués.
- Tu utilises la peur, car elle appelle la mort. Tu comptes sur notre instinct de survie pour qu'on t'obéisse, pour te faciliter la tâche.
Il écarta les bras, montrant les autres bizuts. Ils venaient de loin. Comme lui, beaucoup avaient déjà une longue vie de combat derrière eux et cherchaient à se perfectionner pour faire face à des menaces toujours plus grandes.
- Regarde-les, ceux chez qui tu essayes de faire naître le domaine de la mort. Ne les vois-tu pas pour ce qu'ils sont ? Les voilà, mes Maîtres, ceux dignes de mon respect. Chacun pourrait m'apprendre mille choses et pour cela je m'incline devant eux. Car l'expérience de leur vie prolongera la mienne.
Le rebelle baissa les yeux vers l'humain à ses pieds.
- Mais pas toi. Car la mort n'est pas la Maîtresse de ma vie.
Il se remit debout avec difficulté, essuyant d'un geste sec le sang qui coulait de sa bouche.
- J'ai œuvré comme simple serviteur, récurant les sols d'un manoir sous les ordres d'un petit baron. Malgré mes nombreuses erreurs, il ne m'a jamais frappé. Il m'a aidé à me relever, à apprendre ce que je ne connaissais pas. Lui, je l'ai appelé Maître.
Il fit un pas en avant.
- J'ai travaillé dans une forge, avant cela. À part moi et mon instructeur, personne ne s'approchait du feu. Il m'a accueilli et a fait de moi quelque chose de différent, quelque chose de plus grand. Là où tous me voyaient comme une brute seulement bon à manier ses poings, lui vit autre chose. Il m'apprit son art et, dans la chaleur de la forge, j'ai trouvé plus qu'un professeur. Lui, je l'ai appelé Maître.
Il s'avança à nouveau. L'homme qui l'avait mis au sol recula. Un silence tomba sur l'air d'entraînement alors que les autres bizuts observaient le rebelle.
- La forge appartenait à une femme qui m'acheta dans un marché aux esclaves. Elle m'amena au-delà de l'océan, me donnant l'ordre de la protéger. Mais c'est elle qui me protégea. J'étais jeune et perdu. Elle me donna un but, un dos derrière lequel me tenir, des paroles en lesquelles croire. Elle, je l'ai appelée Maîtresse.
L'instructeur fit siffler sa matraque et lui intima l'ordre de se taire, mais le rebelle l'ignora.
- Un moment, je me suis fait marin. J'ai rencontré des gens qui ne disposaient ni de ma force ni de ma stature. Pourtant, ils partaient sur les flots sans peur. Matelot ou capitaine, ils travaillaient ensemble pour défendre leur île et nourrir leurs familles. Rien n'est plus vaste et vide que la mer, mais ils s'y jetaient en souriant. Eux, je les appelais Maîtres.
Des murmures commençaient à éclater autour de lui.
- J'ai voyagé. Sur la route, j'ai rencontré mes frères. Jamais je n'ai trouvé d'hommes plus bons et patients. Ils ne se l'avoueront jamais, mais chacun d'entre eux est un soleil. Sans eux, je serais sûrement mort dans un caniveau, ou devenu une bête dans une arène. Mes frères sont forts et maîtrisent leurs disciplines. Pourtant, ils essayent de se dépasser comme je le fais ici, comme j'ai cru le faire en t'entendant clamer ta maîtrise des armes. Ils essayent de se dépasser, malgré leur force. Pourtant, ce n'est pas pour cela que je les vois comme des Maîtres.
Encore un pas. La matraque vola, rencontra la joue du rebelle, qui ne broncha pas. Le regard lointain, il fut agiter d'un tremblement, puis serra les poings.
- Le premier voyage que mes frères et moi avons effectué... nous avons croisé la route d'une petite fille, qui devint la mienne. Je la pensais faible. Elle tombait malade dès que le vent changeait, ne pouvait manger qu'on cuisait deux fois. Elle apprit à se battre mais, à côté de moi et des frères, elle ne pouvait faire autre chose que pâle figure. Je n'ai compris que bien plus tard qu'elle n'était pas faible, bien au contraire. Dans nos mondes, malgré tout, elle s'acharnait à déceler le bien en chacun. En cela et pour toujours, je l'appellerais Maîtresse.
La matraque vola à nouveau mais il la stoppa en plein vol.
- Une très longue vie que j'ai eue. J'ai appris beaucoup de choses, auprès de beaucoup de ces Maîtres que tu veux rejoindre. N'as-tu pas compris ce qui les relies ? L'amour et le respect. Toi, tu ne maîtrises que la peur.
Dans son immense main, la matraque fut brisée en deux et l'instructeur recula.
- J'ai été investi d'une mission par une impératrice, gouvernant la moitié d'un monde. Elle me paya grassement pour mes efforts. J'aurais pu l'appeler Maîtresse, car elle m'offrit de quoi vivre dix vie. Je ne le fis pas. Elle faisait une très bonne gouvernante, mais les bons gouvernants ne sont pas de bonnes personnes.
Son poing s'écrasa sur le visage de l'instructeur, qui fit deux pas en arrière. Sonné, il se mit malgré tout en garde et envoya un coup de pied dans les côtes du rebelle, qui esquiva au dernier moment.
- Un moment, un peu par hasard, je me suis retrouvé sur un trône, régnant sur un archipel. J'ai alors rencontré bien des rois et reines, mes voisins et confrères. Chacun, dans leurs belles parures raffinées, me virent arriver avec dégoût, moi l'homme ensanglanté ayant pris les rênes d'un pays par la force. Ils restaient cependant mes seniors. Ils avaient beaucoup à m'apprendre, les armées de leurs royaumes étaient bien plus larges que les miennes, leurs coffres bien plus remplis, leur bibliothèque plus fournies. J'aurais pu les appeler Maîtres, mais je ne le fis pas. Car il m'observait avec la même suffisance que toi.
Il leva ses bras pour bloquer deux coups de poing rapides dirigés vers sa glotte, puis grogna en recevant un genou dans le ventre.
- Je ne compte plus le nombre de personnes ayant cherché à me contrôler. Certains voulaient me briser, d'autres que je rejoigne leurs idéaux, leurs quêtes, leurs combats. J'ai croisé la route de ce qu'on peut appeler des dieux vivants, j'ai même croisé des dieux morts pourtant bien loquaces. Beaucoup d'êtres comme toi.
Le rebelle s'avança soudain et s'empara des avant-bras de l'homme, qu'il souleva de terre. L'instructeur était grand, mais il ne faisait pas face à un humain.
- Comme toi, ils trouvaient trop dur de gagner mon respect. Et je les comprends. Je l'ai moi aussi fait de nombreuses fois. Pourquoi s'attarder en longue discussion quand une menace bien sentie fait l'affaire ? Pourquoi perdre sa vie en soliloque quand la mort peut faire gagner tant de tant ? Car c'est ce que fait la peur, n'est-ce pas : elle appelle la mort.
Il souleva l'humain encore plus haut avant de le propulser vers le sol, soulevant un nuage de poussière et de cris choqués.
- Tu utilises la peur, car elle appelle la mort. Tu comptes sur notre instinct de survie pour qu'on t'obéisse, pour te faciliter la tâche.
Il écarta les bras, montrant les autres bizuts. Ils venaient de loin. Comme lui, beaucoup avaient déjà une longue vie de combat derrière eux et cherchaient à se perfectionner pour faire face à des menaces toujours plus grandes.
- Regarde-les, ceux chez qui tu essayes de faire naître le domaine de la mort. Ne les vois-tu pas pour ce qu'ils sont ? Les voilà, mes Maîtres, ceux dignes de mon respect. Chacun pourrait m'apprendre mille choses et pour cela je m'incline devant eux. Car l'expérience de leur vie prolongera la mienne.
Le rebelle baissa les yeux vers l'humain à ses pieds.
- Mais pas toi. Car la mort n'est pas la Maîtresse de ma vie.