Douce Affliction

Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité.
Tic...Tac...Tic...Tac... Un son banal mais qui résonne tellement fort lorsque le silence est la seule chose qui nous entoure. Ce bruit agaçant, incessant voire même horripilant a annoncé, ce qui fut un temps, le meilleur jour de ma vie. Fugaces, poignants et libérateurs, tels ont été les sentiments qui m'ont traversé ce jour-là.
Fugaces, car aujourd'hui j'ai l'impression d'avoir vécu un mensonge tant les sensations qui m'ont envahies à ce moment-là se sont effritées.
Poignants, car aujourd'hui j'ai l'impression que je ne pourrai plus jamais ressentir avec autant de force.
Et libérateurs, car mon cœur ne m'a jamais semblé aussi léger que ce jour-là. Un jour, qui, en fin de compte, fut d'une banalité affligeante pour le reste du monde tandis que moi, c'est de l'effondrement du mien dont j'étais spectatrice.
Un matin, je me suis réveillée, en sentant que quelque chose était différent. Un coup au cœur ne m'aurait pas autant atteint et pendant 1...2...3...30...60 secondes, j'ai inspiré et expiré comme une tarée. Non parce que j'avais tout à coup trouvé un sens à ma vie mais parce que mes yeux semblaient s'ouvrir pour la première fois depuis mes piètres 21 années d'existence. J'ai eu un flashback de ma courte vie, j'ai repensé à tout ce temps à passer à faire semblant, à n'être heureuse qu'en façade, à être triste et à porter mes peines seule. Parce que quoique l'on fasse, le plus malheureux et démoralisant de cette vie est de se dire que malgré tout ce qu'on aurait pu faire, on resterait indéfiniment seul.
Ce jour-là, alors qu'il faisait beau, que le soleil brillait haut dans le ciel bleu accompagné de ses fidèles amies les nuages, j'ai trouvé ma lumière. Et je me rappelle avoir prié et espéré si fort pour ne plus jamais la perdre. Oui, j'étais heureuse et tellement effrayée à la fois. Effrayée de voir le monde avec autant de clarté. Je me suis demandée combien de gens passent leur vie à se chercher, à ne vivre qu'à travers les autres mais ne trouvent rien qui justifie pourquoi une vie aussi misérable et remplie de solitude vaudrait la peine d'être vécue.
Rédemption.
Une notion, un concept qu'on a du mal à comprendre, à saisir tant elle semble inatteignable dans le monde où le bien dépend de la perception de chacun. Un monde où celui qui ne suit pas le chemin qui lui a été tracé perd un peu plus chaque jour une partie de lui-même. Car il ne sait pas qui il est, il ne sait pas comment rendre réelle l'idée qu'il se fait de lui, de sa vie, de ses rêves et de son bonheur.
Sur plus de huit milliards d'habitants sur Terre, combien de personnes arrivent à trouver LA raison pour laquelle elles sont nées et vivent? Combien de temps perdons-nous dans une vie à essayer de trouver qui on est, d'où l'on vient et ce à quoi on est destiné? Une minute? Une vie? Ou une éternité?
Ce "qui" que j'évoque fait référence à l'essence même de ce que nous sommes, de ce que nous représentons, de ce que nous défendons et aimons. Beaucoup de questions m'ont longtemps tourmentées et m'ont toujours laissé un arrière goût amer dans la bouche et jusqu'au plus profond de mes entrailles.
En vérité, c'était mon être intérieur qui s'exprimait, qui a souffert à un point où mon corps ne pouvait plus le supporter. Pourquoi sommes-nous tellement nombreux à penser qu'à travers l'autre, on peut être complété ou se sentir moins seul. Aucun de nous, n'a t-il jamais voulu accepter et comprendre, quelque soit la force ou la conviction qu'on peut y mettre, qu'on ne pourra jamais fusionner avec une autre personne. Peu importe à quel point elle fait partie de nous et à quel point nous en faisons le centre de notre monde. Pourquoi espère t-on depuis des années, des décennies, des siècles, des millénaires les mêmes choses en croyant que nous pouvons de nous même régler cette sempiternelle question de la solitude.
Qui d'entre nous n'a jamais voulu croire qu'il était spécial et que les choses iraient autrement pour lui car il est exceptionnel. Est-ce à dire qu'on est spécial parce que personne d'autre que nous ne peut vivre notre vie à notre place?
Pourquoi versons-nous autant d'effort à construire des relations, à tisser des liens que l'on sait aussi dénouables qu'instables.
Peut-on réellement aimer une personne, le ressentir jusqu'aux tripes et lui tourner le dos le lendemain. La réponse est définitivement NON pour moi. Moi, dont le cœur a tellement eu de mal à comprendre que ce vide qui l'a si longtemps rempli n'allait pas de soi. Combien de blessures a-t-on encaissées au cours de nos vies, aussi courtes soient-t-elles, aussi instables, difficiles et inspirantes soient-t-elles. Qui nous a fait croire que la souffrance était normale, que nous devions avoir mal pour réaliser le bonheur, que nous devions nous sacrifier pour aider l'autre à vivre, que nous devions donner encore et encore sans jamais espérer quelque chose en retour. Sous prétexte que quoi; que nous sommes des gens bien? Bien, mais pour qui, pourquoi et jusqu'à quelles limites?
Laissez-moi rire, je parie que c'est la même personne qui a écrit ce proverbe allemand "Le juste doit beaucoup souffrir." ou bien celui qui a imaginé ce proverbe français "L'homme qui n'a jamais souffert ne connaît rien." qui ont imaginé et fait croire cette chimère à nous autres, mortels. Pardonnez-moi de douter d'une citation venant d'un recueil dont le nom "Le recueil d'apophtegmes et axiomes"est aussi illisible qu'un tableau blanc vu par un élève myope assis au dernier rang de la classe.
En 20 ans, approximativement 240 mois, environ 7 300 jours, environ 172,800 heures, rien ne m'a semblé aussi clair que ces 60 secondes. 60 vraies secondes où j'ai enfin compris qui j'étais, pourquoi je vivais. 60 secondes pour répondre à cette question qui m'avait été posée la veille au soir avant que je ne sombre dans le sommeil : Es-tu heureuse ?
Fermant les yeux, inspirant l'air de la nature une ultime fois, et sous le ciel toujours aussi bleu, j'ai pensé un OUI si fort. Et j'ai souri vaguement et sereinement, en remerciant la force de mon imagination qu'aucun bip incessant, ni odeur antiseptique ni douleur ne sauraient surpasser. Car même si ma chair se désagrège et disparaît, cette vie ne m'a jamais paru si belle que lorsqu'elle touche à sa fin.
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