Toute histoire commence un jour, quelque part ; dans un métro ou au plein milieu de la rue. Les histoires se mêlent, s’entremêlent sans pour autant se croiser. Chacun de nous possède une histoire qui lui est unique, il la fait voyager avec lui comme son ombre sauf que cette histoire ne disparaît pas lorsqu’il fait noir, elle s’accentue.
Les gens que je croise dans la rue, et à qui j’effleure l’épaule par un simple geste de « laissez-moi passer s’il vous plaît », ceux qui s’assoient à mes côtés dans le bus, qui partagent mon quotidien sans pour autant y pénétrer ; je ne les vois plus comme des simples inconnus mais comme des histoires remplient d’émotions, de secrets et de faux-espoir. Les unes marchent toutes confiantes de ce qu’elles portent, tandis que les autres avancent tête baissée, alourdies par le poids des souvenirs.
La vie n’est qu’un bazar d’histoires qui pèsent sur les épaules de chacun de nous, et quand nous ferons plus partie de ce monde, nous les emporterons avec nous et nous cesserons d’exister. Mon histoire réussira-t-elle à franchir le seuil de l’oublie ? Résistera-t-elle au flux de la vie ? Ou irai-je, un jour, inconnue comme j’ai vécu ?
Ces mots se croisent dans ma tête chaque nuit pour former un texte, un discours, une réflexion que je n’ai jamais pu dire à voix haute. Des pensées qui deviennent de plus en plus intenses à chaque fois que j’y pense, mais que je n’ai jamais pu extérioriser. Maintenant, je me sens prête comme jamais. Quelque chose au fond de moi me pousse et me motive de révéler ma vraie identité, de ne plus avoir peur de qui étais-je vraiment avant de devenir qui je suis aujourd’hui. Pourquoi cette soudaine envie d’assumer mon passé ? Un passé que j’ai tant repoussé ; pourquoi éprouvais-je le besoin d’affronter les histoires du monde munie de ma propre histoire qui me pèse sur les épaules et que je suis la seule à sentir son poids s’alourdir au fil du temps ? Pour le reste du monde je suis Lynda Ghoste, 37 ans meilleure actrice de l’année et l’idole de beaucoup de filles ; pour moi : je suis quelqu’un qui vit dans l’ombre de quelqu’un d’autre depuis des années.
J’ouvre les yeux pour émerger de ces réflexions quand soudain, les battements de mon cœur s’accélèrent, j’ai froid au dos. Il fait noir et humide, je ne sais plus quel jour sommes-nous ? Et je suis ligotée...
12 heures avant :
Je rentre chez moi après une soirée passée chez un ami. Il est minuit passé, et il fait un froid de canard. La tenue que je porte et trop légère pour me réchauffer. Toute seule dans ma voiture, je roule avec les paroles d’ «i’am on my way » dans ma tête quand je remarque, soudain, dans le rétroviseur un van noir qui me suivait depuis que j’ai quitté le domicile de mon ami Léo. Je bifurque à droite dans une petite ruelle pour le perdre. Je ne le vois plus dans le rétroviseur. Je crois que je l’ai perdu. A peine soulagée, qu’on me barre la route et on descend avec des mitraillettes. Je suis pétrifiée. Le froid et la peur ne vont pas ensemble, car je n’arrive pas à crier.
Ce ne sont pas les mitraillettes qui me font peur, mais c’est le visage que je vois devant moi. Une silhouette qui sort des ténèbres pour m’y conduire. La descente aux Enfers de mon passé est un sentiment plus fort que la peur.
Vingt ans avant :
«Mon cher journal,
Je m’appelle Lynda Ghoste, et j’ai 17 ans. Je n’ai jamais connu mes parents ; comme tous les enfants de cet orphelinat d’ailleurs. Je t’écris pour t’annoncer que je ferai 18 ans dans deux mois et toi et moi serons libres, on pourrait quitter ces lieux et s’épanouir quelque part dans le monde. Je t’emmènerai avec moi, mon cher journal, et je te promets que d’ici quelques mois je ne t’annoncerai que de bonnes nouvelles, fini les mauvais souvenirs et la peur. J’entrerai en fac de médecine et je trouverai un petit travail pour subvenir à mes besoins. Si Maya accepte, nous pouvons louer un petit appartement ensemble elle et moi et nous vivrons en paix sous le toit de notre amitié. Maya est ma meilleure amie, ma confidente. Certes, nous n’avons pas les mêmes rêves et les mêmes ambitions elle et moi, mais nous nous entendons super bien. Elle me fait rire tout le temps. Elle sait faire semblant et jouer les rôles les plus difficiles lorsqu’il s’agit de bluffer Mme. Murielle pour esquiver les punitions quand nous faisons des bêtises. Je crois que c’est pour cela qu’elle veut devenir actrice. Nous nous ressemblons tellement physiquement et parfois on a du mal à nous distinguer car ici personne ne nous connait vraiment. Nous sommes toutes les deux blondes avec des yeux bleus, nous avons la même taille et nous portons toujours les mêmes vêtements et nous sommes tout le temps ensemble. Dès que nous fêterons nos 18 ans, nous quitterons les lieux pour de bon. Elle, elle veut retrouver ses parents mais moi je veux réussir ma vie, je ne veux pas la passer à la recherche des gens qui m’ont abandonnée. »
L’heure zéro :
- Bonsoir Maya, ou dois-je t’appeler Lynda. C’est comme ça que tout le monde t’appelle non !
Je n’ai pas pu articuler quoique se soit, elle se tient devant moi avec une arme pointée dans ma direction. Elle n’a pas beaucoup changé mais son regard n’est plus le même.
- Embarquez-là, dis mon sosie.
Vingt ans avant :
- Entrez monsieur, rappelez moi votre nom s’il vous plaît ! dit Mme. Murielle, la directrice de l’orphelinat.
- Merci, je m’appelle Patrice Ghoste, et je suis là à la recherche de ma nièce Lynda Ghoste.
Mme. Murielle a ouvert grand les yeux, elle était choquée, elle avait reçu Lynda il ya 17 ans déjà. Personne n’était jamais venu la chercher.
- Je présume que vous avez les papiers nécessaires pour prouver votre lien de parenté avec Mlle. Lynda, monsieur Ghoste, dit-elle la gorge sèche.
- Oui bien évidemment Mme, répondit-il fermement.
- Veuillez m’attendre ici s’il vous plaît, articula-t-elle en se précipitant vers la porte.
***
« Mon cher journal,
Je ne sais par où commencer ni comment te décrire la bouffé de sentiments qui m’envahis en ce moment. Comment appelle-t-on le mélange de joie et de tristesse en même temps ? Ou celui du soulagement et de la colère ? "Un cocktail explosif peut être!". Oui c’est ça ! C’est exactement ça ! Car ma poitrine va exploser de douleur. Lynda a retrouvé sa famille, elle qui ne voulait pas d’eux, ils sont venus la chercher ; et moi qui voulait tellement retrouver la mienne je me retrouve coincée ici sans ma meilleure copine qui doit me quitter demain. Je ne dis pas que je ne suis pas contente pour elle mais, pourquoi la vie est-elle si injuste !? Je ne veux plus vivre, je ne mérite plus cette vie. »
***
Cette nuit est ma dernière nuit ici. Demain, oncle Patrice viendra me chercher, je suis tellement ravie de pouvoir quitter cet endroit et je suis tellement triste car je dois me séparer de Maya. Mais je lui ai promis de venir lui rendre visite chaque semaine et elle pourra venir chez moi si elle le veut bien sûr. Je sais qu’elle aussi est triste mais elle ne laisse rien apparaître. Elle est là, devant moi, en train de se déshabiller pour porter son pyjama car on s’apprête à dormir. La tache de naissance qu’elle a sur le dos m’amuse, j’ai l’impression qu’elle ressemble à la carte d’Italie. Chaque soir, nous inventions des histoires à propos de cette tache jusqu’à ce que le sommeil nous emporte. Mais pas cette nuit-là, car Maya ne m’a même pas dit bonne nuit, elle s’est mise sous sa couette en me retournant le dos. Je crois qu’elle pleure en silence.
L’heure zéro :
Il fait noir, j’arrive à peine à distinguer l’endroit où je me retrouve. Je crois que je suis dans une cabine rustique dans une forêt au milieu de nulle part, car j’entends les cries des animaux. Après plusieurs tentatives j’arrive à me détacher et me libérer du fil qui me ligote. Le premier réflexe que j’ai, est de chercher la sortie. Sauf que je n’ai pas fait attention au calme qui règne autour de moi. Un silence pesant qui envoie un message très clair et que moi je n’ai pas pu déchiffrer « méfie toi c’est le calme qui précède la tempête. ». Étrangement la porte était ouverte, je suis debout sur son seuil sans pouvoir le franchir, car la vue de la forêt qui s’étend devant moi me foudroie. Un souvenir très lointain émerge brusquement et me dit : « bienvenue, la porte des Enfers vient d’être ouverte ».
Vingt ans avant :
Cela fait 20 jours que Lynda est partie, elle m’a promis de venir me voir mais elle n’a donné aucun signe de vie. Elle m’a oubliée, elle a raison. Elle a sa famille maintenant, pourquoi chercherait-elle après moi ? Je lui en veux tellement. C’est moi qui aurai du avoir cette famille et pas elle. Elle ne la mérite pas, car depuis le début elle ne voulait pas la retrouver. Je suis sûre qu’elle l’utilise juste pour avoir une vie meilleure, elle ne les aime pas. C’est moi qui mérite cette famille.
Aujourd’hui l’orphelinat nous organise une sortie à la forêt, je n’ai pas envie d’y aller, mais Mme. Murielle insiste. Je la déteste cette sorcière. Elle m’a même obligée de porter une robe que Lynda m’a envoyée comme cadeau.
***
Mme. Murielle a appelé mon oncle Patrice et lui a demandé de me conduire à la forêt Paradise-Hill, qui n’est pas très loin de l’orphelinat, où ils organisent une sortie ; elle ne veut pas que Maya se retrouve toute seule, "elle a un cœur finalement cette femme !"
Dans la voiture, en chemin, je n’ai pas pu me taire et j’ai posé la question qui me brûlait les lèvres depuis des années :
- Oncle Patrice, pourquoi mes parents m’ont-ils abandonnée. Je sais que tu m’as interdite de poser cette question mais il me faut des réponses.
- Faut que tu comprennes qu’ils étaient obligés Lynda, ils n’avaient pas le choix.
- Comment peut-on abandonner son enfant dans un orphelinat en se sentant obligé de le faire ! criai-je toute furieuse.
- Tes parents n’avaient que 22 ans lorsqu’ils vous ont eus, bon sang ! Ils n’étaient pas en mesures d’élever deux enfants. Ton père n’a pas assumé, il s’est enfui comme un lâche. Lorsqu’on a su c’était déjà trop tard, ta mère avait déménagé avec sa famille, et on a perdu vos traces. Ça fait des années que je vous cherche, balança-t-il en criant.
- Deux enfants ! articulai-je époustouflée.
Il a ouvert la vitre et a allumé une cigarette, puis il a répondit calmement :
- A ce qu’il paraît ta mère était enceinte de deux jumelles lorsqu’elle a quitté la ville. Après l’accouchement, sa famille t’a déposée à l’orphelinat et a donnée ta sœur à une famille d’accueil.
Mon cerveau est sur le point de s’arrêter. J’ai mal au crâne. J’ai envie de vomir. Ma respiration s’accélère.
- J’ai une sœur ! dis-je entre mes lèvres.
- Oui Lynda tu as une sœur jumelle, dit-il péniblement. Ton père est décédé 7 ans après l’incident, il n’a pas arrêté de chercher votre mère. Lorsqu’il a trouvé enfin sa trace, il a su qu’elle avait donné naissance à deux jumelles et qu’elle était morte en accouchant.
Ses mots résonnent dans ma tête comme un tonnerre, je veux qu’il se tait, je n’ai plus la force d’entendre quoique se soit, mais il continue sur le même rythme, enveloppé dans la fumée de sa cigarette :
- Ton grand père maternelle affirme que sa fille avait accouché à la maison de deux filles l’une d’elle avait une drôle de tache de naissance sur le dos. C’était la première et la dernière fois qu’il avait vu ses petites-filles.
- Une tache de naissance qui ressemble à la carte d’Italie, n’est ce pas ! dis-je doucement, le souffle coupé, les larmes qui coulent sur mon visage en silence.
- Comment sais-tu ça ? s’étonna-t-il.
- Je te le dirai quand on arrivera à la forêt.
J’ai mis ma tête contre la vitre et j’ai regardé les paysages se défilés. Il n’a pas insisté.
L’heure zéro :
J’ai pris mon courage à deux main, je suis sortie de la cabine, j’ai reconnu l’endroit, j’ai reconnu le puits où je l’avais poussée. J’ai revu la scène devant moi comme si c’était hier. Elle était debout juste-là, elle voulait me parler, elle pleurait et elle criait, on était loin des autres. Mais moi je ne voulais rien entendre. Elle pensait qu’en portant la même robe que moi, et en se coiffant les cheveux comme on avait l’habitude de le faire, elle allait ravivait les souvenirs de notre amitié. Elle avait tort ! Car ma colère était bien plus profonde.
- Avance ! dit une voix derrière mon dos. Le canon froid du revolver sur ma nuque.
- Lynda ! dis-je, je suis sincèrement désolée, ce n’était pas mon intention de te tuer, je ne pensais pas que le puits était si profond, je voulais juste te faire du mal. Pardonne-moi, ma sœur s’il te plaît.
Je pleure, je tremble, j’ai froid. Mais elle, elle se tient derrière moi comme une statue, indifférente à mes mots.
- Ah ! tu es au courant que je suis ta sœur Maya ! cela ne m’étonne pas vu que tu as pris ma place dans la famille, articula-t-elle fermement. Comment t’as pu les duper pendant tout ce temps ! comment t’as pu vivre avec ça en sachant que tu as tué ta propre sœur ! cria-t-elle en enfonçant le canon encore plus dans ma nuque. Avance ! ton histoire s’arrêtera ici Maya et la mienne commencera ici. Le retour à la case départ est parfois bénéfique.
- Lynda, s’il te plaît pardonne-moi, je te jure que je vais tout avouer, à la famille et à tout le monde, dis-je le souffle coupé.
- Retourne-toi, je veux que tu me regarde droit dans les yeux quand j’appuierai sur la détente. Je veux que tu me supplie comme je l’avais fait il y a 20 ans.
Je me suis retournée doucement, elle avait les yeux rouges, le regard menaçant et moi j’étais pleine de panique. Le canon devant moi et le puits derrière moi ; je n’ai pas où aller.
- Toute histoire commence un jour, quelque part ; mais la tienne s’achève aujourd’hui au milieu de nulle part...
Les gens que je croise dans la rue, et à qui j’effleure l’épaule par un simple geste de « laissez-moi passer s’il vous plaît », ceux qui s’assoient à mes côtés dans le bus, qui partagent mon quotidien sans pour autant y pénétrer ; je ne les vois plus comme des simples inconnus mais comme des histoires remplient d’émotions, de secrets et de faux-espoir. Les unes marchent toutes confiantes de ce qu’elles portent, tandis que les autres avancent tête baissée, alourdies par le poids des souvenirs.
La vie n’est qu’un bazar d’histoires qui pèsent sur les épaules de chacun de nous, et quand nous ferons plus partie de ce monde, nous les emporterons avec nous et nous cesserons d’exister. Mon histoire réussira-t-elle à franchir le seuil de l’oublie ? Résistera-t-elle au flux de la vie ? Ou irai-je, un jour, inconnue comme j’ai vécu ?
Ces mots se croisent dans ma tête chaque nuit pour former un texte, un discours, une réflexion que je n’ai jamais pu dire à voix haute. Des pensées qui deviennent de plus en plus intenses à chaque fois que j’y pense, mais que je n’ai jamais pu extérioriser. Maintenant, je me sens prête comme jamais. Quelque chose au fond de moi me pousse et me motive de révéler ma vraie identité, de ne plus avoir peur de qui étais-je vraiment avant de devenir qui je suis aujourd’hui. Pourquoi cette soudaine envie d’assumer mon passé ? Un passé que j’ai tant repoussé ; pourquoi éprouvais-je le besoin d’affronter les histoires du monde munie de ma propre histoire qui me pèse sur les épaules et que je suis la seule à sentir son poids s’alourdir au fil du temps ? Pour le reste du monde je suis Lynda Ghoste, 37 ans meilleure actrice de l’année et l’idole de beaucoup de filles ; pour moi : je suis quelqu’un qui vit dans l’ombre de quelqu’un d’autre depuis des années.
J’ouvre les yeux pour émerger de ces réflexions quand soudain, les battements de mon cœur s’accélèrent, j’ai froid au dos. Il fait noir et humide, je ne sais plus quel jour sommes-nous ? Et je suis ligotée...
12 heures avant :
Je rentre chez moi après une soirée passée chez un ami. Il est minuit passé, et il fait un froid de canard. La tenue que je porte et trop légère pour me réchauffer. Toute seule dans ma voiture, je roule avec les paroles d’ «i’am on my way » dans ma tête quand je remarque, soudain, dans le rétroviseur un van noir qui me suivait depuis que j’ai quitté le domicile de mon ami Léo. Je bifurque à droite dans une petite ruelle pour le perdre. Je ne le vois plus dans le rétroviseur. Je crois que je l’ai perdu. A peine soulagée, qu’on me barre la route et on descend avec des mitraillettes. Je suis pétrifiée. Le froid et la peur ne vont pas ensemble, car je n’arrive pas à crier.
Ce ne sont pas les mitraillettes qui me font peur, mais c’est le visage que je vois devant moi. Une silhouette qui sort des ténèbres pour m’y conduire. La descente aux Enfers de mon passé est un sentiment plus fort que la peur.
Vingt ans avant :
«Mon cher journal,
Je m’appelle Lynda Ghoste, et j’ai 17 ans. Je n’ai jamais connu mes parents ; comme tous les enfants de cet orphelinat d’ailleurs. Je t’écris pour t’annoncer que je ferai 18 ans dans deux mois et toi et moi serons libres, on pourrait quitter ces lieux et s’épanouir quelque part dans le monde. Je t’emmènerai avec moi, mon cher journal, et je te promets que d’ici quelques mois je ne t’annoncerai que de bonnes nouvelles, fini les mauvais souvenirs et la peur. J’entrerai en fac de médecine et je trouverai un petit travail pour subvenir à mes besoins. Si Maya accepte, nous pouvons louer un petit appartement ensemble elle et moi et nous vivrons en paix sous le toit de notre amitié. Maya est ma meilleure amie, ma confidente. Certes, nous n’avons pas les mêmes rêves et les mêmes ambitions elle et moi, mais nous nous entendons super bien. Elle me fait rire tout le temps. Elle sait faire semblant et jouer les rôles les plus difficiles lorsqu’il s’agit de bluffer Mme. Murielle pour esquiver les punitions quand nous faisons des bêtises. Je crois que c’est pour cela qu’elle veut devenir actrice. Nous nous ressemblons tellement physiquement et parfois on a du mal à nous distinguer car ici personne ne nous connait vraiment. Nous sommes toutes les deux blondes avec des yeux bleus, nous avons la même taille et nous portons toujours les mêmes vêtements et nous sommes tout le temps ensemble. Dès que nous fêterons nos 18 ans, nous quitterons les lieux pour de bon. Elle, elle veut retrouver ses parents mais moi je veux réussir ma vie, je ne veux pas la passer à la recherche des gens qui m’ont abandonnée. »
L’heure zéro :
- Bonsoir Maya, ou dois-je t’appeler Lynda. C’est comme ça que tout le monde t’appelle non !
Je n’ai pas pu articuler quoique se soit, elle se tient devant moi avec une arme pointée dans ma direction. Elle n’a pas beaucoup changé mais son regard n’est plus le même.
- Embarquez-là, dis mon sosie.
Vingt ans avant :
- Entrez monsieur, rappelez moi votre nom s’il vous plaît ! dit Mme. Murielle, la directrice de l’orphelinat.
- Merci, je m’appelle Patrice Ghoste, et je suis là à la recherche de ma nièce Lynda Ghoste.
Mme. Murielle a ouvert grand les yeux, elle était choquée, elle avait reçu Lynda il ya 17 ans déjà. Personne n’était jamais venu la chercher.
- Je présume que vous avez les papiers nécessaires pour prouver votre lien de parenté avec Mlle. Lynda, monsieur Ghoste, dit-elle la gorge sèche.
- Oui bien évidemment Mme, répondit-il fermement.
- Veuillez m’attendre ici s’il vous plaît, articula-t-elle en se précipitant vers la porte.
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« Mon cher journal,
Je ne sais par où commencer ni comment te décrire la bouffé de sentiments qui m’envahis en ce moment. Comment appelle-t-on le mélange de joie et de tristesse en même temps ? Ou celui du soulagement et de la colère ? "Un cocktail explosif peut être!". Oui c’est ça ! C’est exactement ça ! Car ma poitrine va exploser de douleur. Lynda a retrouvé sa famille, elle qui ne voulait pas d’eux, ils sont venus la chercher ; et moi qui voulait tellement retrouver la mienne je me retrouve coincée ici sans ma meilleure copine qui doit me quitter demain. Je ne dis pas que je ne suis pas contente pour elle mais, pourquoi la vie est-elle si injuste !? Je ne veux plus vivre, je ne mérite plus cette vie. »
***
Cette nuit est ma dernière nuit ici. Demain, oncle Patrice viendra me chercher, je suis tellement ravie de pouvoir quitter cet endroit et je suis tellement triste car je dois me séparer de Maya. Mais je lui ai promis de venir lui rendre visite chaque semaine et elle pourra venir chez moi si elle le veut bien sûr. Je sais qu’elle aussi est triste mais elle ne laisse rien apparaître. Elle est là, devant moi, en train de se déshabiller pour porter son pyjama car on s’apprête à dormir. La tache de naissance qu’elle a sur le dos m’amuse, j’ai l’impression qu’elle ressemble à la carte d’Italie. Chaque soir, nous inventions des histoires à propos de cette tache jusqu’à ce que le sommeil nous emporte. Mais pas cette nuit-là, car Maya ne m’a même pas dit bonne nuit, elle s’est mise sous sa couette en me retournant le dos. Je crois qu’elle pleure en silence.
L’heure zéro :
Il fait noir, j’arrive à peine à distinguer l’endroit où je me retrouve. Je crois que je suis dans une cabine rustique dans une forêt au milieu de nulle part, car j’entends les cries des animaux. Après plusieurs tentatives j’arrive à me détacher et me libérer du fil qui me ligote. Le premier réflexe que j’ai, est de chercher la sortie. Sauf que je n’ai pas fait attention au calme qui règne autour de moi. Un silence pesant qui envoie un message très clair et que moi je n’ai pas pu déchiffrer « méfie toi c’est le calme qui précède la tempête. ». Étrangement la porte était ouverte, je suis debout sur son seuil sans pouvoir le franchir, car la vue de la forêt qui s’étend devant moi me foudroie. Un souvenir très lointain émerge brusquement et me dit : « bienvenue, la porte des Enfers vient d’être ouverte ».
Vingt ans avant :
Cela fait 20 jours que Lynda est partie, elle m’a promis de venir me voir mais elle n’a donné aucun signe de vie. Elle m’a oubliée, elle a raison. Elle a sa famille maintenant, pourquoi chercherait-elle après moi ? Je lui en veux tellement. C’est moi qui aurai du avoir cette famille et pas elle. Elle ne la mérite pas, car depuis le début elle ne voulait pas la retrouver. Je suis sûre qu’elle l’utilise juste pour avoir une vie meilleure, elle ne les aime pas. C’est moi qui mérite cette famille.
Aujourd’hui l’orphelinat nous organise une sortie à la forêt, je n’ai pas envie d’y aller, mais Mme. Murielle insiste. Je la déteste cette sorcière. Elle m’a même obligée de porter une robe que Lynda m’a envoyée comme cadeau.
***
Mme. Murielle a appelé mon oncle Patrice et lui a demandé de me conduire à la forêt Paradise-Hill, qui n’est pas très loin de l’orphelinat, où ils organisent une sortie ; elle ne veut pas que Maya se retrouve toute seule, "elle a un cœur finalement cette femme !"
Dans la voiture, en chemin, je n’ai pas pu me taire et j’ai posé la question qui me brûlait les lèvres depuis des années :
- Oncle Patrice, pourquoi mes parents m’ont-ils abandonnée. Je sais que tu m’as interdite de poser cette question mais il me faut des réponses.
- Faut que tu comprennes qu’ils étaient obligés Lynda, ils n’avaient pas le choix.
- Comment peut-on abandonner son enfant dans un orphelinat en se sentant obligé de le faire ! criai-je toute furieuse.
- Tes parents n’avaient que 22 ans lorsqu’ils vous ont eus, bon sang ! Ils n’étaient pas en mesures d’élever deux enfants. Ton père n’a pas assumé, il s’est enfui comme un lâche. Lorsqu’on a su c’était déjà trop tard, ta mère avait déménagé avec sa famille, et on a perdu vos traces. Ça fait des années que je vous cherche, balança-t-il en criant.
- Deux enfants ! articulai-je époustouflée.
Il a ouvert la vitre et a allumé une cigarette, puis il a répondit calmement :
- A ce qu’il paraît ta mère était enceinte de deux jumelles lorsqu’elle a quitté la ville. Après l’accouchement, sa famille t’a déposée à l’orphelinat et a donnée ta sœur à une famille d’accueil.
Mon cerveau est sur le point de s’arrêter. J’ai mal au crâne. J’ai envie de vomir. Ma respiration s’accélère.
- J’ai une sœur ! dis-je entre mes lèvres.
- Oui Lynda tu as une sœur jumelle, dit-il péniblement. Ton père est décédé 7 ans après l’incident, il n’a pas arrêté de chercher votre mère. Lorsqu’il a trouvé enfin sa trace, il a su qu’elle avait donné naissance à deux jumelles et qu’elle était morte en accouchant.
Ses mots résonnent dans ma tête comme un tonnerre, je veux qu’il se tait, je n’ai plus la force d’entendre quoique se soit, mais il continue sur le même rythme, enveloppé dans la fumée de sa cigarette :
- Ton grand père maternelle affirme que sa fille avait accouché à la maison de deux filles l’une d’elle avait une drôle de tache de naissance sur le dos. C’était la première et la dernière fois qu’il avait vu ses petites-filles.
- Une tache de naissance qui ressemble à la carte d’Italie, n’est ce pas ! dis-je doucement, le souffle coupé, les larmes qui coulent sur mon visage en silence.
- Comment sais-tu ça ? s’étonna-t-il.
- Je te le dirai quand on arrivera à la forêt.
J’ai mis ma tête contre la vitre et j’ai regardé les paysages se défilés. Il n’a pas insisté.
L’heure zéro :
J’ai pris mon courage à deux main, je suis sortie de la cabine, j’ai reconnu l’endroit, j’ai reconnu le puits où je l’avais poussée. J’ai revu la scène devant moi comme si c’était hier. Elle était debout juste-là, elle voulait me parler, elle pleurait et elle criait, on était loin des autres. Mais moi je ne voulais rien entendre. Elle pensait qu’en portant la même robe que moi, et en se coiffant les cheveux comme on avait l’habitude de le faire, elle allait ravivait les souvenirs de notre amitié. Elle avait tort ! Car ma colère était bien plus profonde.
- Avance ! dit une voix derrière mon dos. Le canon froid du revolver sur ma nuque.
- Lynda ! dis-je, je suis sincèrement désolée, ce n’était pas mon intention de te tuer, je ne pensais pas que le puits était si profond, je voulais juste te faire du mal. Pardonne-moi, ma sœur s’il te plaît.
Je pleure, je tremble, j’ai froid. Mais elle, elle se tient derrière moi comme une statue, indifférente à mes mots.
- Ah ! tu es au courant que je suis ta sœur Maya ! cela ne m’étonne pas vu que tu as pris ma place dans la famille, articula-t-elle fermement. Comment t’as pu les duper pendant tout ce temps ! comment t’as pu vivre avec ça en sachant que tu as tué ta propre sœur ! cria-t-elle en enfonçant le canon encore plus dans ma nuque. Avance ! ton histoire s’arrêtera ici Maya et la mienne commencera ici. Le retour à la case départ est parfois bénéfique.
- Lynda, s’il te plaît pardonne-moi, je te jure que je vais tout avouer, à la famille et à tout le monde, dis-je le souffle coupé.
- Retourne-toi, je veux que tu me regarde droit dans les yeux quand j’appuierai sur la détente. Je veux que tu me supplie comme je l’avais fait il y a 20 ans.
Je me suis retournée doucement, elle avait les yeux rouges, le regard menaçant et moi j’étais pleine de panique. Le canon devant moi et le puits derrière moi ; je n’ai pas où aller.
- Toute histoire commence un jour, quelque part ; mais la tienne s’achève aujourd’hui au milieu de nulle part...