Nouvelles
8 min
Collège Dominicain de Philosophie et de Théologie
Dix ans, c'est trop jeune pour mourir...
Toute histoire commence un jour, quelque part ; celle-ci commence un lundi soir, alors que je suis en train de faire mes devoirs sur la table de la cuisine pendant que maman prépare le souper. Nous venons tout juste d’emménager dans le quartier réputé comme étant le plus dangereux de Montréal. Bien sûr, maman a tout fait pour me le cacher, mais mon amie Sophie me l’a dit.
Dehors, il fait déjà noir et, comme la-plupart des lampadaires ne fonctionnent pas, il fait très sombre. Cela me rend nerveuse. Comme toujours, la porte d’entrée est verrouillée et les rideaux sont tirés. Je sais que maman se sent plus en sécurité, de cette manière-là. C’est mon cas aussi, d’ailleurs.
Le souper que maman est en train de préparer est mon préféré : son fameux macaroni au fromage maison. J’ai tellement faim. Cela sent si bon que j’en ai l’eau à la bouche !
C’est aussi le repas préféré de Danika, l’héroïne du roman que j’ai commencé il y a quelques semaines. J’espère terminer mes devoirs rapidement et pouvoir lire quelques chapitres, ce soir, avant de me coucher. J’aurai sans doute le temps, car je peux me coucher un peu plus tard, maintenant que nous vivons plus près de l’école.
J’aime bien Danika parce que, tout comme moi, elle est rousse. Par contre, étant une héroïne, sa vie est beaucoup moins monotone que la mienne. Non seulement elle a des pouvoirs magiques, mais en plus, elle fait toujours face à pleins de dangers pour sauver l’humanité de même que sa propre vie. Elle est tellement courageuse ! En plus, elle a déjà treize ans. Chanceuse ! J’ai tellement hâte d’être au secondaire, moi aussi.
Étant perdue dans mes pensées, je sursaute lorsque l’on cogne à la porte d’entrée, qui se trouve à l’extrémité de la maison opposée à la cuisine, à l’autre bout du long couloir. Je regarde maman. Elle aussi semble surprise. Il y a de quoi : nous n’avons pas reçu de visite depuis que nous habitons ici, et nous n’attendons personne. Je vois très bien qu’elle hésite à aller ouvrir.
On frappe de plus belle. Alors que je regarde vers l’entrée, je vois du coin de l'œil maman qui hausse les épaules et, l’air appréhensif, elle sort de la cuisine pour aller ouvrir la porte.
Je la perds de vue alors qu’elle s’avance jusqu’à l’autre extrémité du couloir sombre. Je l’entends enlever tranquillement la chaîne de la porte, puis retirer le verrou. Sans vraiment savoir pourquoi, je retiens mon souffle. Lorsqu’elle ouvre, mon cœur saute un battement. J’entends une exclamation de surprise, suivi d’un bruit sourd. Puis, plus rien. J’ai l’impression d’attendre, figée sur place, pendant une éternité. C’est alors que j’entends un long hurlement qui me glace le sang. Toute pensée s’évapore de mon esprit pour faire place à une seule : c’est maman qui a crié !
Sans réfléchir, je me précipite vers l’entrée. J’ai l’impression d’avancer au ralenti, voire pas du tout, comme dans un cauchemar où un monstre nous poursuit et que l’on court de toutes nos forces sans parcourir un centimètre. Mon esprit, quant à lui, n’a jamais fonctionné aussi rapidement. Je m’imagine tous les scénarios possibles pendant cette course interminable.
Arrivée à une dizaine de mètres, la porte d’entrée laissée grande ouverte permet finalement à mes yeux de percer l’obscurité. La vision qui s’offre alors à moi est digne des pires films d’horreur. Maman est étendue dans une position étrange et elle ne bouge pas d’un poil. Est-elle évanouie ?
Si jusqu’à présent le temps avait ralenti, maintenant, il s’est complètement arrêté. Mes oreilles bourdonnent. Comme une idiote, mon premier réflexe est de me pincer dans l’espoir que tout ceci n’est qu’un rêve. Évidemment, ce n’est pas le cas.
C’est alors que je remarque l’homme, accroupi dans le noir, légèrement penché au-dessus d’elle. Ses longs cheveux emmêlés paraissent sales et m’empêchent d’apercevoir son visage. Dans sa main, il tient un long couteau, dont la lame scintille à la lumière de l’unique lampadaire encore allumé dans la rue. Il relève la tête et ses yeux fous viennent trouver les miens. Il sourit d’un air dément, dévoilant deux rangées de dents jaunies, dont plusieurs sont manquantes. Il se relève et se met à marcher calmement dans ma direction, comme si nous étions de vieux amis.
Mes yeux se portent de nouveau vers maman, pour finalement se poser sur la mare de liquide sombre qui grandit sur le plancher et qui semble provenir d’elle. Du sang ? SON sang ?!
Soudain, je sais. Cet homme a poignardé maman. Sa vie est en train de la quitter, si elle n’est pas déjà morte... et il est ici pour me tuer, moi aussi.
Le temps se remet brusquement à avancer. Je me retourne d’un coup et je me mets à courir dans la direction opposée, cherchant désespérément une cachette. Je suis tellement paniquée que je glisse sur le tapis et je tombe à la renverse. Tout devient noir.
Sans savoir comment, je me retrouve accroupie, terrorisée, dans le fond du garde-robe de ma chambre, derrière mes robes. Je ne me rappelle même pas avoir monté l'escalier, mais mon souffle court m’indique que j’ai dû courir à toute vitesse. Mon corps tout comme mon esprit sont totalement pétrifiés. Je prends soudainement conscience de la douleur lancinante que je ressens à la tête. Je me rappelle vaguement avoir glissé et me l’être cognée, mais peu m’importe. La seule pensée qui fait son chemin jusqu’à la surface, en boucle, encore et encore, est la suivante : dix ans, c’est trop jeune pour mourir... Dix ans, c’est trop jeune pour mourir... Dix ans, c’est trop jeune pour mourir... Je ne veux pas mourir.
En bas, tout est silencieux. Je tends l’oreille de toutes mes forces, guettant le moindre bruissement. Rien. Absolument rien. Plusieurs minutes s’écoulent. J’ose à peine respirer, je n’ose toujours pas bouger, et encore moins sortir de ma cachette.
L’image de maman étendue, mutilée, refait surface dans mon esprit. Je la repousse de toutes mes forces en étouffant un sanglot. Affolée, je réalise que j’ai émis un son étouffé. Dans le silence de mort qui règne, je suis convaincue que ce faible son a produit un écho qui s’est propagé jusqu’à l’autre bout de la ville.
Comme pour me donner raison, j’entends soudainement un craquement en bas de l’escalier, suivi de pas lourds qui montent les marches. C’est lui. Je le sais. Il m’a entendue.
Je me recroqueville encore plus, tout au fond du garde-robe. Je suis totalement sans défense et je le sais. Je ne peux rien faire contre lui. Il me trouvera et ce sera la fin. Je me sens presque résignée.
Sans savoir pourquoi, je me mets à penser au voyage en Floride que j’ai fait avec maman, l’été dernier. Mon père était là, lui aussi. Il faisait tellement beau et tellement chaud. Je peux presque sentir le soleil et le vent doux sur ma peau, alors que j’étais étendue dans le sable sur la plage blanche qui s’étendait à l’infini. J’ai passé des journées entières couchée ainsi à lire mes romans préférés. Mes romans...
À ce moment, je repense à Danika. Que ferait-elle en ce moment ? Je dois absolument être courageuse comme elle. Si seulement j’avais ses pouvoirs magiques, ce serait tellement plus facile. J’aurais bien sûr commencé par foncer sur l’homme à toute vitesse et le repousser jusqu’à l’autre bout de la ville en utilisant ma force surhumaine. Ensuite, j’aurais utilisé mes pouvoirs de guérison sur maman. Finalement, nous nous serions envolées, elle et moi, jusqu’à la planète Mars, où nous aurions été en sécurité. Il n’aurait jamais pu nous suivre jusque là-bas.
Bien sûr, tout cela est impossible pour moi, mais même sans ses pouvoirs, je suis certaine que Danika ferait face au danger la tête haute et qu’elle trouverait un moyen de se battre. Ce qui est certain, c’est qu’elle ne resterait pas recroquevillée au fond d’un garde-robe en attendant qu’on la tue, et que je ne le ferai pas, non plus.
Remplie d’un tout nouvel espoir et d’un regain d’énergie, je rassemble mes forces. Je me relève lentement du fond du garde-robe. Dix ans, c’est définitivement trop jeune pour mourir, et je ne me laisserai pas faire. J’ai un plan. Il s’agit que je parvienne à sortir dehors sans qu’il ne m’attrape et alors, il ne pourra rien faire. Dès que je serai dehors, je pourrai appeler à l’aide et quelqu’un m’entendra. Quelqu’un viendra à mon secours.
Plissant les yeux, je tente de voir ce qui se trouve autour de moi, espérant apercevoir un objet dont je pourrais me servir comme d’une arme. Je me saisis du parapluie posé contre le mur. C’est parfait ! Je me souviens d’une fois où Danika a vaincu un assaillant avec un parapluie.
J’entrouvre lentement la porte du garde-robe. Je tends l’oreille de toutes mes forces pour tenter de percevoir du mouvement par-dessus les tambourinements incessants de mon cœur. Un craquement léger m’indique qu’il me cherche dans le bureau, qui est situé à l’autre bout de l’étage. Ma voie jusqu’à l’escalier est libre. C’est ma chance !
Ne me souciant plus d’être silencieuse, me souciant uniquement d’être aussi rapide que possible, je repousse violemment la porte et je m’élance jusqu’à l’escalier, que je dévale à toute vitesse. Je sens que l’homme se lance à mes trousses plus que je ne le vois ou ne l’entends. Malheureusement pour moi, mon arme de fortune me ralentit. Rendue au milieu de ma descente affolée, je sens une douleur aiguë au crâne et je suis brutalement freinée dans ma course, ce qui me fait perdre pied. Alors que je déboule le reste des marches, je comprends qu’il m’a saisie par les cheveux. J’atterris en bas la tête première. Je tente à peine de me relever que je sens un poids énorme me tomber dessus et je m’affaisse par terre à nouveau. C’est lui !
Je suis prise de panique. À l’aveuglette, je balance le parapluie de toutes mes forces dans sa direction, priant pour atteindre ma cible. Un grognement étouffé se fait entendre et je me sens libérée du fardeau de son poids. Je me relève aussitôt et me mets à courir vers la porte d’entrée. Accablée, je réalise que celle-ci a été refermée. Je redouble d’ardeur dans ma course, espérant que le parapluie l’aura sonné suffisamment pour que j’aie le temps d’ouvrir la porte avant qu’il ne me rattrape.
Tout se déroule alors comme au ralenti. J’atteins la porte en enjambant le corps de maman. Je dérape un peu dans son sang, mais je parviens à me maintenir debout et je tourne vigoureusement la poignée. Elle est verrouillée ! Je tourne le verrou et je m’apprête à essayer de l’ouvrir de nouveau lorsqu’il me saisit par les cheveux. Désespérée, je réalise que j’ai laissé tomber le parapluie dans ma course vers la sortie. Je m’accroche à la poignée de toutes mes forces. Je sens ses mains qui passent de mes cheveux à mon cou alors qu’il me tire vers l’arrière. Puis, il serre.
Je suffoque. N’en pouvant plus, je lâche ma prise pour porter mes mains à mon cou, par-dessus les siennes, et tenter de défaire sa poigne de fer. Je tombe à la renverse vers l’arrière, m’effondrant sur lui de tout mon poids.
Il serre toujours pendant que je me débats comme un diable. Mes forces commencent à me quitter. Ma vision se brouille. Mes oreilles ne perçoivent plus qu’un bourdonnement. Je sens mon corps devenir tout engourdi, jusqu’à ce que la seule sensation que j’aie soit celle de ses mains se resserrant de plus en plus fort. Un goût de fer s’immisce dans ma bouche sans même que je réalise qu’il s’agit de mon propre sang.
Il relâche sa prise et je me projette négligemment par-dessus maman. Me demandant pourquoi il m’a lâchée, je tousse sans parvenir à bouger. Je prends une énorme respiration et son parfum monte jusqu’à mes narines. Je reconnais son odeur. C’est toujours la même.
Je devine plus que je ne sens la lame du couteau qui me transperce le dos, directement dans le cœur. Je mourrai déchirée par la même lame que maman. Je sens ma vie me glisser entre les doigts. Alors que tout devient noir, une dernière pensée se forme à mon esprit. Je n’en reviens pas. Si j’avais su que tout se terminerait ainsi... Après tout, dix ans, c’est trop jeune pour mourir... surtout de la main de son père.
Dehors, il fait déjà noir et, comme la-plupart des lampadaires ne fonctionnent pas, il fait très sombre. Cela me rend nerveuse. Comme toujours, la porte d’entrée est verrouillée et les rideaux sont tirés. Je sais que maman se sent plus en sécurité, de cette manière-là. C’est mon cas aussi, d’ailleurs.
Le souper que maman est en train de préparer est mon préféré : son fameux macaroni au fromage maison. J’ai tellement faim. Cela sent si bon que j’en ai l’eau à la bouche !
C’est aussi le repas préféré de Danika, l’héroïne du roman que j’ai commencé il y a quelques semaines. J’espère terminer mes devoirs rapidement et pouvoir lire quelques chapitres, ce soir, avant de me coucher. J’aurai sans doute le temps, car je peux me coucher un peu plus tard, maintenant que nous vivons plus près de l’école.
J’aime bien Danika parce que, tout comme moi, elle est rousse. Par contre, étant une héroïne, sa vie est beaucoup moins monotone que la mienne. Non seulement elle a des pouvoirs magiques, mais en plus, elle fait toujours face à pleins de dangers pour sauver l’humanité de même que sa propre vie. Elle est tellement courageuse ! En plus, elle a déjà treize ans. Chanceuse ! J’ai tellement hâte d’être au secondaire, moi aussi.
Étant perdue dans mes pensées, je sursaute lorsque l’on cogne à la porte d’entrée, qui se trouve à l’extrémité de la maison opposée à la cuisine, à l’autre bout du long couloir. Je regarde maman. Elle aussi semble surprise. Il y a de quoi : nous n’avons pas reçu de visite depuis que nous habitons ici, et nous n’attendons personne. Je vois très bien qu’elle hésite à aller ouvrir.
On frappe de plus belle. Alors que je regarde vers l’entrée, je vois du coin de l'œil maman qui hausse les épaules et, l’air appréhensif, elle sort de la cuisine pour aller ouvrir la porte.
Je la perds de vue alors qu’elle s’avance jusqu’à l’autre extrémité du couloir sombre. Je l’entends enlever tranquillement la chaîne de la porte, puis retirer le verrou. Sans vraiment savoir pourquoi, je retiens mon souffle. Lorsqu’elle ouvre, mon cœur saute un battement. J’entends une exclamation de surprise, suivi d’un bruit sourd. Puis, plus rien. J’ai l’impression d’attendre, figée sur place, pendant une éternité. C’est alors que j’entends un long hurlement qui me glace le sang. Toute pensée s’évapore de mon esprit pour faire place à une seule : c’est maman qui a crié !
Sans réfléchir, je me précipite vers l’entrée. J’ai l’impression d’avancer au ralenti, voire pas du tout, comme dans un cauchemar où un monstre nous poursuit et que l’on court de toutes nos forces sans parcourir un centimètre. Mon esprit, quant à lui, n’a jamais fonctionné aussi rapidement. Je m’imagine tous les scénarios possibles pendant cette course interminable.
Arrivée à une dizaine de mètres, la porte d’entrée laissée grande ouverte permet finalement à mes yeux de percer l’obscurité. La vision qui s’offre alors à moi est digne des pires films d’horreur. Maman est étendue dans une position étrange et elle ne bouge pas d’un poil. Est-elle évanouie ?
Si jusqu’à présent le temps avait ralenti, maintenant, il s’est complètement arrêté. Mes oreilles bourdonnent. Comme une idiote, mon premier réflexe est de me pincer dans l’espoir que tout ceci n’est qu’un rêve. Évidemment, ce n’est pas le cas.
C’est alors que je remarque l’homme, accroupi dans le noir, légèrement penché au-dessus d’elle. Ses longs cheveux emmêlés paraissent sales et m’empêchent d’apercevoir son visage. Dans sa main, il tient un long couteau, dont la lame scintille à la lumière de l’unique lampadaire encore allumé dans la rue. Il relève la tête et ses yeux fous viennent trouver les miens. Il sourit d’un air dément, dévoilant deux rangées de dents jaunies, dont plusieurs sont manquantes. Il se relève et se met à marcher calmement dans ma direction, comme si nous étions de vieux amis.
Mes yeux se portent de nouveau vers maman, pour finalement se poser sur la mare de liquide sombre qui grandit sur le plancher et qui semble provenir d’elle. Du sang ? SON sang ?!
Soudain, je sais. Cet homme a poignardé maman. Sa vie est en train de la quitter, si elle n’est pas déjà morte... et il est ici pour me tuer, moi aussi.
Le temps se remet brusquement à avancer. Je me retourne d’un coup et je me mets à courir dans la direction opposée, cherchant désespérément une cachette. Je suis tellement paniquée que je glisse sur le tapis et je tombe à la renverse. Tout devient noir.
Sans savoir comment, je me retrouve accroupie, terrorisée, dans le fond du garde-robe de ma chambre, derrière mes robes. Je ne me rappelle même pas avoir monté l'escalier, mais mon souffle court m’indique que j’ai dû courir à toute vitesse. Mon corps tout comme mon esprit sont totalement pétrifiés. Je prends soudainement conscience de la douleur lancinante que je ressens à la tête. Je me rappelle vaguement avoir glissé et me l’être cognée, mais peu m’importe. La seule pensée qui fait son chemin jusqu’à la surface, en boucle, encore et encore, est la suivante : dix ans, c’est trop jeune pour mourir... Dix ans, c’est trop jeune pour mourir... Dix ans, c’est trop jeune pour mourir... Je ne veux pas mourir.
En bas, tout est silencieux. Je tends l’oreille de toutes mes forces, guettant le moindre bruissement. Rien. Absolument rien. Plusieurs minutes s’écoulent. J’ose à peine respirer, je n’ose toujours pas bouger, et encore moins sortir de ma cachette.
L’image de maman étendue, mutilée, refait surface dans mon esprit. Je la repousse de toutes mes forces en étouffant un sanglot. Affolée, je réalise que j’ai émis un son étouffé. Dans le silence de mort qui règne, je suis convaincue que ce faible son a produit un écho qui s’est propagé jusqu’à l’autre bout de la ville.
Comme pour me donner raison, j’entends soudainement un craquement en bas de l’escalier, suivi de pas lourds qui montent les marches. C’est lui. Je le sais. Il m’a entendue.
Je me recroqueville encore plus, tout au fond du garde-robe. Je suis totalement sans défense et je le sais. Je ne peux rien faire contre lui. Il me trouvera et ce sera la fin. Je me sens presque résignée.
Sans savoir pourquoi, je me mets à penser au voyage en Floride que j’ai fait avec maman, l’été dernier. Mon père était là, lui aussi. Il faisait tellement beau et tellement chaud. Je peux presque sentir le soleil et le vent doux sur ma peau, alors que j’étais étendue dans le sable sur la plage blanche qui s’étendait à l’infini. J’ai passé des journées entières couchée ainsi à lire mes romans préférés. Mes romans...
À ce moment, je repense à Danika. Que ferait-elle en ce moment ? Je dois absolument être courageuse comme elle. Si seulement j’avais ses pouvoirs magiques, ce serait tellement plus facile. J’aurais bien sûr commencé par foncer sur l’homme à toute vitesse et le repousser jusqu’à l’autre bout de la ville en utilisant ma force surhumaine. Ensuite, j’aurais utilisé mes pouvoirs de guérison sur maman. Finalement, nous nous serions envolées, elle et moi, jusqu’à la planète Mars, où nous aurions été en sécurité. Il n’aurait jamais pu nous suivre jusque là-bas.
Bien sûr, tout cela est impossible pour moi, mais même sans ses pouvoirs, je suis certaine que Danika ferait face au danger la tête haute et qu’elle trouverait un moyen de se battre. Ce qui est certain, c’est qu’elle ne resterait pas recroquevillée au fond d’un garde-robe en attendant qu’on la tue, et que je ne le ferai pas, non plus.
Remplie d’un tout nouvel espoir et d’un regain d’énergie, je rassemble mes forces. Je me relève lentement du fond du garde-robe. Dix ans, c’est définitivement trop jeune pour mourir, et je ne me laisserai pas faire. J’ai un plan. Il s’agit que je parvienne à sortir dehors sans qu’il ne m’attrape et alors, il ne pourra rien faire. Dès que je serai dehors, je pourrai appeler à l’aide et quelqu’un m’entendra. Quelqu’un viendra à mon secours.
Plissant les yeux, je tente de voir ce qui se trouve autour de moi, espérant apercevoir un objet dont je pourrais me servir comme d’une arme. Je me saisis du parapluie posé contre le mur. C’est parfait ! Je me souviens d’une fois où Danika a vaincu un assaillant avec un parapluie.
J’entrouvre lentement la porte du garde-robe. Je tends l’oreille de toutes mes forces pour tenter de percevoir du mouvement par-dessus les tambourinements incessants de mon cœur. Un craquement léger m’indique qu’il me cherche dans le bureau, qui est situé à l’autre bout de l’étage. Ma voie jusqu’à l’escalier est libre. C’est ma chance !
Ne me souciant plus d’être silencieuse, me souciant uniquement d’être aussi rapide que possible, je repousse violemment la porte et je m’élance jusqu’à l’escalier, que je dévale à toute vitesse. Je sens que l’homme se lance à mes trousses plus que je ne le vois ou ne l’entends. Malheureusement pour moi, mon arme de fortune me ralentit. Rendue au milieu de ma descente affolée, je sens une douleur aiguë au crâne et je suis brutalement freinée dans ma course, ce qui me fait perdre pied. Alors que je déboule le reste des marches, je comprends qu’il m’a saisie par les cheveux. J’atterris en bas la tête première. Je tente à peine de me relever que je sens un poids énorme me tomber dessus et je m’affaisse par terre à nouveau. C’est lui !
Je suis prise de panique. À l’aveuglette, je balance le parapluie de toutes mes forces dans sa direction, priant pour atteindre ma cible. Un grognement étouffé se fait entendre et je me sens libérée du fardeau de son poids. Je me relève aussitôt et me mets à courir vers la porte d’entrée. Accablée, je réalise que celle-ci a été refermée. Je redouble d’ardeur dans ma course, espérant que le parapluie l’aura sonné suffisamment pour que j’aie le temps d’ouvrir la porte avant qu’il ne me rattrape.
Tout se déroule alors comme au ralenti. J’atteins la porte en enjambant le corps de maman. Je dérape un peu dans son sang, mais je parviens à me maintenir debout et je tourne vigoureusement la poignée. Elle est verrouillée ! Je tourne le verrou et je m’apprête à essayer de l’ouvrir de nouveau lorsqu’il me saisit par les cheveux. Désespérée, je réalise que j’ai laissé tomber le parapluie dans ma course vers la sortie. Je m’accroche à la poignée de toutes mes forces. Je sens ses mains qui passent de mes cheveux à mon cou alors qu’il me tire vers l’arrière. Puis, il serre.
Je suffoque. N’en pouvant plus, je lâche ma prise pour porter mes mains à mon cou, par-dessus les siennes, et tenter de défaire sa poigne de fer. Je tombe à la renverse vers l’arrière, m’effondrant sur lui de tout mon poids.
Il serre toujours pendant que je me débats comme un diable. Mes forces commencent à me quitter. Ma vision se brouille. Mes oreilles ne perçoivent plus qu’un bourdonnement. Je sens mon corps devenir tout engourdi, jusqu’à ce que la seule sensation que j’aie soit celle de ses mains se resserrant de plus en plus fort. Un goût de fer s’immisce dans ma bouche sans même que je réalise qu’il s’agit de mon propre sang.
Il relâche sa prise et je me projette négligemment par-dessus maman. Me demandant pourquoi il m’a lâchée, je tousse sans parvenir à bouger. Je prends une énorme respiration et son parfum monte jusqu’à mes narines. Je reconnais son odeur. C’est toujours la même.
Je devine plus que je ne sens la lame du couteau qui me transperce le dos, directement dans le cœur. Je mourrai déchirée par la même lame que maman. Je sens ma vie me glisser entre les doigts. Alors que tout devient noir, une dernière pensée se forme à mon esprit. Je n’en reviens pas. Si j’avais su que tout se terminerait ainsi... Après tout, dix ans, c’est trop jeune pour mourir... surtout de la main de son père.