Cela faisait des mois que je la cherchais. Après cette soirée du 4 novembre, personne ne l'avait plus revue. En rentrant de chez notre grand-mère avec Nino, mon père nous attendait, seul, assis dans le salon et l'air inquiet. Maman n'était pas rentrée ce soir-là. Les jours suivants, elle n'était toujours pas revenue. Au bout de quelques semaines, les enquêteurs avait classé l'affaire sans suite à cause du manque de pistes pour la retrouver. Ils avaient même annoncé à papa qu'il fallait accepter l'idée que ce pouvait être un départ volontaire. Aucun de nous ne voulait y croire et même après cela, nous avons continué à l'attendre. Chaque soir, Nino dressait la table pour quatre personnes, mais elle manquait toujours à l'appel. Devant le lycée, je patientais des heures qu'elle vienne me chercher avant de me résigner à prendre le dernier bus. L'idée qu'elle ne veuille plus de nous m'était insupportable. Mais surtout, je ne comprenais pas. Il est vrai que l'on connaissait des moments difficiles et que des disputes éclataient de temps en temps, mais malgré tout, nous formions une belle famille et nous étions heureux ensemble, du moins c'est ce que je pensais. Papa et Nino avaient fini par perdre espoir, mais pas moi. Je voulais retrouver ma mère, du moins comprendre pourquoi elle nous avait soudainement abandonnés.
Comment était-il possible qu'elle n'ait laissé aucune trace derrière elle au moment de son départ ? Mes chances de la ramener à la maison diminuaient de jour en jour, mais je refusais de baisser les bras et d'accepter la situation, comme me le conseillait mon père. Je savais que si je me faisais à l'idée, elle serait morte dans mon cœur. Sa disparition jouait sur nos émotions à tous. Mon père était devenu nerveux, irrité et nous n'avions pas le droit de parler d'elle devant lui, ni de poser de questions. C'était sans doute au-dessus de ses forces. Pour ma part, mes notes avaient fortement baissé et je m'étais renfermée sur moi-même, ce qui m'avait coûté plusieurs de mes amies. Mes professeurs avaient été mis au courant, mais je ne voulais pas de leur pitié. Mon humeur changeait sans cesse et je n'aimais pas ça. En plus de cela, je devais rester forte pour Nino, qui était encore petit. Parfois, il me rejoignait dans mon lit le soir pour me demander si c'était parce que maman ne l'aimait plus qu'elle était partie et je m'efforçais de le rassurer en retenant mes larmes. J'étais en colère contre elle d'avoir délaissé son fils. Il avait besoin d'elle pour grandir. En ce qui me concernait, je pouvais tenir le coup mais je sentais que mon frère était perturbé par la situation. Les jours passaient et ma vie était dénuée de sens. Mes questions sans réponses revenaient sans cesse dans ma tête. J'avais tout essayé pour arrêter d'y penser mais rien n'y faisait. Sa disparition m'obsédait.
Un jeudi où mon père était au travail et Nino à l'école, je décidai de m'accorder une journée plus tranquille, sans aller en cours. Au point où j'en étais, le lycée était le cadet de mes soucis. J'en avais plus qu'assez de toute cette histoire et j'avais bien besoin de me reposer un peu.
Mais le temps s'étirait au fil des heures et très vite, je ne sus plus comment m'occuper. Une fois de plus, je ne pensais qu'à ma mère. Ne pas savoir où elle était me rendait folle. Je me rappelai soudain que quelques années auparavant, elle avait créé un dossier pour chacun de nous où l'on retrouvait à l'intérieur tout un tas d'informations et de papiers importants, rangés dans la chambre parentale. Je n'aimais pas l'idée de fouiller en l'absence de mon père, mais j'avais besoin de réponses et peut-être que le dossier maternel pourrait me renseigner.
Je pénétrai dans la pièce d'un pas hésitant. Il y avait bien longtemps que je n'y étais pas entrée. Mon père vivait mal l'absence de ma mère, et la chambre le reflétait : les draps étaient défaits, des vêtements étaient éparpillés un peu partout sur le parquet et le désordre régnait dans la pièce. Je me sentais mal à l'aise, avec l'impression de découvrir l'intimité de mon père et ses faiblesses en douce. Je secouai la tête pour chasser ces pensées de mon esprit et me dirigeai vers le chiffonnier qui contenait nos quatre dossiers.
Après avoir farfouillé quelques minutes parmi les nombreuses factures, fiches de paie et autres documents, je mis enfin la main sur ce que je cherchais. La pochette verte, intitulé « Marion DUPET » pesait entre mes mains. J'appréhendais ce que je pouvais découvrir à l'intérieur. Je l'ouvris avec précaution et mon œil fut attiré par un coin d'enveloppe rouge écarlate, recouvert par des papiers sans importance. Je dégageai toute la paperasse d'un geste de la main pour saisir ce qui ressemblait à une lettre. « Pour Anna », y était inscrit au dos d'une écriture tremblotante qui m'étais familière. Seulement, je n'avais jamais pris connaissance de cette enveloppe. Et pourquoi se trouvait-elle ici ? Elle avait déjà été ouverte. Par qui ? Le cœur battant, je dépliai la lettre.
Elle avait été envoyée par ma mère. À l'intérieur, elle me disait qu'elle était désolée d'être partie si soudainement mais qu'elle s'y était sentie obligée. La suite me coupa le souffle : cela faisait plusieurs semaines que mon père était devenu violent. Le 4 novembre au soir, il a de nouveau levé la main sur elle. C'était la fois de trop. Elle s'est enfuie.
À l'intérieur était joint un numéro pour que je puisse l'appeler au plus vite.
De violents sanglots me secouaient. Depuis des semaines, mon père jouait l'innocent alors qu'il était le seul coupable de cette histoire. La haine me submergea mais je pensais à ma mère qui attendait désespérément mon appel depuis des semaines sûrement alors je m'empressai de composer le numéro indiqué dans sa lettre. Le téléphone sonna plusieurs fois puis la communication s'établit.
« - Allô ? prononçai-je d'une voix tremblante.
- Je savais que tu finirais par m'appeler...tu m'as tellement manqué, murmura une voix que je reconnaîtrais parmi tant d'autres »