Devine qui est venu dîner....

Antoine revenait avec précipitation du fond du potager :
- Rosie ! Rosie !
 
Rosie épluchait des pommes de terre sous la véranda ensoleillée.
 
- Ouiiii ! qu'est-ce qui t'arrive ?
- Le composteur...
- Quoi le composteur ?
- Vide ! Antoine se laissa tomber sur une chaise
- Mais il était plein quand on est partis en vacances !!
 
 
Quelque temps auparavant,  Antoine s'était interrogé sur ce qu'il fallait choisir pour compléter ses actions pour l'environnement : devenir végétarien ? Acheter moins ? Réparer au lieu de jeter ? Avec son épouse, ils étaient très concernés par le devenir de la planète.
 
Rosie et lui n'étaient pas accro à la viande dont les prix flambaient. Ils appréciaient les légumes accompagnés d'un bon steak de temps en temps ou d'un dos de cabillaud, mais le plus souvent c'était du poulet ou du cochon dans leurs assiettes ce qui représentait déjà des mets de choix. De plus Rosie était une fine cuisinière, ce qui ne gâchait rien.
 
Par ailleurs, Antoine surveillait de près les dépenses. Il accompagnait Rosie au supermarché  et veillait à ne pas dépasser la liste des courses pré établie.  Pas question non plus de passer son temps sur le net à l'affût du dernier téléphone portable ou de tout autre bien superflu. Il y avait ce qu'il fallait à la maison.
Rosie disait qu'il était du genre radin. Il la reprenait en disant  "pas radin : économe !"
 
Quant à réparer au lieu de jeter, Antoine se débrouillait pas trop mal côté bricolage. S'il faisait appel à ses relations, en contrepartie, il donnait un coup de main pour le jardinage ou troquait les services rendus par un panier de légumes du potager.
 
Le choix fut fait : ce serait le recyclage des déchets. Avec Louis, un ami voisin , un composteur en bois résistant aux aléas climatiques fut construit en mars, afin d'avoir six mois plus tard, de quoi engraisser la terre du potager.
 
Antoine avait hâte d'y déposer les premiers déchets. Le jour J, avec Rosie, chargés des premières épluchures de légumes et de fruits, de coquilles d'œufs, ils déposèrent le précieux butin dans le composteur, un peu comme on dépose une offrande aux pieds de son Dieu. Ah ! que c'était bon de faire ce geste pour la planète ! Ils avaient hâte de recommencer. Ce qu'il firent chaque jour avec autant de plaisir que la première fois.
 
 Rosie et Antoine aimaient leur jardin très fréquenté par les oiseaux. Il faut dire qu'ils les nourrissaient  un peu chaque jour : du pain rassis broyé au mixeur pour les becs fins des moineaux, mésanges, rouges-gorges. Dès l'automne, le pain était complété par des boules de graisse. A bien y réfléchir, cela était bon pour la planète et la protection des oiseaux qui chaque année comptaient beaucoup de pertes dues à l'environnement maltraité. On ne jetait plus le vieux pain, on le recyclait. Toutefois, les fientes des volatiles émaillaient de blanc/gris l'herbe, les feuilles des arbustes  : c'était le mauvais côté des choses.
 
Arriva le jour des vacances. Une effervescence envahit la maison. Il fallait préparer la petite caravane, ce qui réjouissait beaucoup Rosie qui avait hâte de retrouver son camping préféré, au bord de l'Atlantique. Ils y passaient un mois entier grâce aux économies en tout genre faites pendant onze mois.
 
Avant de partir, Antoine fit une dernière visite au composteur, bien rempli. Ils pouvaient partir tranquilles. A l'automne, il y aura de quoi engraisser le sol du potager pour les plantations d'hiver. La clé du portillon fut confiée à Louis qui viendrait arroser et cueillir les légumes d'été.
 
Ils revinrent ragaillardis, bronzés et ravis de ces jours passés au grand air. Les oiseaux avaient déserté le jardin, faute de nourriture, alors le couple se dit qu'il fallait reprendre les bonnes habitudes. Ils avaient gardé le vieux pain des derniers jours à la mer. Rosie s'employa à le mixer sans tarder.
 
Et la vie reprit, jusqu'au matin où Antoine se laissa tomber sur une chaise...
- Et bien, ce matin, il est pratiquement vide notre composteur !
 
Antoine s'interrogea toute la journée sur ce qu'il appelait un mystère auquel il pensait avoir trouvé la clé : les rats fruitiers ! Il n'en parla pas à Rosie qui détestait ces bestioles. Et puis ça remettait en question l'utilisation du composteur s'il attirait les nuisibles. Antoine fut soucieux toute la journée.
 
La nuit venue, il fit un drôle de rêve : on toquait au carreau, alors, il levait la tête et voyait des pattes qui gesticulaient ; ça braillait mais Antoine ne comprenait rien à ce qui sortait de ces bouches. Il sortit de son rêve au petit jour, tout trempé de sueur. Pourquoi ce rêve lui avait-il fait si grande impression ?
 
Il passa la journée qui suivit à nettoyer la caravane pour se changer les idées. Le soir venu Antoine ne demanda pas son reste pour plonger dans les bras de Morphée mais il entendit à nouveau le tac tac sur la vitre. Il ébaucha un geste qui voulait chasser les importuns, mais ce fut Rosie qui fit les frais du bras sur sa tête. Antoine remuait, gesticulait mais Rosie, malgré le choc, n'osa le sortir de son sommeil.  
 
Antoine, qui avait tourné la tête vers la fenêtre, vit quatre paires de pattes qui griffaient la vitre et quatre bouches moustachues  et dotées de crocs affûtés.
 
- Mais que voulez-vous à la fin ? Qui êtes vous ? Antoine marmonnait.
 
En guise de réponse, les pattes continuèrent à gratter. Antoine se contraignit à se lever et se dirigea vers la fenêtre. Dans le  même temps, Rosie, toujours éveillée, se dit que son homme était devenu somnambule. Mais, sacré nom d'une pipe en bois, se dit-elle, à qui parle t-il ?
 
Antoine ouvrit la fenêtre et vit quatre gros rats, très agités, mais pas menaçants.
- C'est à quel sujet ? dit Antoine, ce qui, avouez-le, avait de quoi calmer les bestiaux.
- Dis donc, pépé, on s'la saute ! On a tout grignoté, y'a plus rien à mastiquer dans ton garde-manger !!
- Mais quel garde-manger ?
- Bah, pépé, t'as oublié déjà ?
- ??
 
et là, les quatre bouches hurlèrent :
 
- Ton composteur, pépé !!
 
Antoine se réveilla illico et fut surpris de se trouver en caleçon au milieu de la chambre face à son épouse, assise dans le lit, la main sur la bouche pour s'empêcher de crier.
 
- Bordel, le composteur ! S'écria Antoine
- Quoi le composteur ? répéta Rosie
- Investi par des rats fruitiers !!
- C'est à eux que tu causais, en caleçon ?
- Bah oui !
- Moi, je n'ai rien vu Antoine et tu sais combien je déteste ces bestioles ; tu délires à fond mon vieux ! Reviens te coucher, tu vas attraper froid !
 
Antoine se recoucha. Ce cauchemar l'avait tourneboulé et il eut du mal à trouver le sommeil.
Le lendemain, Louis vint leur rendre visite pour redonner la clé.
 
- Ah, Antoine, faut que je te dise : j'ai pris ton compost cet été pour engraisser mes plants de tomates. Mais t'inquiète, tu pourras bénéficier du mien bientôt.
 
Antoine ressentit un immense soulagement. Il regarda Rosie et lui fit un clin d'œil avant de dire à Louis :
- Je me disais aussi...Tes dents...
- Quoi mes dents ? s'étonna Louis inquiet
- Bah, franchement, on dirait des crocs de rats !
 
Là-dessus, Rosie et Antoine partirent d'un grand rire.
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