Détonation

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Scènes rythmées et phases d'enquête bien menées font de ce policier un texte très maîtrisé. La mise en scène très cinématographique plonge

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Le souffle saccadé résonnait dans l'entrepôt désaffecté. Un coup d'œil sur son épaule. Personne. Il reprit sa course, en sueur, au milieu de l'ancienne usine. Plus une machine, plus un meuble. Juste un sol jonché de plastique et de bouts de ferraille. Des fenêtres que le temps avait rendu opaques, des murs noircis par le charbon jadis brûlé ici et les gouttes ocre de condensation qui coulaient depuis les poutres rouillées. Il flottait un parfum de métal usé, rance. Comme une odeur de sang.

— Police ! Arrête-toi !
Tom se retourna, haletant. Le coup de feu déchira l'air lourd. L'écho n'en finissait pas de rebondir. Il s'effondra dans un râle de douleur, projeté en arrière par la percussion de la balle au niveau de la clavicule.
À deux cents mètres de là, Franck accueillit la déflagration d'un sursaut. Il se raidit, les deux mains sur la crosse de son 9 mm pointé vers le sol. Caché derrière un bungalow en ruine, une pensée lui glaça le sang. Pourvu que ce soit Max qui ait tiré. Et pas ce malade. Il sortit de sa planque, flingue en premier, enjamba les ronces au pas de course et essaya de suivre l'origine du coup de feu. Il imaginait le pire. Son collègue à terre, gisant dans une mare visqueuse. Pas lui. Pas maintenant. Pas si près d'avoir bouclé cette enquête. Dix ans qu'ils étaient sur la piste de ce psychopathe. Tom Greave, le Tueur étoilé. Dix victimes, une par an, le soir du solstice d'été.

Franck déboula dans un hangar sans fenêtres. Seuls quelques rais de lumière filtraient à travers le plafond troué. Gauche, droite, pistolet braqué devant lui. Personne. Bordel. Son téléphone vibra dans sa poche. Pas le temps, il traversa le bâtiment à toute allure. Les visages des victimes défilaient derrière sa rétine.

Dix jeunes femmes droguées, violées et scarifiées de dizaines d'étoiles alors qu'elles étaient encore en vie. Et jamais un indice. Pas une empreinte, aucun résidu d'ADN. Rien. Tous les 21 juin, comme une horloge funèbre, la découverte d'un nouveau corps. La presse se déchaînait. Faisant ses choux gras de chaque nouvelle victime, soulignant avec verve l'incapacité des forces de l'ordre. Dix ans que Max et Franck pataugeaient dans cette affaire. Tom Greave avait fait partie des suspects, au départ. Mari de la première victime, il avait été, pendant un an, soupçonné d'un crime passionnel, faute d'autres clients. Seul avec sa femme ce soir-là, il jurait qu'elle était sortie sur les coups de dix-neuf heures pour se rendre à son cours de yoga. Elle n'y arriva jamais. Aucun témoin ne l'avait vue sur le chemin. Les interrogatoires musclés, le manque d'alibi, rien n'y faisait, il ne craqua pas.

Pas comme la palette pourrie sur laquelle Franck venait de poser le pied. Il s'arrêta net. Silence. Son crâne chauve perlait sous le soleil torride de cette fin d'été. Ses phalanges moites glissaient sur la crosse. Il frotta ses mains, une à une, sur son jean avant de poursuivre avec prudence. Aux aguets.

Aux aguets, ils auraient dû l'être avec Tom Greave. Mais lorsque les cadavres avaient commencé à s'entasser, l'enquête s'était détournée de lui. Normal, pas le profil du tueur en série. Le veuf éploré s'était alors mis en tête de mener ses recherches tout seul. Pour savoir. Connaître la vérité sur l'assassinat de sa femme. Max et Franck le voyaient souvent débarquer au commissariat. Il se tenait informé des évolutions du dossier, recoupait ses infos avec celles des deux flics. En temps normal, Franck n'aurait jamais rien révélé à quiconque d'une investigation en cours. Mais il se sentait redevable. De l'avoir malmené pendant des semaines, de lui avoir fait faire six mois de préventive, de l'avoir traité de tous les noms. Aujourd'hui, ce fumier allait payer pour tout ça. Il s'était bien foutu de leurs gueules ! Deux heures plus tôt, Max et Franck avaient enfoncé la porte de son domicile. Max, par hasard, était tombé sur une contravention impayée de Tom Greave, remontant à deux ans. Une amende collée la veille du meurtre de la huitième victime, dans un parking à deux cents mètres de chez elle. Dans l'appartement, sur un petit bureau, des photos de toutes les filles, leurs emplois du temps, tous les détails de l'enquête. Des clichés de Max, de Franck, pris à la volée dans les rues de la ville. Il les surveillait. Pour être sûr qu'ils n'empiètent pas sur son terrain de jeu. Ses propres recherches, mon cul ! Franck était hors de lui. Cette espèce de...

Du bruit. Il entendait du bruit derrière ces murs. Ses pas devinrent plus légers. Il regardait maintenant avec attention où il posait le pied. Doucement. Trois marches pour entrer dans le bâtiment. Ascension prudente. Une petite salle, rien. Mais sur sa gauche, juste au coin du mur, le grand hangar. Il resserra ses doigts sur le 9 mm, inspira profondément et déboula dans la grande pièce, le flingue prêt à faire feu.

Devant l'écran de son ordinateur, le lieutenant Fint regardait encore une fois la scène. Les frissons. Ils l'enserraient dans leur cape gelée, le tétanisaient. Impossible.

Le soulagement de Franck, à la vue du corps de Tom à terre, fut indescriptible. Max se tenait au-dessus de lui, prêt à en finir. Franck baissa son arme. Le psychopathe gémissait. Franck hocha la tête. Il le couvrirait. Pas de tôle pour ces mecs. Son téléphone vibra à nouveau.

Fint composa le numéro de Franck une nouvelle fois. Allez, décroche !

— Ouais Fint, c'est bon, on l'a eu.
— Ce n'est pas lui ! hurla le lieutenant dans le combiné.
Franck n'eut pas le temps de poser de question.
— Ce n'est pas lui ! Il n'y a jamais eu de contravention. Max a tout inventé. C'est lui qui a placé toutes les photos chez Greave. Les caméras de surveillance de la résidence l'ont filmé en train de rentrer dans son appartement, un carton sous le bras, une heure avant qu'il n'imprime cette fausse amende. Ce n'est pas Greave, Franck !

Le combiné scotché à l'oreille, Franck restait paralysé. Il n'y croyait pas. Il croisa le regard de Max. D'abord interrogatrices, ses pupilles changèrent. Il avait compris. Ses yeux devinrent noirs. Franck raccrocha, rangea son téléphone.
— Qui c'était ? demanda Max.
— Fint.

L'observation dura quelques secondes, pourtant le dialogue n'en finissait pas. Tous deux savaient que l'autre savait. Le plic ploc des gouttes d'eau qui tombaient sur la ferraille devint un sourd battement dans la pièce. Grosse tension. Franck contracta sa main sur le revolver. Max l'aperçut.

Détonation.
 

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