Désillusion

Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. Je n'arrivais pas à penser, imaginer que cela s'était produit. Je l'appelle « cela » parce qu'y mettre un mot, un adjectif serait avouer que j'avais compris mais non je ne comprenais pas et c'était bien la première fois. J'étais là, dans la noirceur la plus absolue, à essayer de rattraper mes pensées qui s'enfuyaient tout doucement. Les yeux fermés, les larmes dégoulinantes sur mon visage, je m'étais maquillée pour l'occasion. Oui je m'étais maquillée ! Quelle belle erreur !  Pourquoi moi ? Aurais-je pu dire quelque chose pour renverser la situation ? Autant de questions qui se bousculent dans ma tête mais qui y répondra ? La vraie question est, est ce que je veux des réponses ?Une journée pourtant comme les autres , j'avais pris un jour de repos. Ce matin-là, je me suis réveillée avant la sonnerie du réveil comme d'habitude ensuite j'ai pris une longue douche froide. La plupart des gens chantonnent sous la douche mais moi non. Je ne suis pas de cette catégorie là, je suis un cran au-dessus, je suis supérieure à la moyenne. Avocate réputée, avec sa tête à la une des journaux et magazines avec en gros titre « La plus brillante et célèbre avocate de sa génération ». Je pouvais affirmer que j'avais réussi et toute seule. Serait-ce pour ça que l'univers me punissait ? Moi habituée à réussir avec excellence toute chose que j'entreprenais. Je me rappelle que j'avais rendez-vous ce jour-là pour déjeuner avec ma mère, Jeanine. J'avais toujours admirée sa grande beauté et j'ai parfois ou très souvent été jalouse parce que je n'ai pas hérité de ses traits fins et délicats. Jeanine a divorcé 4 fois, ça fait beaucoup je trouve mais elle non. A ce propos, elle aime dire « il faut mieux recommencer que s'enfoncer ! ». Je n'ai jamais été d'accord avec elle sur ce point et sur bien d'autres d'ailleurs. Ma sœur devait nous rejoindre mais elle a été empêchée, comme d'habitude mais bon sa présence était égale à son absence. Toujours sur son téléphone, à discuter avec des fournisseurs, des clients, des ex, des amis, des amantes ; la liste était longue. Amélie ma sœur, était Event planner. Ça faisait très stylé une fois dit comme ça mais pour moi ça ne voulait rien dire, ça ne rapportait pas beaucoup. A 20 ans, elle avait fait son coming-out de façon un peu spéciale je dirais. Elle avait présenté sa petite copine à toute la famille lors du dîner de noël chez nos grands-parents, en disant avec un ton très sérieux « je vous présente ma femme ! ». Ma mère avait fait un malaise dès la fin de sa phrase, heureusement ce n'était pas bien grave, elle s'était vite remise après un verre d'eau. C'était hilarant! Ma famille maternelle étant très traditionnaliste, on aurait dit qu'un marteau était tombé sur leurs têtes ! La petite fille modèle qui causait du tort à sa mère, pour une fois ce n'était pas moi. 
Pendant notre déjeuner, ma mère avait reposé  la fameuse question à laquelle je n'aimais pas répondre, « as-tu rencontré quelqu'un ? ».  Cette question me rappelait qu'il y'avait un coté de ma vie qui n'était pas aussi achevée que ma brillante carrière d'avocate. La réponse était oui cette fois mais je me gardais de le dire à ma mère. Effectivement j'avais rencontré quelqu'un, un chirurgien, Thomas. Un bel homme mais pas trop beau pour attirer l'attention sur son passage, ça me rassurait. Nous nous étions déjà vus au café de la rue denise mais sans plus, jusqu'au jour où il m'a renversé du café dessus et étrangement je n'ai pas pu me mettre en colère, j'ai été foudroyée par son sourire et sa politesse; j'ai perdu mes moyens. Au fil du temps, les conversations devenaient de plus en plus intenses, lui comme moi ressentions le besoin de passer à un autre niveau mais personne ne l'avouait de façon explicite. Il faut dire que je n'ai jamais cru en l'amour ni aux histoires de prince charmant, ça n'était pas pour moi ! Avec une enfance à voltiger d'une maison à une autre, à cause de multiples mariages et divorces, l'amour je n'y croyais pas. Du moins, jusqu'à ce que je le rencontre. Finalement on s'était accordés pour un rendez-vous pour ce soir, j'avais hâte. Le rendez-vous était chez moi,  je ne sais pas faire la cuisine de toute façon (une des nombreuses choses que ma mère a oublié de me transmettre) j'avais un chef particulier. Les petits plats étaient mis dans les grands, j'avais opté pour une tenue pas très chère mais belle, d'un nouveau créateur de mode, une vraie pépite. Je m'étais maquillée mais pas trop. J'étais surexcitée comme une ado pour son premier rendez-vous. Je n'avais qu'une seule hâte, le voir, voir mon Thomas. La sonnette avait retentit, j'ouvris la porte et il était là, devant moi, bien rasé, bien habillé, il a bon goût me dis-je et cela confirmait ce que je pensais déjà. Il ne portait pas de parfum mais ça ne me dérangeait pas du tout. Mais, il était venu les mains vides, je ne m'attendais pas à cette inattention de sa part. Après quelques heures, nous étions encore à table, à siroter un vin divinement exquis après un excellent repas. Je  me demandais quelle serait la suite mais j'étais intriguée. Il était différent, très calme, pas très bavard, le regard dans le vide. Où était passé mon thomas? Au téléphone, il me semblait très ouvert d'esprit, curieux, vif, avec une certaine joie de vivre, il avait de la répartie mais ce soir il semblait être ailleurs. J'ai découvert un  autre Thomas, une autre facette.
J'étais alors loin de m'imaginer que dans les heures qui suivraient, je me retrouverais baignant dans mon sang, nue, sur mon lit. Ma chambre, ma maison, ma vie transformées en une scène de crime.
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