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Nouvelles - Littérature Générale
Je ne voulais pas y aller, à l'enterrement, mais c'est Maman qui m'a obligée.
Alors je suis là, assise sur un banc de l'église à attendre que ça passe. Madame Fortin joue de l'harmonium, c'est agréable mais elle doit s'arrêter parce que le curé prend la parole. Les gens se redressent. Ils commençaient à s'assoupir avec la chaleur et la musique.
Alors le curé prend sa grosse voix, comme s'il n'y avait que des sourds dans l'assistance et dit tout ce que mon père a fait de bien dans sa vie. Je n'en savais pas les trois-quarts, ni même la moitié, et je me demande s'il n'invente pas, mais il faut dire que j'ai neuf ans, et peut-être qu'il était différent, mon père, avant ma naissance ?
Moi, je me souviens simplement qu'il me battait et qu'il criait après Maman. Dès que je voyais sa salopette orange, je courais le plus loin possible de lui mais je ne pouvais pas l'éviter aux repas. Et là c'était l'heure des gifles et des engueulades, et de la bière aussi.
Maman tripote son mouchoir et se tapote les yeux puis elle se mouche bien fort. Pourtant, quand on lui a dit qu'on avait trouvé mon père mort – ou ce qu'il en restait –, elle n'a pas pleuré mais elle a crié et se tordait les bras dans tous les sens. Je me disais : « Mais pourquoi elle fait ça ? ». Peut-être pour remplacer les larmes, j'ai pensé.
Et puis Michel, le commis, est arrivé et il a essayé de la consoler. Pas trop parce qu'il y avait du monde. Pas comme quand ils sont tout seuls.
Moi je n'ai rien dit, ni pleuré, ni rien. Il faut dire que je le savais depuis longtemps, qu'il était mort.
C'était il y a un an, presque jour pour jour. J'avais pris une bonne raclée pendant le déjeuner et je m'étais cachée sous le plancher de la véranda. J'ai entendu ses pas au-dessus de ma tête puis, par une ouverture, j'ai d'abord vu ses bottes et puis sa salopette orange et je l'ai vu tout entier qui se dirigeait vers le silo. Il tanguait un peu comme s'il était sur une barque. Il répétait ce qu'il avait dit à table : « Ça m'étonnerait qu'elle soit de moi cette greluche, alors ça, ça m'étonnerait beaucoup ! ».
Quand je ne l'ai plus vu, j'ai rampé et j'ai regardé depuis l'autre côté. Là, je voyais le silo en entier.
Je ne sais pas pourquoi je suis restée à l'observer. Ce qu'il fabrique ne m'intéresse pas d'habitude. Peut-être que je sentais qu'il allait se passer quelque chose ?
Il faisait très chaud et je commençais à souffrir mais je suis restée pour voir s'il arriverait à grimper à l'échelle. Elle était toute droite, scellée au silo, elle montait très haut et, après, il y avait une espèce de palier et une autre échelle pour accéder à l'écoutille en haut du dôme. C'était le seul moyen pour savoir s'il restait de l'engrais et combien en commander avant les semis ; il fallait ouvrir et regarder à l'intérieur.
Alors, il a escaladé la seconde échelle et puis il a ouvert l'écoutille. Et il s'est penché, pour voir. J'ai été déçue qu'il ne soit pas tombé pendant qu'il grimpait et je suis sortie de ma cachette pour aller rejoindre mon frère et Théo.
Quand je me suis retrouvée à l'air libre, j'ai jeté un œil machinalement vers le silo et il n'y avait plus personne. Je suis restée un moment interloquée et puis j'ai réfléchi et je me suis dit que ce n'était pas possible qu'il ait eu le temps de redescendre de l'échelle pendant que je m'extirpais de dessous le plancher de la véranda. J'ai bien regardé autour de moi mais il n'y avait aucune trace de lui. Alors je me suis approchée tout doucement. J'ai entendu des coups là-haut et des cris mais il fallait avoir une bonne oreille. J'ai attendu un moment et je me suis dit qu'il devait faire drôlement chaud dans ce machin.
Je me suis assise à l'ombre et j'ai joué un peu avec mon chien. Au bout d'un moment je n'ai plus entendu ni crier, ni taper contre le silo, alors j'ai rejoint mon frère et Théo.
Tout le monde a cherché mon père longtemps mais je n'ai rien dit à personne. Je pensais qu'ils le trouveraient sûrement, que quelqu'un aurait bien l'idée d'aller voir dans ce foutu silo mais personne n'y est allé et Michel a fait livrer de l'engrais, comme d'habitude.
Ce n'est que cette année qu'ils ont eu des nouvelles de mon père, quand Michel est monté pour voir où ça en était, qu'il a vu qu'il n'y avait plus qu'un petit peu d'engrais dans le fond mais aussi ce qui ressemblait à une salopette orange.
Alors je suis là, assise sur un banc de l'église à attendre que ça passe. Madame Fortin joue de l'harmonium, c'est agréable mais elle doit s'arrêter parce que le curé prend la parole. Les gens se redressent. Ils commençaient à s'assoupir avec la chaleur et la musique.
Alors le curé prend sa grosse voix, comme s'il n'y avait que des sourds dans l'assistance et dit tout ce que mon père a fait de bien dans sa vie. Je n'en savais pas les trois-quarts, ni même la moitié, et je me demande s'il n'invente pas, mais il faut dire que j'ai neuf ans, et peut-être qu'il était différent, mon père, avant ma naissance ?
Moi, je me souviens simplement qu'il me battait et qu'il criait après Maman. Dès que je voyais sa salopette orange, je courais le plus loin possible de lui mais je ne pouvais pas l'éviter aux repas. Et là c'était l'heure des gifles et des engueulades, et de la bière aussi.
Maman tripote son mouchoir et se tapote les yeux puis elle se mouche bien fort. Pourtant, quand on lui a dit qu'on avait trouvé mon père mort – ou ce qu'il en restait –, elle n'a pas pleuré mais elle a crié et se tordait les bras dans tous les sens. Je me disais : « Mais pourquoi elle fait ça ? ». Peut-être pour remplacer les larmes, j'ai pensé.
Et puis Michel, le commis, est arrivé et il a essayé de la consoler. Pas trop parce qu'il y avait du monde. Pas comme quand ils sont tout seuls.
Moi je n'ai rien dit, ni pleuré, ni rien. Il faut dire que je le savais depuis longtemps, qu'il était mort.
C'était il y a un an, presque jour pour jour. J'avais pris une bonne raclée pendant le déjeuner et je m'étais cachée sous le plancher de la véranda. J'ai entendu ses pas au-dessus de ma tête puis, par une ouverture, j'ai d'abord vu ses bottes et puis sa salopette orange et je l'ai vu tout entier qui se dirigeait vers le silo. Il tanguait un peu comme s'il était sur une barque. Il répétait ce qu'il avait dit à table : « Ça m'étonnerait qu'elle soit de moi cette greluche, alors ça, ça m'étonnerait beaucoup ! ».
Quand je ne l'ai plus vu, j'ai rampé et j'ai regardé depuis l'autre côté. Là, je voyais le silo en entier.
Je ne sais pas pourquoi je suis restée à l'observer. Ce qu'il fabrique ne m'intéresse pas d'habitude. Peut-être que je sentais qu'il allait se passer quelque chose ?
Il faisait très chaud et je commençais à souffrir mais je suis restée pour voir s'il arriverait à grimper à l'échelle. Elle était toute droite, scellée au silo, elle montait très haut et, après, il y avait une espèce de palier et une autre échelle pour accéder à l'écoutille en haut du dôme. C'était le seul moyen pour savoir s'il restait de l'engrais et combien en commander avant les semis ; il fallait ouvrir et regarder à l'intérieur.
Alors, il a escaladé la seconde échelle et puis il a ouvert l'écoutille. Et il s'est penché, pour voir. J'ai été déçue qu'il ne soit pas tombé pendant qu'il grimpait et je suis sortie de ma cachette pour aller rejoindre mon frère et Théo.
Quand je me suis retrouvée à l'air libre, j'ai jeté un œil machinalement vers le silo et il n'y avait plus personne. Je suis restée un moment interloquée et puis j'ai réfléchi et je me suis dit que ce n'était pas possible qu'il ait eu le temps de redescendre de l'échelle pendant que je m'extirpais de dessous le plancher de la véranda. J'ai bien regardé autour de moi mais il n'y avait aucune trace de lui. Alors je me suis approchée tout doucement. J'ai entendu des coups là-haut et des cris mais il fallait avoir une bonne oreille. J'ai attendu un moment et je me suis dit qu'il devait faire drôlement chaud dans ce machin.
Je me suis assise à l'ombre et j'ai joué un peu avec mon chien. Au bout d'un moment je n'ai plus entendu ni crier, ni taper contre le silo, alors j'ai rejoint mon frère et Théo.
Tout le monde a cherché mon père longtemps mais je n'ai rien dit à personne. Je pensais qu'ils le trouveraient sûrement, que quelqu'un aurait bien l'idée d'aller voir dans ce foutu silo mais personne n'y est allé et Michel a fait livrer de l'engrais, comme d'habitude.
Ce n'est que cette année qu'ils ont eu des nouvelles de mon père, quand Michel est monté pour voir où ça en était, qu'il a vu qu'il n'y avait plus qu'un petit peu d'engrais dans le fond mais aussi ce qui ressemblait à une salopette orange.
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