Dernier tableau

Toute histoire commence un jour, quelque part dans une chambre moyennement éclairée, assise sur un coussin elle avait mis ses écouteurs. Quoi de mieux qu'une note musicale portant au-delà d'une barrière d'ouïe pour laisser entrer par une oreille sèche un air de Soul dans une âme bien ouverte. Visiblement la plus petite éprouvait un réel engouement pour le langage des signes. Une dame fît son entrée et dans une nervosité palpable engueula cette dernière. Elle demanda alors à l'adolescente de prendre sa douche et insista pour qu'elle sorte voir l'étranger.
Cet après-midi le père était rentré plus tôt que d'habitude du service tout furieux. Il trouva sa femme toute inquiète sur la terrasse l'air pensive, elle n'a remarqué la présence de son mari que lorsque celui-ci fut à un pas d'elle.
-De quoi est-ce que tu me parlais exactement au téléphone? dit-il en s'asseyant. Le regard meurtri elle soupira tout en secouant la tête.
- Nalla Nalla! peut-on entendre depuis le salon avant de voir une chienne noire sortir en courant poursuivie d'une fillette d'à peu près 3 ans. Le père se leva brusquement pour rentrer, ajustant son pagne, elle le suivi promptement comme pour le retenir.
Une heure et demi après il en sorti un déçu, excité et très précipité. Il ouvrit le portail pour ensuite revenir vociférer: je reviens bientôt et si à mon retour tu me donnes pas le nom du vaurien qui en est l'auteur je...je...je...attend je reviens.
Il sonnait une heure du matin quand la maman sortit de la chambre réveillée par les aboiements de Nalla, le père venait de rentrer. Assis sur l'un des fauteuils sur la terrasse il ne disait rien. la maman tirant un tabouret dans le coin demanda à son mari de dire quelque chose pour régler la situation. Sur un ton solennel doublé de nervosité il dit: quelle honte vous m'avez mis à moi, religieux respecté et respectable? imagine un peu le scénario de ce que les gens vont penser. Mais je vous attend. Il frappa du point sur la table avant de se lever.
-Dzô gbondjidè! Lébéna édziwa looo ! (soit patient! fait attention à ton cœur). Cette dernière aussi se leva promptement et entra sans rien dire, on pouvait entendre le cri lugubre d'un hibou. Un clac derrière la porte laissait Nalla orpheline et recroquevillée sur la moquette devant la porte.
Par une de ces matinées ordinaires, la lune peinait encore à disparaitre laissant les premiers rayons annoncer le début d'un règne chaud où tout semblait glacé quand subitement un énorme clac de la porte contre le mur fît fuir Nalla encore allongée. Le père sortit très furieux suite aux aveux de sa fille. Il trébucha presque contre le tabouret. Une colère sourde et terrible qu'il tentait vainement de refréner, l'envahit . Lorsqu'au bout de quelques minutes sa petite fille qui eut déjà touché à ses pots de peintures le toucha au mollet avec une cordialité souriante. Elle lui tendit alors un pinceau trempé dans du rouge. Ce geste le modéra. Il alla s'installer devant son chevalier, tira sa table d'outils et ajusta son tableau. On pouvait voir quelques esquisses de grands traits sur un fond noir et rouge.
Par une démarche disgracieuse, une physionomie dissimulant à peine le revers, sa femme s'approcha de lui. Brandissant sèchement son pinceau il interrompit la démarche de sa femme. Dans le même temps il étendit son bras pour saisir son vieux tablier mais d'un mouvement elle le souleva pour le lui remettre. Elle l'invita alors à discuter. Il n'avait pas envie de revenir sur sa décision mais essuya son pinceau et la suivit dans la chambre à coucher.
Depuis leur chambre, on pouvait entendre leur voix et sentir leur désaccord. Depuis 30 secondes Nalla n'avait pas cessé d'aboyer. Le père sortit et vit un Monsieur vêtu d'un costume deux- temps, c'était le Pasteur. Celui-ci préférant jouer à la prudence n'avait avancé qu'un pied dans la maison et maintenait le poignet du portail. Le temps de mettre en cage la chienne derrière le bâtiment il invita le Monsieur à prendre place.
A son retour il le vit encore debout et attentif essayant de cerner la radio du salon pas vraiment audible sur la terrasse.
-Huit semaines! dit-il avec étonnement. Huit! c'est pas vrai le peuple français ne décolère pas! j'imagine le mouvement " Gilet jaune" ici chez nous.
D'un rire légèrement déployé il prit place en appuyant ses deux mains sur chacun des bras du fauteuil et dit: mon pauvre Macron!
Les deux hommes se saluèrent et après une courte prière ils discutèrent. Le père se tenant la tête entre ses deux mains les coudes posés sur la table secoua longuement la tête:
- pourquoi? pourquoi? pourquoi moi? depuis hier je me sens vidé de mon âme et dans tout ça, c'est moi qui subis encore les pressions de sa mère. Elle venait tout juste de sortir après avoir entendu la voix du Pasteur.
- Bonjour Pasteur!
- bonjour Madame! vous êtes bien arrivée si on peut le dire! pouvez-vous m'appeler votre fille?
La mère arriva dans la chambre de ses filles toute nerveuse, elle gronda la petite qui avait des tâches de peintures sur ses doigts. Sur la terrasse le Pasteur essayait de décanter la situation pour éviter les possibles retombées que cela engendrerait. Le père ne l'entendait pas de cette oreille et était résolu à porter plainte et révéler le scandale aux yeux des autres fidèles de l'église pour dissuader toute mauvaise langue et préserver son honneur lorsque cette grossesse apparaîtrait au vu et au su de tous.
Le Pasteur lui avait résolu de régler au mieux ce scandale histoire d'éviter le coup que cela porterait à l'église. Cette même église avait déjà été scandalisée deux ans auparavant par une situation en représailles suite à des découvertes de rituels contenant des organes humains. Ce n'est que la restauration de l'immeuble et le changement de l'ancienne dénomination qui ont un peu remobilisé de nouveaux fidèles.
- Hier quand votre femme m'avait annoncé la nouvelle j'ai prié le Seigneur et voici ce qu'il m'a dit; c'est à lui la vengeance pas aux hommes et le pardon couvre beaucoup de choses devant Dieu
Le père se leva et éclata de rires tellement fort qu'on vit ses nerfs sur son front. Il empoigna plus fortement son fauteuil et tapotant ses pieds contre le sol il se leva. Sa fracture psychologique était plus que jamais visible.
- Sacré diacre! 15 ans de vie conjugale sans enfant, et il a fallu qu'il abuse de ma fille. fallait juste qu'il m'en parle plutôt pour que je lui laisse ma femme, une chère sainte qui l'aime tant au point de ne pas l'envoyer en prison même après ce qu'il a fait. Et dans tout ça Dieu ne vous a rien dit?
Il continua d'esclaffer et se levant il entra au salon. Le rire était si faux qu'il y eut un silence autour de la table. un silence si fort que ne put même éteindre son si grand rire qui perdit de sa tonalité au fur et à mesure qu'il s'éloigna dans la chambre.
Une atmosphère morose planait sur la ville vu qu'aujourd'hui est une journée de manifestations de l'opposition. La rue quasi déserte était marquée d'un ton lugubre. Nous entendîmes des cris de l'autre côté de la rue et quand nous nous rendîmes pour porter assistance nous apprîmes que leur père partît pour ne plus revenir.