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Tout a commencé par une explosion. Un flash de lumière, et une pluie de poussière brune. Ils nous ont dit de ne pas paniquer. Que ces particules étaient inoffensives, et que nous pouvions continuer à vivre comme si cet événement extraordinaire n'avait jamais eu lieu. Ils avaient tort.
Je me penche pour cueillir une nouvelle fleur sauvage et l'approche de mon visage avant de l'ajouter à mon bouquet. Maman va l'adorer.
Au début, personne n'a vraiment remarqué les changements. Les gens, engoncés dans leur routine, aveuglés par leurs problèmes, avaient mieux à faire que de s'émouvoir de la croissance étonnante des arbustes ou de la floraison de plantes moribondes. Les jours se sont peu à peu transformés en semaines, et tout le monde a oublié l'explosion, la lumière et les grains de poussière. Du moins, jusqu'à ce que les animaux commencent eux aussi à changer.
Les hautes herbes me grattent les mollets. Le vent fouette mes cheveux et atténue la brûlure du soleil sur ma peau burinée. Mais en dehors de cette brise qui agite les feuilles et fait vaciller le sommet des arbres, tout est calme. Habituée à ce silence surnaturel, je me souviens à peine qu'à une époque, j'aimais écouter les piaillements des oiseaux, les aboiements des chiens, et même le ronronnement de la circulation sur la grande route. À présent, seul demeure le bruit de ma respiration, et le craquement de mes pas s'enfonçant dans l'épais tapis d'herbes folles.
Les animaux du voisinage sont devenus agressifs. Leurs propriétaires n'osaient plus les approcher. Puis les oiseaux ont commencé à tomber du ciel. Une seconde, ils fendaient les nuages dans un vol gracieux, la suivante, ils gisaient, écrasés sur le bitume. Même mon chat était différent. Il fuyait notre compagnie pour aller se terrer dans des endroits sombres, refusait de manger et disparaissait parfois pendant des jours entiers.
J'avance péniblement sur le chemin de la maison. J'ai si souvent traversé ces champs et vagabondé dans cette forêt au cours des derniers mois que je pourrais m'y promener les yeux fermés. Mes passages ont fini par former un sentier dans l'épaisse végétation, même si celle-ci tend à reprendre ses droits maintenant que mes balades se font plus rares. J'ai de plus en plus de mal à marcher, mais je tenais à confectionner ce bouquet et à choisir les plus belles fleurs. Bien que plus grand-chose n'ait d'importance ces derniers temps, je ne renoncerai pas à rendre son sourire à maman. Elle a tant souffert.
Mon chat est mort. Nous l'avons enterré sous le marronnier, maman, Théo et moi. À ce moment-là, papa continuait d'aller au travail chaque matin, mais nous savions tous qu'il se passait quelque chose d'anormal. Les jardins étaient en friche. Les racines des arbres créaient de larges fissures sur la route, comme si elles cherchaient à remonter à la surface. Un parfum douceâtre de fleurs et d'humus traînait dans l'air. Les chiens n'aboyaient plus. Les scientifiques ne s'expliquaient pas ces phénomènes. Ils ont commencé à inventer des théories extravagantes qui n'ont fait qu'alimenter la terreur générale. Les uns après les autres, les gens ont fait leurs valises et sont partis, laissant des maisons vides derrière eux. Nous avons décidé de rester. Ici ou ailleurs régnait le même climat anxiogène, et Théo était malade.
Je dois m'arrêter pour reprendre mon souffle, assise sur une souche dans le sous-bois. La douleur dans mes muscles est insupportable. Ma poitrine me brûle. Mes doigts crispés tremblent autour de mon bouquet. Plus que quelques minutes. Seulement quelques centaines de mètres, et je serai à la maison. Alors je serre les dents, je ravale les larmes collantes qui ont commencé à couler sur mes joues, et je me force à avancer. Un pas après l'autre.
Le quartier a pris des allures de ville fantôme. Les gens se sont repliés sur eux-mêmes et se sont enfermés chez eux, avec toutes les réserves de nourriture qu'ils ont pu trouver. Une milice armée s'est mise à patrouiller dans les rues, sur la chaussée déformée par les arbres qui bordaient autrefois la route. Affranchis de leur cage de béton, ils s'épanouissaient à des hauteurs vertigineuses tandis que les humains s'emmuraient vivants, terrés dans leur sous-sol. J'ai entendu des coups de feu. Papa a cessé de prétendre que le monde tournait rond. Théo a cessé de quitter son lit.
De longues crevasses sillonnent l'asphalte. Des carcasses de voitures reposent le long des trottoirs défoncés, certaines à moitié avalées par la nature vorace. Dans les allées laissées à l'abandon, je croise des troncs aux formes presque humanoïdes. Leurs branches se penchent sur mon passage pour me saluer, mais je ne peux pas m'arrêter. Pas encore.
Ils ont coupé l'électricité. La nuit, nous nous regroupions dans la chambre de Théo, maman me serrait dans ses bras pendant que papa murmurait que tout allait bien, la flamme de nos dernières bougies créant des ombres sur son visage exsangue. Cela faisait longtemps que rien n'allait plus. Au-dehors, une guerre a fini par éclater. Les gens avaient faim. Ceux qui pouvaient encore bouger sont sortis de leur terrier, armés de gourdins, de couteaux ou de fusils, et ont commencé à se battre. Nous n'avions plus rien à manger et maman avait attrapé la maladie qui rongeait mon frère, alors papa s'est résolu à se joindre au chaos. C'est la dernière fois que je l'ai vu, au travers des planches qui barraient les fenêtres, sa silhouette élancée s'éloignant dans la pénombre.
Je gratte distraitement les croûtes qui couvrent mon avant-bras. Un liquide épais, sirupeux, s'écoule de mes plaies. Mes os craquent comme des brindilles dès que j'esquisse un mouvement. Je suis tout près de chez moi, maintenant. Je vais bientôt retrouver maman et Théo. Ils m'attendent dans le jardin, comme toujours. Tout en me traînant jusqu'au portail rouillé, je me répète inlassablement ces paroles, jusqu'à ce qu'elles forment un rempart contre la douleur qui bloque ma respiration.
Les rues ont retrouvé leur calme. Un calme anormal, implacable, uniquement coupé par le sifflement du vent. Les plantes ont tout envahi, et les corps ont disparu, remplacés par de jeunes pousses. Les saisons se sont écoulées sans que je ne croise plus aucun être vivant. Cela n'avait pas d'importance, tant que je ne perdais pas Théo et maman. J'ai appris à me débrouiller pour trouver de la nourriture, et, au bout d'un moment, je me suis rendu compte que mon corps n'avait plus besoin de manger pour recouvrer ses forces. Il me suffisait de m'allonger au soleil, ma peau nue pressée contre la terre, pour être rassasiée. J'ai perdu la notion du temps.
Je m'effondre aux pieds de la silhouette immobile de maman. Lorsque je trouve le courage de me redresser, le soleil est déjà bas à l'horizon. J'effleure sa main rugueuse, glisse mon bouquet entre ses doigts figés, esquisse un sourire qui fait craquer mes joues. Puis je m'assois, le dos collé à ses jambes de statue, apaisée. Déjà, je sens les herbes grimpantes s'agripper à mon corps et la douleur s'estomper. Je suis prête à les rejoindre. Maman, Théo et tous les autres. Je ferme les yeux, et la dernière larme coagule avant d'atteindre mon menton, goutte d'ambre aux reflets dorés sous les derniers rayons du jour.
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Pourquoi on a aimé ?
Ce récit post-apocalyptique surprend par sa douceur et sa poésie. Loin des récits ultra-rythmés et anxiogènes propres au genre, il nous offre une
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