De sommet en sommet

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Paola regarde la photo de sa tante. Gina. Elle est belle. Elle sourit. Pas seulement avec ses lèvres, mais avec tout son visage. C'est un sourire de victoire, de fierté, de douleur. Ce sourire un peu brûlé qu'ont les alpinistes arrivés au sommet. Brûlure du froid, du soleil. Douleur du corps. Fierté d'être arrivé en haut.

Paola aurait tellement aimé connaître cette tante. Cette femme alpiniste, plus forte que la tradition familiale qui impose à une femme de se marier, d'avoir des enfants, de rester à la maison et de tenir son foyer. Gina avait défié tout cela. Elle avait eu la force de suivre sa passion, d'accepter d'être rejetée par sa famille et d'accomplir son rêve ; de se faire une place dans ce milieu d'hommes, de gagner leur respect et même d'être meilleure qu'eux.
Pour Paola, Gina était une source d'inspiration. Comme elle, elle ne voulait pas subir sa vie, mais la vivre. Elle ne voulait pas la suivre, mais la conduire. Elle n'avait pas eu la chance de la connaître, mais avait reconstruit sa vie à travers des morceaux de conversations chuchotées, car on ne parlait jamais de Gina.
Sa mère, Amalia, était tellement différente. L'archétype de tout ce que Paola ne voulait pas être. Une femme de conventions. Qui faisait cuire un rôti, des pommes de terre et un gâteau au chocolat pour le dessert. Tous les dimanches. Qui partait dans un petit appartement sans âme pendant les vacances d'été et qui lisait des magazines sur la plage.
Paola se disait parfois que son adoption n'avait été qu'un moyen de se cacher, une excuse pour ne pas oser, pour ne pas sortir du rang, pour subir son quotidien.

Paola a 16 ans et ne s'entend pas, ne s'entend plus avec sa mère. Elle se surprend parfois même à penser que d'Amalia et de Gina, ça n'est pas la bonne sœur qui est vivante. Que là où Gina aurait accompli des exploits et grimpé tous les 4000 des Alpes, Amalia gâche tout avec cette non-vie.
Elle sent qu'elle devient méchante avec sa mère et que les disputes sont plus fréquentes, plus violentes.

Un dimanche midi, Marco, son oncle, est à la maison. Amalia a cuisiné un rôti, des pommes de terre et fait un gâteau au chocolat pour le dessert. Elle parle avec Marco des vacances d'été qu'elle est en train d'organiser : deux semaines au bord de la plage à Torre Dell'Orso, comme tous les ans... Paola n'en peut plus. Elle explose.
— Mais tu n'en as pas marre de faire tous les ans la même chose ?! De faire tous les jours la même chose ? D'avoir une vie ennuyeuse ? Tu ressembles à ta vie Maman, tu es ennuyeuse, vide...
Amalia regarde sa fille sans ciller. Elle ne dit rien. Son visage reste placide. Elle se lève, prend ses cigarettes et sort dans le jardin.
Paola se tourne vers son oncle.
— Elle était déjà ennuyeuse comme ça quand elle était petite maman ?
Marco sourit.
— Tu plaisantes évidemment !
— Non ! Pourquoi tu dis ça ? Moi, je rêve d'ailleurs, je rêve d'autre chose ! J'ai 16 ans, je n'ai pas de père et ma mère est transparente.
Paola va chercher la photo qu'elle cache dans sa table de nuit. Celle de Gina à ce sommet, avec son sourire brûlé et plein de sentiments contradictoires.
— Tu vois Marco, quand je regarde la photo de Gina, je voudrais faire comme elle. Être extraordinaire. Faire des choses qui ne sont pas accessibles à tout le monde... La vie, c'est pas des rôtis et des gâteaux au chocolat...
Marco prend la photo des mains de sa nièce.
— Des rôtis et des gâteaux au chocolat...
— Ben oui !
Il semble se perdre dans le sourire de Gina.
— Où est-ce que tu as trouvé cette photo ? Ta mère sait que tu l'as ?
— Non, je ne pense pas. Je l'ai trouvé dans un carton au grenier parmi les vieux vêtements de maman. Je cherchais un déguisement pour le carnaval.
Il retourne la photo : « Gina/Gran Paradiso »
La dernière photo de Gina.
— Tu sais qui a pris cette photo ?
— Non... Je ne me suis pas posé la question... Son mari, Guérino, j'imagine ?
— Guérino ne faisait pas d'alpinisme... Paolina, ta mère ne t'a pas raconté son histoire, ton histoire ?
— De quoi tu parles ?
— Tu ne sais pas ce qu'il s'est passé en haut du Gran Paradiso ?
— Non...
Marco regarde dehors. Son regard croise celui de sa sœur. Elle lui dit : « S'il te plaît, dis-lui. Explique-lui. Même 15 ans plus tard, je n'arrive pas à en parler... »
— Cette photo, c'est la dernière photo de Gina. Elle est morte en descendant de cette montagne. C'est ta mère qui a pris cette photo.
Le visage de Paola s'allonge de surprise. Sa mère en haut du Gran Paradiso ?
— À l'époque, on faisait tous les trois de l'alpinisme ; ta mère, Gina et moi. C'était ta mère la meilleure de nous trois. Elle nous avait initiés à sa passion. Elle avait décidé de faire tous les 4000 des Alpes. Gina et moi, on la rejoignait sur certaines courses plus faciles.
Il rit.
— J'étais clairement le moins fort de nous trois ! Le Gran Paradiso n'est pas parmi les courses les plus difficiles, mais arrivé au dernier refuge, je ne me sentais pas au mieux de ma forme. Alors le lendemain matin, elles sont parties toutes les deux à l'assaut du sommet. Les conditions étaient bonnes, pas excellentes, mais bonnes. Elles n'ont pas vu la méditerranée de là-haut comme on peut la voir quand les conditions sont optimums, mais je crois que ça leur était égal. C'était symbolique de commencer la saison par un sommet italien, entre sœurs. Elles sont arrivées facilement jusqu'à la Vierge, mais le point culminant est plus loin, à la pointe d'un pilier qu'on atteint après une longueur d'escalade. La photo que tu as, elle a été prise en haut de ce pilier. C'est à la descente que Gina est tombé. Elle a entraîné Amalia dans sa chute. Ça a été très violent. Elles ont eu toutes les deux de multiples fractures. Gina a perdu connaissance. Ta mère n'a pas voulu la laisser et redescendre jusqu'au refuge pour alerter. Elle l'a portée, tirée, trainée, mettant sa propre vie en danger. Quand on a vu qu'elles ne redescendaient pas on a appelé les secours. Mais il était trop tard pour monter. Elles sont arrivées dans la nuit. Amalia tirant Gina, à demi consciente. Gina a passé une semaine entre la vie et la mort et s'en est allée.
— Et ensuite, elle a décidé d'adopter un enfant...
— Pas vraiment Paolina. Gina et Guérino venaient de se marier et t'avaient adoptée six mois avant ça. Tu étais leur fille. Quand Gina est morte, Guérino est tombé dans une dépression profonde. Il était incapable de s'occuper de toi. Il a voulu annuler l'adoption, les services de l'enfance lui ont retiré ta garde. C'était insupportable pour ta mère. Alors elle t'a recueillie, puis au bout de quelques années, elle t'a adoptée. Qu'importe le lien de sang, qu'importe sa passion, qu'importe les sommets, tu étais sa famille. Au début, elle se sentait surement responsable de t'avoir privé de ta vraie mère, mais avec le temps, elle est simplement devenue ta mère. Alors, oui, elle ne sait peut-être pas très bien s'y prendre. Avant de t'adopter, elle s'y connaissait plus en bivouac qu'en couches ! Toujours par monts et par vaux, elle n'avait même pas d'appartement. Depuis quinze ans, je ne l'ai jamais entendu se plaindre de quoi que ce soit : tu es son nouveau sommet, son K2 : faire de toi une jeune fille heureuse, autonome, maîtresse de son destin. Ta mère n'est pas ennuyeuse Paolina. Ta mère, c'est une guerrière, une battante, une femme forte !

Paola est médusée, bousculée par ses émotions. Honteuse d'avoir été aussi injuste avec sa mère. En colère qu'elle ne lui ait pas raconté tout cela avant. Troublée par cette nouvelle vérité. Perplexe de s'être méprise à ce point...
Elle regarde Marco, Gina et son sourire et sa mère à travers la fenêtre.
Paola coupe une part de gâteau au chocolat et prend la photo de Gina. Elle sort rejoindre sa mère dans le jardin.
— Maman ?
Amalia se retourne. Sa fille lui tend la part de gâteau et la photo de Gina.
— Tu me racontes ?
Même les femmes fortes ont parfois besoin qu'on leur tende la main...

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