Dans sa bulle

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Tous les bons livres sont pareils, ils sont plus vrais que l'aurait pu être la réalité. Ernest Hemingway

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Une demi-heure déjà que ses yeux sont ouverts sur l'obscurité de la chambre. Elle préfère toujours attendre le lever du soleil. Elle soulève délicatement l'épaisse couette et retrouve la chaleur de ses chaussons qui l'emmènent jusqu'à la salle de bain. Le placard lisse et froid sous le lavabo renferme un secret : un corsaire, un tee-shirt, des chaussettes basses, un coupe-vent d'un beau bleu marine. Elle s'habille et descend les escaliers en s'appliquant pour éviter la marche qui craque.

Elle sirote un grand thé brûlant sur la table de la cuisine, absorbée par le jardin à travers la baie vitrée. La pelouse est toujours un peu trop haute, la haie mal taillée. Les chaises rouillent sur la terrasse. Elle ignore le chat qui fait glisser ses pattes boueuses sur la fenêtre.

Elle trouve la première basket près de l'armoire de l'entrée. La deuxième, à l'envers, sous le parapluie. Les jointures de ses mains blanchissent quand elle serre ses lacets. Elle commence par un peu de marche. Des maisons, alignées, des mitoyennes construites dans les années soixante-dix, un toit pentu et un petit jardinet donnant sur la rue. Elle commence à courir lentement. Une petite course à petits pas. Tout en douceur. Changement d'habitations, elle dépasse des maisons indépendantes, neuves. Des garages, de grandes portes d'entrée colorées, des barbecues bétonnés.

Elle change son rythme dès l'entrée du marais. Ce matin, les brumes sont très basses sur les prés. Un peu d'humidité avant une belle journée. Elle accélère, ses pieds commencent à décoller. L'air est frais dans ses narines, le vent la ralentit. Les fortes pluies de la veille ont presque fait déborder les canaux. Des canards éclaboussent une poule d'eau. Expiration en deux fois. Un homme promène son chien près du moulin qui ne tourne plus. Elle le salue. Les barques amarrées, l'odeur de l'eau, des feuilles mouillées. Elle sent ses jambes, ses cuisses, ses mollets. Ses pieds s'envolent. Et c'est sur le petit pont glissant qu'elle constate la légèreté de ses pensées : « Je me prends sans doute trop la tête sur ce dossier. » Le retour s'amorce au champ d'artichauts, et encore fois, elle voit un héron s'envoler.

Elle essuie ses pieds avant d'ouvrir la porte d'entrée. Le silence a définitivement quitté la maison. Le bruit de la cafetière, le flash de la radio, le chat qui miaule. À l'étage, les hurlements du bébé. La voix tendre et grave de son mari : « Bonjour ma belle. » Et cette question d'un Spiderman de cinq ans qui l'agrippe de ses bras-araignées : « Maman ! T'étais partie où Maman ? » Il est temps de commencer la journée.

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