J'adore le mercredi. Je l'attends chaque semaine avec impatience. Il me fait la promesse d'une rupture avec le quotidien car quand mes cours sont terminés, que j'ai dégusté le bon repas que maman m'a préparé et que mes devoirs sont finis, je peux enfin m'octroyer un tout petit peu de repos pour savourer encore mieux le moment qui arrive. Celui que j'attends tant, tout le temps. J'ai l'impression de ne vivre que pour ça :
Je joue au hand-ball.
J'ai découvert ce sport quand j'avais sept ans, je crois. C'est Loïc qui m'a donné envie de m'inscrire chez Les Maôves. Comprenez les goélands, oiseaux emblématiques de mon club de hand et aussi de ce bout du monde où j'habite. La terre s'arrête là, à la frontière maritime qui nous sépare de l'Angleterre. Je vis sur une presqu'île façonnée par la mer et le vent, un paysage qui a du caractère et qui le transmet à ses habitants, j'ai l'impression.
On n'est pas complètement isolés mais presque...En même temps, la mer nous lie au reste du monde et tout ce qui agite l'extérieur nous parvient un jour, conduit par la mer, transporté par des ondes multiples ayant pris naissance dans des contrées beaucoup plus lointaines.
Les oiseaux aiment comme moi ce territoire sauvage posé dans l'eau, ils s'y nourrissent et s'y reposent. C'est un refuge où ils font parfois une halte avant de poursuivre leur migration. Ils survolent ses étendues de plages, ses hautes falaises de granit et aussi des paysages plus doux, de bocage et de marais.
Je me laisse emporter par le chant poétique que m'inspire ma région. Quand je pense que mon père a vécu dans le même village que Jacques Prévert dans la Hague..., que Victor Hugo, lui, est allé se réfugier sur l'île qui lui fait fasse...Je m'émeus.
Je reviens à Loïc. Même s'il se joignait à l'équipe de foot de nos copains dans la cour de l'école, je remarquais que son enthousiasme était beaucoup plus palpable lorsque, le lundi matin, il nous racontait son match de hand du week-end. On sentait bien qu'il avait vécu quelque chose de fort, qu'il avait partagé un moment intense avec d'autres joueurs, avec son entraîneur et les adultes qui les avaient encouragés, lui et son équipe.
Je ne sais quels mots il pouvait bien utiliser vu son jeune âge mais ils devaient être très pertinents car j'ai le souvenir de récits captivants.
A sept ans, c'étaient certainement ses gestes et ses expressions qui me montraient à quel point l'activité qu'il pratiquait le week-end le mettait en joie. Oui, c'est Loïc qui m'a mis sur le chemin du hand. Tout cela a passé si vite. J'ai l'impression que c'était hier. La découverte des odeurs du gymnase, de la colle sur le ballon, cette ambiance singulière... et le bruit des jets de sept mètres, lancers puissants et directs qui faisaient vibrer les poteaux des buts ! J'aimais édifier une construction à plusieurs pour arriver au résultat. Je me sentais indispensable à l'équipe et étais heureux de défier les adversaires qui déployaient les mêmes efforts, nos contributions respectives offrant aux spectateurs un beau jeu.
Mes parents ont tout de suite approuvé et apprécié que je choisisse ce sport collectif. Ils y voyaient une belle forme de socialisation pour leur fils, tout en lui offrant un défouloir utile à canaliser son énergie débordante.
Le hand concentre aujourd'hui encore mon énergie mais la développe aussi. Je gère, j'accueille tout ça, j'adore, j'exulte...
La puissance et la maîtrise :voilà ce que m'offre ce sport. Je m'y retrouve , corps et âme, je suis moi, tout entier et bien vivant quand je joue, en harmonie avec moi-même et les autres.
Le dimanche matin, souvent, je cours sur la plage. Il y a deux mois, je m'entraînais sur la côte nord de la presqu'île. Après un footing de près d'une heure, je reprenais mon souffle en marchant sur la grande digue de pierre qui avance vers la rade artificielle de Cherbourg. J'étais en sueur mais une fine bruine, joliment parfumée d'embruns venait me rafraîchir. Ce dimanche, la plage était comme absorbée par une masse d'air humide et fraîche, gonflée d'un gris très cendré.
Alors que j'expirais, j'entendis comme un râle qui provenait de plus bas. Je crus un moment que c'était mon écho qui venait ricocher sur le granit, sous mes pieds. Mais non, c'était autre chose. Il me fallu un petit moment pour laisser mon regard balayer toute l'arête de la digue et plonger vers le sable jusqu'à ce qu'il s'arrête net sur un garçon tout recroquevillé. Il ne sortait la tête de ses genoux que pour cracher péniblement devant lui de l'eau et ses poumons tout entiers visiblement, dans des soubresauts d'une violence inquiétante.
Il avait l'air jeune et terrassé par la fatigue et le froid. Je m'approchai de lui, lui parlai mais il n'avait l'air ni de comprendre ma langue, ni capable d'articuler un seul mot. Ses vêtements étaient complètement mouillés et tout son corps tremblait.
J'ai paniqué quand j'ai compris que ce garçon venait de sortir tout droit de la mer ou venait plutôt d'en être rejeté. Un migrant. Le mot est arrivé très très vite à mon esprit, comme déposé, lui aussi, par une lame imprévisible s'échouant sur l'estran, au pied de cette même digue.
Appeler des secours, trouver de l'aide. J'ai couru pour rattraper le petit chemin côtier au dessus de la plage. Seule, une jeune femme s'y promenait. Je l'ai suppliée de me prêter immédiatement son portable et c'est mon parrain Simon que j'ai appelé. Il a une petite maison à quelques kilomètres plus loin sur le littoral.Une chance, il a répondu aussitôt. Police, pompiers et SAMU se sont très vite déplacés pour sauver l'étrange étranger que je venais de découvrir. On m'a demandé si je voulais l'accompagner jusqu'à l'hôpital avec mon parrain. J'ai hésité puis je me suis senti investi de cette mission de protéger celui qui était ainsi esseulé.
Il a passé une semaine à l'hôpital. Une association très dynamique de la région l'a pris en charge . Nous avons appris à nous connaître. Chami était en errance depuis 90 jours. Il avait quitté son Afghanistan natal pour fuir la guerre menée par les talibans dans son pays. Son arrivée jusqu'à Cherbourg était déjà un exploit. Il avait voulu ensuite s'immiscer dans un camion qui embarquait à bord d'un ferry pour Portsmouth. Une heure seulement après le départ du bateau, le douane l'avait déniché, planqué dans un container de marchandises. Il s'était débattu jusqu'à sauter par dessus bord et c'est à la nage qu'il avait rejoint le rivage.Vingt cinq kilomètres de brasses au milieu de la Manche, à slalomer entre bateaux de plaisance, de pêche et de commerce dans une eau à 16 degrés.
Il m'a parlé d'entraînements intensifs entrepris depuis des années, d'énergie vitale, d'endurance, de force et de maîtrise, de désir de se retrouver, d'envie de vivre et de partager.
Chami va avoir 18 ans en juin. Cela fait un an qu'il est en formation au lycée maritime et aquacole de Cherbourg. Loïc et moi l'avons invité à rejoindre Les Maôves. Puissent-elles bientôt lui montrer le chemin de la liberté !
Je joue au hand-ball.
J'ai découvert ce sport quand j'avais sept ans, je crois. C'est Loïc qui m'a donné envie de m'inscrire chez Les Maôves. Comprenez les goélands, oiseaux emblématiques de mon club de hand et aussi de ce bout du monde où j'habite. La terre s'arrête là, à la frontière maritime qui nous sépare de l'Angleterre. Je vis sur une presqu'île façonnée par la mer et le vent, un paysage qui a du caractère et qui le transmet à ses habitants, j'ai l'impression.
On n'est pas complètement isolés mais presque...En même temps, la mer nous lie au reste du monde et tout ce qui agite l'extérieur nous parvient un jour, conduit par la mer, transporté par des ondes multiples ayant pris naissance dans des contrées beaucoup plus lointaines.
Les oiseaux aiment comme moi ce territoire sauvage posé dans l'eau, ils s'y nourrissent et s'y reposent. C'est un refuge où ils font parfois une halte avant de poursuivre leur migration. Ils survolent ses étendues de plages, ses hautes falaises de granit et aussi des paysages plus doux, de bocage et de marais.
Je me laisse emporter par le chant poétique que m'inspire ma région. Quand je pense que mon père a vécu dans le même village que Jacques Prévert dans la Hague..., que Victor Hugo, lui, est allé se réfugier sur l'île qui lui fait fasse...Je m'émeus.
Je reviens à Loïc. Même s'il se joignait à l'équipe de foot de nos copains dans la cour de l'école, je remarquais que son enthousiasme était beaucoup plus palpable lorsque, le lundi matin, il nous racontait son match de hand du week-end. On sentait bien qu'il avait vécu quelque chose de fort, qu'il avait partagé un moment intense avec d'autres joueurs, avec son entraîneur et les adultes qui les avaient encouragés, lui et son équipe.
Je ne sais quels mots il pouvait bien utiliser vu son jeune âge mais ils devaient être très pertinents car j'ai le souvenir de récits captivants.
A sept ans, c'étaient certainement ses gestes et ses expressions qui me montraient à quel point l'activité qu'il pratiquait le week-end le mettait en joie. Oui, c'est Loïc qui m'a mis sur le chemin du hand. Tout cela a passé si vite. J'ai l'impression que c'était hier. La découverte des odeurs du gymnase, de la colle sur le ballon, cette ambiance singulière... et le bruit des jets de sept mètres, lancers puissants et directs qui faisaient vibrer les poteaux des buts ! J'aimais édifier une construction à plusieurs pour arriver au résultat. Je me sentais indispensable à l'équipe et étais heureux de défier les adversaires qui déployaient les mêmes efforts, nos contributions respectives offrant aux spectateurs un beau jeu.
Mes parents ont tout de suite approuvé et apprécié que je choisisse ce sport collectif. Ils y voyaient une belle forme de socialisation pour leur fils, tout en lui offrant un défouloir utile à canaliser son énergie débordante.
Le hand concentre aujourd'hui encore mon énergie mais la développe aussi. Je gère, j'accueille tout ça, j'adore, j'exulte...
La puissance et la maîtrise :voilà ce que m'offre ce sport. Je m'y retrouve , corps et âme, je suis moi, tout entier et bien vivant quand je joue, en harmonie avec moi-même et les autres.
Le dimanche matin, souvent, je cours sur la plage. Il y a deux mois, je m'entraînais sur la côte nord de la presqu'île. Après un footing de près d'une heure, je reprenais mon souffle en marchant sur la grande digue de pierre qui avance vers la rade artificielle de Cherbourg. J'étais en sueur mais une fine bruine, joliment parfumée d'embruns venait me rafraîchir. Ce dimanche, la plage était comme absorbée par une masse d'air humide et fraîche, gonflée d'un gris très cendré.
Alors que j'expirais, j'entendis comme un râle qui provenait de plus bas. Je crus un moment que c'était mon écho qui venait ricocher sur le granit, sous mes pieds. Mais non, c'était autre chose. Il me fallu un petit moment pour laisser mon regard balayer toute l'arête de la digue et plonger vers le sable jusqu'à ce qu'il s'arrête net sur un garçon tout recroquevillé. Il ne sortait la tête de ses genoux que pour cracher péniblement devant lui de l'eau et ses poumons tout entiers visiblement, dans des soubresauts d'une violence inquiétante.
Il avait l'air jeune et terrassé par la fatigue et le froid. Je m'approchai de lui, lui parlai mais il n'avait l'air ni de comprendre ma langue, ni capable d'articuler un seul mot. Ses vêtements étaient complètement mouillés et tout son corps tremblait.
J'ai paniqué quand j'ai compris que ce garçon venait de sortir tout droit de la mer ou venait plutôt d'en être rejeté. Un migrant. Le mot est arrivé très très vite à mon esprit, comme déposé, lui aussi, par une lame imprévisible s'échouant sur l'estran, au pied de cette même digue.
Appeler des secours, trouver de l'aide. J'ai couru pour rattraper le petit chemin côtier au dessus de la plage. Seule, une jeune femme s'y promenait. Je l'ai suppliée de me prêter immédiatement son portable et c'est mon parrain Simon que j'ai appelé. Il a une petite maison à quelques kilomètres plus loin sur le littoral.Une chance, il a répondu aussitôt. Police, pompiers et SAMU se sont très vite déplacés pour sauver l'étrange étranger que je venais de découvrir. On m'a demandé si je voulais l'accompagner jusqu'à l'hôpital avec mon parrain. J'ai hésité puis je me suis senti investi de cette mission de protéger celui qui était ainsi esseulé.
Il a passé une semaine à l'hôpital. Une association très dynamique de la région l'a pris en charge . Nous avons appris à nous connaître. Chami était en errance depuis 90 jours. Il avait quitté son Afghanistan natal pour fuir la guerre menée par les talibans dans son pays. Son arrivée jusqu'à Cherbourg était déjà un exploit. Il avait voulu ensuite s'immiscer dans un camion qui embarquait à bord d'un ferry pour Portsmouth. Une heure seulement après le départ du bateau, le douane l'avait déniché, planqué dans un container de marchandises. Il s'était débattu jusqu'à sauter par dessus bord et c'est à la nage qu'il avait rejoint le rivage.Vingt cinq kilomètres de brasses au milieu de la Manche, à slalomer entre bateaux de plaisance, de pêche et de commerce dans une eau à 16 degrés.
Il m'a parlé d'entraînements intensifs entrepris depuis des années, d'énergie vitale, d'endurance, de force et de maîtrise, de désir de se retrouver, d'envie de vivre et de partager.
Chami va avoir 18 ans en juin. Cela fait un an qu'il est en formation au lycée maritime et aquacole de Cherbourg. Loïc et moi l'avons invité à rejoindre Les Maôves. Puissent-elles bientôt lui montrer le chemin de la liberté !