Tout en marchant dans le matin naissant encore hivernal, un agréable soleil confère à cette journée une connivence printanière malgré un léger voile matutinal blanc et froid tôt disparu.
Le doux écoulement de l'eau dans les tirguiwouine° berce mes pensées,
Volant entre oliviers et palmiers, des merles transpercent l'air de joyeux trilles, couvrant à peine les notes claires de la rivière qui chante vivement en sautant parmi les pierres de son lit ; son eau éclatant en autant de gouttes étincelantes dans la lumière matinale.
Encore bas les rayons du soleil parfument les rares feuillages et les palmes de tendres couleurs.
Ne serait-ce l'envoûtant flot de la rivière et le chant des oiseaux, nul bruit ne viendrait troubler cette quiétude; parfois seulement le braiement d'un âne impatient sur son entrave, rugit au loin près de jeunes femmes en corvée de lessive dans l'eau glacée qui s'enfuit des sources montagnardes.
C’est là que je viens me réfugier, au cœur de la palmeraie, lorsque les soucis de la vie me rattrapent et que l’inspiration s’enfuit. J’emprunte ces sentiers séculaires pour me perdre dans les vieux ksour° en ruines, délaissés pour des maisons plus confortables avec l’eau courante et l’électricité. Le bitume y a remplacé les pistes poussiéreuses, les automobiles et fourgonnettes, les convois de mulets et de dromadaires.
Blotti corps et âme au creux de cette sérénité, j'imagine quelques rimes, pour le soir et la lune encore jeune à venir dans la nuit.
« Au seuil du désert le griot chantait la nuit
Et de sa kora montaient des notes limpides,
Puis des étoiles blanches s'ouvrirent sans bruit
Brillant dans le ciel noir qui domine le vide°... »
« Ici, dans le sud-est aride du pays, la radio et le téléviseur ont peu à peu remplacé ces infatigables conteurs et poètes errants qui au-delà de dispenser les nouvelles d’un monde aussi lointain qu’inconnu, étaient de plus une véritable mémoire vivante, une bibliothèque itinérante », me racontait mon vieux Maître qui les a vus disparaître, tout en m’entretenant de leur histoire et de leurs rôles.
« À l'heure où le soleil tombait sur la montagne, autour des feux de camps brillant entre les tentes de l’oasis, les griots chantaient les temps anciens, les longues caravanes qui se perdaient au sud, dans les savanes, après avoir traversé la chaude solitude du désert. » me répétait-il souvent dans sa vieillesse.
Car il était très âgé ; originaire d’une de ces petites oasis d’au-delà du grand désert, d’une époque où les occidentaux n’avaient pas encore tracé ces lignes invisibles qui le fracturent maintenant. Et l’Histoire, la grande comme on dit, l’avait trimballé là dans sa jeunesse, au mépris de toutes considérations, faisant fi de ses envies et de lui un déraciné, si ce n’était cette grande palmeraie dans laquelle les mystérieux chemins de la vie, du destin peut-être, l’avaient transporté et qui lui rappelait tendrement, avec les gens qui l’habitent, l’oasis de sa jeunesse à jamais perdue.
Mais à moi, c'est un frêle présent qui m'appelle, sans envie, mais fermement. Les aléas d’un morne quotidien dans lequel je me sens parfois déplacé.
Un dernier regard déjà nostalgique sur ces quelques instants uniques me fait voir que je ne peux arrêter le temps.
Alors que du proche minaret monte l'appel du muezzin à la prière, je reprends mon chemin solitaire.
Et dans ce matin naissant, au loin, par-delà de ce grand désert peut-être, semble m'attendre l'éternité...
- tirguiwouine : pl de targwa, canal d'irrigation.
- ksour : pl de ksar, village fortifié bâti de pisé.
- le vide : c'est un des mots utilisés par les Touaregs pour désigner le désert.
Le doux écoulement de l'eau dans les tirguiwouine° berce mes pensées,
Volant entre oliviers et palmiers, des merles transpercent l'air de joyeux trilles, couvrant à peine les notes claires de la rivière qui chante vivement en sautant parmi les pierres de son lit ; son eau éclatant en autant de gouttes étincelantes dans la lumière matinale.
Encore bas les rayons du soleil parfument les rares feuillages et les palmes de tendres couleurs.
Ne serait-ce l'envoûtant flot de la rivière et le chant des oiseaux, nul bruit ne viendrait troubler cette quiétude; parfois seulement le braiement d'un âne impatient sur son entrave, rugit au loin près de jeunes femmes en corvée de lessive dans l'eau glacée qui s'enfuit des sources montagnardes.
C’est là que je viens me réfugier, au cœur de la palmeraie, lorsque les soucis de la vie me rattrapent et que l’inspiration s’enfuit. J’emprunte ces sentiers séculaires pour me perdre dans les vieux ksour° en ruines, délaissés pour des maisons plus confortables avec l’eau courante et l’électricité. Le bitume y a remplacé les pistes poussiéreuses, les automobiles et fourgonnettes, les convois de mulets et de dromadaires.
Blotti corps et âme au creux de cette sérénité, j'imagine quelques rimes, pour le soir et la lune encore jeune à venir dans la nuit.
« Au seuil du désert le griot chantait la nuit
Et de sa kora montaient des notes limpides,
Puis des étoiles blanches s'ouvrirent sans bruit
Brillant dans le ciel noir qui domine le vide°... »
« Ici, dans le sud-est aride du pays, la radio et le téléviseur ont peu à peu remplacé ces infatigables conteurs et poètes errants qui au-delà de dispenser les nouvelles d’un monde aussi lointain qu’inconnu, étaient de plus une véritable mémoire vivante, une bibliothèque itinérante », me racontait mon vieux Maître qui les a vus disparaître, tout en m’entretenant de leur histoire et de leurs rôles.
« À l'heure où le soleil tombait sur la montagne, autour des feux de camps brillant entre les tentes de l’oasis, les griots chantaient les temps anciens, les longues caravanes qui se perdaient au sud, dans les savanes, après avoir traversé la chaude solitude du désert. » me répétait-il souvent dans sa vieillesse.
Car il était très âgé ; originaire d’une de ces petites oasis d’au-delà du grand désert, d’une époque où les occidentaux n’avaient pas encore tracé ces lignes invisibles qui le fracturent maintenant. Et l’Histoire, la grande comme on dit, l’avait trimballé là dans sa jeunesse, au mépris de toutes considérations, faisant fi de ses envies et de lui un déraciné, si ce n’était cette grande palmeraie dans laquelle les mystérieux chemins de la vie, du destin peut-être, l’avaient transporté et qui lui rappelait tendrement, avec les gens qui l’habitent, l’oasis de sa jeunesse à jamais perdue.
Mais à moi, c'est un frêle présent qui m'appelle, sans envie, mais fermement. Les aléas d’un morne quotidien dans lequel je me sens parfois déplacé.
Un dernier regard déjà nostalgique sur ces quelques instants uniques me fait voir que je ne peux arrêter le temps.
Alors que du proche minaret monte l'appel du muezzin à la prière, je reprends mon chemin solitaire.
Et dans ce matin naissant, au loin, par-delà de ce grand désert peut-être, semble m'attendre l'éternité...
- tirguiwouine : pl de targwa, canal d'irrigation.
- ksour : pl de ksar, village fortifié bâti de pisé.
- le vide : c'est un des mots utilisés par les Touaregs pour désigner le désert.