Toute histoire commence un jour, quelque part ; toute vie est une histoire. Ecrire c’est vivre à travers le temps, hors de l’emprise du temps. Je suis là tous les jours mais personne ne me voit ; du moins personne ne me prête la moindre attention. C’est pourquoi je rédige cette courte histoire afin de m’incruster dans la mémoire des gens, et que ceux qui croisent un de mes semblables se souviennent de ce que nous endurons au quotidien.
Je fais partie de ceux qui sont déshérités de la terre, condamné à être reclus tout en bas de l’échelle sociale, juste après les animaux. Certains dirons que c’est exagérer, mais quand je vois comment les hommes traitent leurs animaux, je les envies et même que j’en suis jaloux. Les hommes donnent un nom à leurs animaux domestiques alors que moi, leur semblable, je n’en ai point ; en tout cas personne ne m’appelle par mon nom. Ils ont un toit, à manger trois fois par jour à des heures d’une précision d’horloger, des repas dignes d’une cuisine quatre étoiles ; ils héritent même de leur hôte et surtout, mais surtout, ils ont de l’amour à n’en savoir quoi faire. Je parle bien sûr d’eux, de ces animaux domestiques, de ces veinards. Que ne donnerais-je pas pour passer un jour à leur place, un jour au paradis. C’est pourquoi messieurs et mesdames, vous qui vous vous sentez seul et qui allez jusqu’à dépenser des sommes astronomiques pour des animaux de compagnies et toutes les charges qui vont avec, sachez qu’il y a des millions d’enfants comme moi à travers le monde qui sont en manque d’affections, sachez qu’il y en a des millions qui meurent de faims ; des millions qui meurent de soif. Je n’en veux à personne de faire comme bon lui semble avec son argent, car cette personne a fourni à son niveau, des efforts que je n’imagine pas, pour atteindre cette échelle sociale où tout parait si simple. Je fais plutôt appelle à votre compassion, à votre humanité ; car être compatissant c’est être humain. Si seulement vous donniez ne serait-ce qu’une partie insignifiante de la fortune que vous dépensez pour vos animaux, cela changera beaucoup pour nous. A chaque fois que vous faites une bonne œuvre dites-vous que vous avez permis à un enfant d’espérer, de rêver, de vivre un jour de plus.
Mes journées sont réglées tel un automate, le matin je me lève très tôt pour aller faire du porte à porte. Rare sont les maisons qui ont la bienveillance de garder leur reste pour ceux qui viennent mendier, la plupart du temps la nourriture est jetée aux ordures ; et c’est dans ce marché de troisième zone que nous trouvons notre compte, car tout y est gratuit. Toutefois pour avoir accès aux produits de choix il faut être le premier sur les lieux, du fait que la concurrence y est rude. En commençant par les mendiants et les personnes atteintes de folie, jusqu’aux animaux errants ; il faut dire que la lutte est farouche. Je dirais que c’est plus un souk qu’un marché ordinaire. En effet les articles, aliments mis à part, vont de la tête aux pieds, des casquettes usées aux chaussettes trouées. On y trouve des lunettes cassées, des vêtements en piteuses états, ainsi que des chaussures de grandes marques telles que des Nike en lambeaux et des Adidas à moitié complets. Une fois sur les lieux on a l’embarras du choix. En ce qui concerne la nourriture, on a droit à plein de mélanges exotiques. Pour revenir aux aliments jetés, je n’ose pas imaginer la quantité de nourriture que les restaurants jettent à la poubelle chaque jour. Vous ne vous rendez pas compte du nombre de bien fait que nous recevrons si ces restes de nourriture étaient bien emballés et acheminés vers des cantines publiques pour mendiants, disséminées un peu partout dans le pays. Cela permettra non seulement d’éviter le gaspillage, mais aussi de nourrir un grand nombre de personnes dans le besoin.
Quant à moi je ne passe pas toutes mes journées au super marché moins trois étoiles, je n’y vais que pour me procurer des vêtements. Il n’y a que ceux qui sont faibles physiquement qui s’y rendent ; car entre nous-même les mendiants il y a une hiérarchie à respecter. Dans le taudis qui nous sert de dortoir on a un quota journalier de fourniture à payer au chef du dortoir et à sa garde rapprochée. Du coup le chef et sa clique n’ont vraiment pas l’air de mendiants ; gras jusqu’aux oreilles ils nous imposent leur domination, il y en a même qui réussissent à entretenir de petits commerces à nos dépends. Parmi ceux qui doivent payer, il y en a qui se font arracher tout ce qu’ils ont récolter durant la journée, soit parce que ce qu’ils ont payés n’était pas suffisant, soit pour rembourser une dette. En ce qui me concerne je préfère plutôt prendre mon petit déjeuner en faisant du porte à porte. La procédure est simple, très tôt le matin je fais une toilette impeccable ; c’est-à-dire que je lave les parties visibles de mon corps dans l’eau du marigot, j’enfile mon boubou et chausse mes tapettes bleues, je me charge de ma calebasse et me voilà en route pour une bonne journée en perspective. Arriver devant un portail, donc à mon lieu de travail, je chantonne la courte mélodie qui signale la présence d’un mendiant et ce par intervalle régulier de trois secondes par mots : « chandala, chandala, chandala, chandala ». Quand je chante, je m’attarde sur la première et la dernière syllabe ; et j’élève bien la voix afin que la personne qui se trouve au fond de la concession m’entende. Lorsque cette personne m’apporte le reste de nourriture, généralement c’est un enfant, je tends ma calebasse à deux mains en signe de respect et elle y déverse le mélange de leur reste de la veille. Et je continu ainsi de de porte en porte tout en me délectant de ce qu’il y a de meilleur dans ma calebasse.
Une fois ma ronde terminée, je me hâte d’aller m’acquitter de ma charge journalière. Je vais rejoindre ensuite mes camarades avec lesquels on flâne jusqu’à midi, après quoi nous nous rendons sur les places publiques et les endroits les plus fréquentés pour quémander quelques pièces. C’est le moment le plus intéressant de la journée, personne ne nous regarde ; pire, quand quelqu’un nous voit par erreur il détourne rapidement le regard et s’éloigne. Le plus souvent c’est nous qui provoquons le contacte. En abordant quelqu’un j’arbore des grands yeux d’une tristesse à faire fondre en larme Poséidon, soulignés d’un large sourire malgré moi. Après de vaines tentatives, je me résigne et je vais reposer mes fessiers dans un coin ; ensuite j’observe. Je regarde les gens s’affairer à leur traintrain habituel, je les vois manger et le doux parfum d’un repas bien préparé danse la samba dans mes narines ; alors je salive tout doucement dans la contemplation. Ils sont heureux je le sais, je le vois quand ils trainent leurs enfants tout contents dans les boutiques ; soudain un sentiment à la foi familier et étrange m’envahi. Je suis en même temps content pour eux et triste pour moi, je crois que je suis jaloux, je déprime. Dans ces moments d’admirations mêlées pas très catholiques, il arrive que quelques bons samaritains me jettent des pièces. Alors je les remercie et les béni pour le bienfait, et les souhaite beaucoup de bonnes choses ; même s’ils s’en foutent.
Vers l’après-midi, je m’en vais cacher l’argent que j’ai eus dans un endroit loin du dortoir, un endroit que moi seul connais ; ensuite je retourne faire une dernière ronde de porte en porte, histoire d’avoir un petit truc pour la nuit. Après cela je m’en vais m’amuser dans le marigot avec les amis, puis on revient au dortoir. Ceux qui n’ont pas pu s’acquitter durant la journée rendent des comptes à ce moment ; certains comme moi prennent leur pied en dégustant leur repas du soir avant d’aller au lit. Quand je parle de lit, je fais bien entendu allusion à ce que mère nature nous a léguée ; je veux dire par là que je dors à même le sol. On s’entasse les uns sur les autres, peu importe notre nombre et notre posture, pourvu que le marchand de sable fasse son job. Dans cette ambiance il m’arrive quelque fois de voir des gens dormir dans des positons qui défient la géométrie euclidienne ; il y en a même qui sont plus ou moins douteuses. Et voilà, c’est en grosso modo comme ça que je vis au jour le jour.
Toutefois je tiens à vous dire que ça fait cinq ans que je ne vis plus comme un mendiant, étonnant n’est-ce pas ? Voulez savoir comment ça a été possible ? Et bien tout à commencer quand un jour...
Je fais partie de ceux qui sont déshérités de la terre, condamné à être reclus tout en bas de l’échelle sociale, juste après les animaux. Certains dirons que c’est exagérer, mais quand je vois comment les hommes traitent leurs animaux, je les envies et même que j’en suis jaloux. Les hommes donnent un nom à leurs animaux domestiques alors que moi, leur semblable, je n’en ai point ; en tout cas personne ne m’appelle par mon nom. Ils ont un toit, à manger trois fois par jour à des heures d’une précision d’horloger, des repas dignes d’une cuisine quatre étoiles ; ils héritent même de leur hôte et surtout, mais surtout, ils ont de l’amour à n’en savoir quoi faire. Je parle bien sûr d’eux, de ces animaux domestiques, de ces veinards. Que ne donnerais-je pas pour passer un jour à leur place, un jour au paradis. C’est pourquoi messieurs et mesdames, vous qui vous vous sentez seul et qui allez jusqu’à dépenser des sommes astronomiques pour des animaux de compagnies et toutes les charges qui vont avec, sachez qu’il y a des millions d’enfants comme moi à travers le monde qui sont en manque d’affections, sachez qu’il y en a des millions qui meurent de faims ; des millions qui meurent de soif. Je n’en veux à personne de faire comme bon lui semble avec son argent, car cette personne a fourni à son niveau, des efforts que je n’imagine pas, pour atteindre cette échelle sociale où tout parait si simple. Je fais plutôt appelle à votre compassion, à votre humanité ; car être compatissant c’est être humain. Si seulement vous donniez ne serait-ce qu’une partie insignifiante de la fortune que vous dépensez pour vos animaux, cela changera beaucoup pour nous. A chaque fois que vous faites une bonne œuvre dites-vous que vous avez permis à un enfant d’espérer, de rêver, de vivre un jour de plus.
Mes journées sont réglées tel un automate, le matin je me lève très tôt pour aller faire du porte à porte. Rare sont les maisons qui ont la bienveillance de garder leur reste pour ceux qui viennent mendier, la plupart du temps la nourriture est jetée aux ordures ; et c’est dans ce marché de troisième zone que nous trouvons notre compte, car tout y est gratuit. Toutefois pour avoir accès aux produits de choix il faut être le premier sur les lieux, du fait que la concurrence y est rude. En commençant par les mendiants et les personnes atteintes de folie, jusqu’aux animaux errants ; il faut dire que la lutte est farouche. Je dirais que c’est plus un souk qu’un marché ordinaire. En effet les articles, aliments mis à part, vont de la tête aux pieds, des casquettes usées aux chaussettes trouées. On y trouve des lunettes cassées, des vêtements en piteuses états, ainsi que des chaussures de grandes marques telles que des Nike en lambeaux et des Adidas à moitié complets. Une fois sur les lieux on a l’embarras du choix. En ce qui concerne la nourriture, on a droit à plein de mélanges exotiques. Pour revenir aux aliments jetés, je n’ose pas imaginer la quantité de nourriture que les restaurants jettent à la poubelle chaque jour. Vous ne vous rendez pas compte du nombre de bien fait que nous recevrons si ces restes de nourriture étaient bien emballés et acheminés vers des cantines publiques pour mendiants, disséminées un peu partout dans le pays. Cela permettra non seulement d’éviter le gaspillage, mais aussi de nourrir un grand nombre de personnes dans le besoin.
Quant à moi je ne passe pas toutes mes journées au super marché moins trois étoiles, je n’y vais que pour me procurer des vêtements. Il n’y a que ceux qui sont faibles physiquement qui s’y rendent ; car entre nous-même les mendiants il y a une hiérarchie à respecter. Dans le taudis qui nous sert de dortoir on a un quota journalier de fourniture à payer au chef du dortoir et à sa garde rapprochée. Du coup le chef et sa clique n’ont vraiment pas l’air de mendiants ; gras jusqu’aux oreilles ils nous imposent leur domination, il y en a même qui réussissent à entretenir de petits commerces à nos dépends. Parmi ceux qui doivent payer, il y en a qui se font arracher tout ce qu’ils ont récolter durant la journée, soit parce que ce qu’ils ont payés n’était pas suffisant, soit pour rembourser une dette. En ce qui me concerne je préfère plutôt prendre mon petit déjeuner en faisant du porte à porte. La procédure est simple, très tôt le matin je fais une toilette impeccable ; c’est-à-dire que je lave les parties visibles de mon corps dans l’eau du marigot, j’enfile mon boubou et chausse mes tapettes bleues, je me charge de ma calebasse et me voilà en route pour une bonne journée en perspective. Arriver devant un portail, donc à mon lieu de travail, je chantonne la courte mélodie qui signale la présence d’un mendiant et ce par intervalle régulier de trois secondes par mots : « chandala, chandala, chandala, chandala ». Quand je chante, je m’attarde sur la première et la dernière syllabe ; et j’élève bien la voix afin que la personne qui se trouve au fond de la concession m’entende. Lorsque cette personne m’apporte le reste de nourriture, généralement c’est un enfant, je tends ma calebasse à deux mains en signe de respect et elle y déverse le mélange de leur reste de la veille. Et je continu ainsi de de porte en porte tout en me délectant de ce qu’il y a de meilleur dans ma calebasse.
Une fois ma ronde terminée, je me hâte d’aller m’acquitter de ma charge journalière. Je vais rejoindre ensuite mes camarades avec lesquels on flâne jusqu’à midi, après quoi nous nous rendons sur les places publiques et les endroits les plus fréquentés pour quémander quelques pièces. C’est le moment le plus intéressant de la journée, personne ne nous regarde ; pire, quand quelqu’un nous voit par erreur il détourne rapidement le regard et s’éloigne. Le plus souvent c’est nous qui provoquons le contacte. En abordant quelqu’un j’arbore des grands yeux d’une tristesse à faire fondre en larme Poséidon, soulignés d’un large sourire malgré moi. Après de vaines tentatives, je me résigne et je vais reposer mes fessiers dans un coin ; ensuite j’observe. Je regarde les gens s’affairer à leur traintrain habituel, je les vois manger et le doux parfum d’un repas bien préparé danse la samba dans mes narines ; alors je salive tout doucement dans la contemplation. Ils sont heureux je le sais, je le vois quand ils trainent leurs enfants tout contents dans les boutiques ; soudain un sentiment à la foi familier et étrange m’envahi. Je suis en même temps content pour eux et triste pour moi, je crois que je suis jaloux, je déprime. Dans ces moments d’admirations mêlées pas très catholiques, il arrive que quelques bons samaritains me jettent des pièces. Alors je les remercie et les béni pour le bienfait, et les souhaite beaucoup de bonnes choses ; même s’ils s’en foutent.
Vers l’après-midi, je m’en vais cacher l’argent que j’ai eus dans un endroit loin du dortoir, un endroit que moi seul connais ; ensuite je retourne faire une dernière ronde de porte en porte, histoire d’avoir un petit truc pour la nuit. Après cela je m’en vais m’amuser dans le marigot avec les amis, puis on revient au dortoir. Ceux qui n’ont pas pu s’acquitter durant la journée rendent des comptes à ce moment ; certains comme moi prennent leur pied en dégustant leur repas du soir avant d’aller au lit. Quand je parle de lit, je fais bien entendu allusion à ce que mère nature nous a léguée ; je veux dire par là que je dors à même le sol. On s’entasse les uns sur les autres, peu importe notre nombre et notre posture, pourvu que le marchand de sable fasse son job. Dans cette ambiance il m’arrive quelque fois de voir des gens dormir dans des positons qui défient la géométrie euclidienne ; il y en a même qui sont plus ou moins douteuses. Et voilà, c’est en grosso modo comme ça que je vis au jour le jour.
Toutefois je tiens à vous dire que ça fait cinq ans que je ne vis plus comme un mendiant, étonnant n’est-ce pas ? Voulez savoir comment ça a été possible ? Et bien tout à commencer quand un jour...