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La première fois qu'ils se sont vus ? C'était au niveau de la porte tambour, côté mer. Une scène digne d'un Lelouch. Moi qui fredonne chabadabada à chaque fois que je rentre dans notre cher établissement, j'étais servie. Vous avez réservé la 414, n'est-ce pas ? La plus emblématique de notre hôtel. Voici la clé pour y accéder. Ma collègue Marie va vous accompagner. Elle vous racontera leur rencontre.
Suivez-moi, monsieur, c'est par ici. Hannah Dawson vient depuis petite. Avec sa grand-mère qu'elle appelait Poupette. Comme dans le film La boum. Ça nous a toujours fait rire cette coïncidence. Enfant déjà, Hannah était très maladroite. Sa mère la grondait souvent et c'était la fameuse Poupette, une femme adorable, qui consolait la gamine. Pour lui redonner le sourire, elle lui offrait un vrai chocolat chaud à la mousse épaisse et ces fameuses madeleines, notre spécialité, tant vantées par Marcel Proust. La petite repartait avec des taches plein la robe mais la mamie s'arrangeait toujours pour éviter le drame grâce à la complicité de la gouvernante générale. Madame Dawson était très sévère avec sa fille. Quant au père, elle ne l'avait vu que deux fois. D'après la mère, il les avait abandonnées. La gamine en souffrait. Mais je m'égare. Donc Hannah est toujours venue ici en décembre. Ce jour-là, celui de leur rencontre, perdue dans ses pensées, elle avait fait tomber ses nombreux paquets dans la porte tambour. Notre portier vint à sa rescousse et très vite, tout fut ramassé. Sauf un vêtement très léger, de ceux visibles dans l'intimité, qui s'échappa d'un sac. Dans la précipitation, personne ne le vit et, poussé par l'élan des portes, il s'envola dans le vent marin. Fayçal Hadja, le célèbre trompettiste, rentrait par la même porte de sa promenade sur la digue. Et là... Ah mince, je dois répondre. Désolée, une urgence. Voyez Jules, le barman, il va vous raconter la suite. Il connaît l'histoire aussi bien que moi. À plus tard, monsieur et bon séjour dans la chambre de Marcel Proust !
Voici votre Calvados. Oh oui, très amusante cette scène. Monsieur Hadja monte les escaliers et là, sous la marquise, la subtile dentelle de Melle Hannah se colle au visage du musicien. Aveuglé, il se cogne contre la vitre. Le portier s'empresse de le secourir. Mademoiselle Hannah rougit quand Fayçal lui tend le fin tissu. Son visage est sérieux ; ses yeux pétillent. Notre Australienne, vexée, lui soustrait vivement l'objet volage des mains et, gênée, opère une volte-face avant de se diriger vers l'ascenseur. Il tente de la rattraper. Les portes se referment sur son nez. Je me souviens du petit sourire de la réceptionniste. Le trompettiste a demandé le numéro de chambre d'Hannah mais ma collègue a refusé. Pourtant, c'est nous qui les avons aidés à s'aimer. Nous en sommes très fiers. Notre charmante directrice en tête. Tiens, justement la voici.
Enchantée, M. Robert. J'espère que notre établissement vous plaît. Nous sommes très heureux de vous accueillir. Écrire une romance à partir de notre Grand Hôtel, quelle attention ravissante ! Et quelle témérité ! Tenter l'expérience après le génie de Proust, bravo ! Pour en revenir à Hannah et Fayçal, ils ne se sont pas revus le soir-même. À cause de l'épisode embarrassant de la lingerie, notre belle Australienne se cloîtra dans sa chambre pour la soirée. Lui avait dîné au restaurant puis, dans le grand hall, joué des notes mélancoliques une heure ou deux sur le piano. Le lendemain, c'est encore proche de la porte tambour, côté jardin et non côté plage, qu'ils se sont revus. Dos à l'hôtel, en face des belles demeures des villégiaturistes, une bouteille de soda à la main, le téléphone portable dans l'autre, elle discutait en faisant de grands gestes. Hélas, le bouchon mal fermé s'éjecta. Le liquide sucré gicla sur le pull en coton blanc de M. Hadja qui sortait à ce moment-là. Un « oh » s'échappa de la bouche du trompettiste tandis que notre barman se précipitait avec des serviettes pour éponger le vêtement. Toute à sa conversation, Hannah n'entendit pas l'exclamation. Ce n'est que quand elle raccrocha qu'il lui tapota dans le dos. Ils échangèrent quelques phrases. Une nouvelle fois, coincée par sa maladresse, elle ne put refuser l'invitation. Entre dix heures et treize heures, l'anecdote eut le temps de faire le tour de notre établissement. Jules improvisa même un cocktail pour le soir, répondant au doux nom de « Trompette de l'amour ». Nous le proposons encore. Vous devriez essayer à l'occasion. Enfin, tout ça pour vous dire qu'elle n'y goûta pas puisqu'elle ne... Oui, j'arrive tout de suite ! Je vous prie de bien vouloir m'excuser, je dois vous quitter. Mais voici notre chef, M. Lebeau. Il va se faire un plaisir de vous raconter la suite. N'est-ce pas Jérôme ?
S'il s'agit de mes secrets de cuisine, je ne promets rien, mais pour cette histoire avec plaisir. La superbe Hannah n'est pas venue au rendez-vous. Elle a appelé le room service et demandé à dîner dans sa chambre. Fayçal a attendu longtemps. Depuis toujours, j'ai pour habitude de m'enquérir auprès de nos convives de leur ressenti sur le repas et, même s'il m'a assuré avoir beaucoup apprécié notre carte, l'appétit n'y était pas. L'air triste, il s'en est excusé avant de me demander de l'aider à la conquérir. C'était la première fois qu'une femme lui plaisait autant. Je ne sais pas ce qui m'a pris car je ne me mêle jamais des bluettes sentimentales des clients, mais Fayçal Hadja est, malgré son immense talent, si humble et courtois, si sensible que je n'ai pas pu résister. Alors je lui ai conseillé de surprendre Hannah. D'éviter une cour classique. Les femmes très courtisées les détestent. Je lui confiai aussi que si elle ne s'était pas installée à Sydney où sa mère vivait, c'est parce qu'elle aimait et protégeait sa liberté. Pour autant, je n'avais aucune idée à lui suggérer. Tout ce qui suit vient de lui. Mais, le temps passe. Je suis contraint de vous laisser. C'est le coup de feu en cuisine. David, notre responsable commercial va poursuivre. Vous le trouverez dans nos bureaux.
Entrez cher monsieur. Bienvenue dans les coulisses du Grand Hôtel ! Ce que Fayçal a entrepris pour conquérir Hannah est totally crazy. Imaginez qu'il a loué toutes les chambres ! Pour trois nuits, vidant ainsi notre établissement de ses occupants. À la saison haute, cela aurait été impossible mais début décembre, les résidents sont plus rares. C'est pourquoi nous avons accédé à sa requête tout en négociant un délai. Il a profité de ce temps pour commander des centaines de roses rouges que nos équipes ont dispersées dans tout l'hôtel. Ensuite, il a fait livrer des ballons de baudruche roses. Nous les avons disposés sur le piano à queue, dans la grande salle de réception, sur le haut lustre du hall. Quand elle est sortie de la chambre 414, elle fut si étonnée de la décoration qu'elle demanda à la réceptionniste si un mariage se préparait. Elle éclata de rire quand ma collègue lui répondit d'un air taquin : « Oui, le vôtre ! ». C'est sur son rire cristallin que Fayçal apparut dans la porte tambour. Une rose rouge dans une main, un ballon dans l'autre. Elle comprit que cette décoration incongrue et so romantic avait été créée par lui, pour elle. Elle accepta la balade en sulky sur le sable. À la tombée du jour, quand apparurent Trintignant et Anouk Aimé sur le grand écran installé pour l'occasion sur la plage, elle succomba tout à fait. Pendant trois jours, ils partirent à la découverte des chambres de l'hôtel, fous d'amour. Depuis, en décembre, ils réservent la totalité de notre établissement. Ils arrivent demain pour se marier. Ça va être magique. En attendant la noce, elle séjournera dans la 414.
Mais dites-moi en plus sur votre projet. Quel est le pitch de votre roman ?
En réponse, j'inventais une romance quelconque. La vérité c'est que je ne suis pas écrivain. J'ai réservé la 414 au Grand Hôtel de Cabourg pour retrouver Hannah et savoir quand elle y reviendrait. Maintenant que je sais, tout est prêt. J'ai écrit une lettre où je lui explique les longues années passées à la chercher. Je déposerai l'enveloppe sur son oreiller. À l'intérieur, j'ai glissé son bracelet de naissance, précieusement conservé. Et tout l'amour d'un père pour sa fille enfin retrouvée.
Suivez-moi, monsieur, c'est par ici. Hannah Dawson vient depuis petite. Avec sa grand-mère qu'elle appelait Poupette. Comme dans le film La boum. Ça nous a toujours fait rire cette coïncidence. Enfant déjà, Hannah était très maladroite. Sa mère la grondait souvent et c'était la fameuse Poupette, une femme adorable, qui consolait la gamine. Pour lui redonner le sourire, elle lui offrait un vrai chocolat chaud à la mousse épaisse et ces fameuses madeleines, notre spécialité, tant vantées par Marcel Proust. La petite repartait avec des taches plein la robe mais la mamie s'arrangeait toujours pour éviter le drame grâce à la complicité de la gouvernante générale. Madame Dawson était très sévère avec sa fille. Quant au père, elle ne l'avait vu que deux fois. D'après la mère, il les avait abandonnées. La gamine en souffrait. Mais je m'égare. Donc Hannah est toujours venue ici en décembre. Ce jour-là, celui de leur rencontre, perdue dans ses pensées, elle avait fait tomber ses nombreux paquets dans la porte tambour. Notre portier vint à sa rescousse et très vite, tout fut ramassé. Sauf un vêtement très léger, de ceux visibles dans l'intimité, qui s'échappa d'un sac. Dans la précipitation, personne ne le vit et, poussé par l'élan des portes, il s'envola dans le vent marin. Fayçal Hadja, le célèbre trompettiste, rentrait par la même porte de sa promenade sur la digue. Et là... Ah mince, je dois répondre. Désolée, une urgence. Voyez Jules, le barman, il va vous raconter la suite. Il connaît l'histoire aussi bien que moi. À plus tard, monsieur et bon séjour dans la chambre de Marcel Proust !
Voici votre Calvados. Oh oui, très amusante cette scène. Monsieur Hadja monte les escaliers et là, sous la marquise, la subtile dentelle de Melle Hannah se colle au visage du musicien. Aveuglé, il se cogne contre la vitre. Le portier s'empresse de le secourir. Mademoiselle Hannah rougit quand Fayçal lui tend le fin tissu. Son visage est sérieux ; ses yeux pétillent. Notre Australienne, vexée, lui soustrait vivement l'objet volage des mains et, gênée, opère une volte-face avant de se diriger vers l'ascenseur. Il tente de la rattraper. Les portes se referment sur son nez. Je me souviens du petit sourire de la réceptionniste. Le trompettiste a demandé le numéro de chambre d'Hannah mais ma collègue a refusé. Pourtant, c'est nous qui les avons aidés à s'aimer. Nous en sommes très fiers. Notre charmante directrice en tête. Tiens, justement la voici.
Enchantée, M. Robert. J'espère que notre établissement vous plaît. Nous sommes très heureux de vous accueillir. Écrire une romance à partir de notre Grand Hôtel, quelle attention ravissante ! Et quelle témérité ! Tenter l'expérience après le génie de Proust, bravo ! Pour en revenir à Hannah et Fayçal, ils ne se sont pas revus le soir-même. À cause de l'épisode embarrassant de la lingerie, notre belle Australienne se cloîtra dans sa chambre pour la soirée. Lui avait dîné au restaurant puis, dans le grand hall, joué des notes mélancoliques une heure ou deux sur le piano. Le lendemain, c'est encore proche de la porte tambour, côté jardin et non côté plage, qu'ils se sont revus. Dos à l'hôtel, en face des belles demeures des villégiaturistes, une bouteille de soda à la main, le téléphone portable dans l'autre, elle discutait en faisant de grands gestes. Hélas, le bouchon mal fermé s'éjecta. Le liquide sucré gicla sur le pull en coton blanc de M. Hadja qui sortait à ce moment-là. Un « oh » s'échappa de la bouche du trompettiste tandis que notre barman se précipitait avec des serviettes pour éponger le vêtement. Toute à sa conversation, Hannah n'entendit pas l'exclamation. Ce n'est que quand elle raccrocha qu'il lui tapota dans le dos. Ils échangèrent quelques phrases. Une nouvelle fois, coincée par sa maladresse, elle ne put refuser l'invitation. Entre dix heures et treize heures, l'anecdote eut le temps de faire le tour de notre établissement. Jules improvisa même un cocktail pour le soir, répondant au doux nom de « Trompette de l'amour ». Nous le proposons encore. Vous devriez essayer à l'occasion. Enfin, tout ça pour vous dire qu'elle n'y goûta pas puisqu'elle ne... Oui, j'arrive tout de suite ! Je vous prie de bien vouloir m'excuser, je dois vous quitter. Mais voici notre chef, M. Lebeau. Il va se faire un plaisir de vous raconter la suite. N'est-ce pas Jérôme ?
S'il s'agit de mes secrets de cuisine, je ne promets rien, mais pour cette histoire avec plaisir. La superbe Hannah n'est pas venue au rendez-vous. Elle a appelé le room service et demandé à dîner dans sa chambre. Fayçal a attendu longtemps. Depuis toujours, j'ai pour habitude de m'enquérir auprès de nos convives de leur ressenti sur le repas et, même s'il m'a assuré avoir beaucoup apprécié notre carte, l'appétit n'y était pas. L'air triste, il s'en est excusé avant de me demander de l'aider à la conquérir. C'était la première fois qu'une femme lui plaisait autant. Je ne sais pas ce qui m'a pris car je ne me mêle jamais des bluettes sentimentales des clients, mais Fayçal Hadja est, malgré son immense talent, si humble et courtois, si sensible que je n'ai pas pu résister. Alors je lui ai conseillé de surprendre Hannah. D'éviter une cour classique. Les femmes très courtisées les détestent. Je lui confiai aussi que si elle ne s'était pas installée à Sydney où sa mère vivait, c'est parce qu'elle aimait et protégeait sa liberté. Pour autant, je n'avais aucune idée à lui suggérer. Tout ce qui suit vient de lui. Mais, le temps passe. Je suis contraint de vous laisser. C'est le coup de feu en cuisine. David, notre responsable commercial va poursuivre. Vous le trouverez dans nos bureaux.
Entrez cher monsieur. Bienvenue dans les coulisses du Grand Hôtel ! Ce que Fayçal a entrepris pour conquérir Hannah est totally crazy. Imaginez qu'il a loué toutes les chambres ! Pour trois nuits, vidant ainsi notre établissement de ses occupants. À la saison haute, cela aurait été impossible mais début décembre, les résidents sont plus rares. C'est pourquoi nous avons accédé à sa requête tout en négociant un délai. Il a profité de ce temps pour commander des centaines de roses rouges que nos équipes ont dispersées dans tout l'hôtel. Ensuite, il a fait livrer des ballons de baudruche roses. Nous les avons disposés sur le piano à queue, dans la grande salle de réception, sur le haut lustre du hall. Quand elle est sortie de la chambre 414, elle fut si étonnée de la décoration qu'elle demanda à la réceptionniste si un mariage se préparait. Elle éclata de rire quand ma collègue lui répondit d'un air taquin : « Oui, le vôtre ! ». C'est sur son rire cristallin que Fayçal apparut dans la porte tambour. Une rose rouge dans une main, un ballon dans l'autre. Elle comprit que cette décoration incongrue et so romantic avait été créée par lui, pour elle. Elle accepta la balade en sulky sur le sable. À la tombée du jour, quand apparurent Trintignant et Anouk Aimé sur le grand écran installé pour l'occasion sur la plage, elle succomba tout à fait. Pendant trois jours, ils partirent à la découverte des chambres de l'hôtel, fous d'amour. Depuis, en décembre, ils réservent la totalité de notre établissement. Ils arrivent demain pour se marier. Ça va être magique. En attendant la noce, elle séjournera dans la 414.
Mais dites-moi en plus sur votre projet. Quel est le pitch de votre roman ?
En réponse, j'inventais une romance quelconque. La vérité c'est que je ne suis pas écrivain. J'ai réservé la 414 au Grand Hôtel de Cabourg pour retrouver Hannah et savoir quand elle y reviendrait. Maintenant que je sais, tout est prêt. J'ai écrit une lettre où je lui explique les longues années passées à la chercher. Je déposerai l'enveloppe sur son oreiller. À l'intérieur, j'ai glissé son bracelet de naissance, précieusement conservé. Et tout l'amour d'un père pour sa fille enfin retrouvée.
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