Toute histoire commence un jour, quelque part... La nôtre (si je puis dire) finit ici ce soir sans avoir vraiment commencé. Ce soir, du toit du monde – comme j’aime à appeler le toit de notre petite maison de Delmas, les étoiles semblent étonnement ternes et muettes. Je n’en distingue que vagues taches de lumières éparses sur ce fond de ciel brouillon, tel une œuvre que je regarderais au travers d’un verre dépoli. Le tohu-bohu des klaxons de voitures et de motocyclettes mêlé à cette mitraillette de radios toutes allumées simultanément au rétablissement du courant électrique brusquement me ramènent à la réalité, à ma triste réalité. Ce soir, je vais devoir t’annoncer, avant que tu ne l’apprennes par autrui, que je viens de renouer avec elle.
Et maintenant me voilà condamné à mettre un terme à une histoire qui semblait si bien commencer. Que m’a-t-il pris de répondre à cet appel ? Pourquoi lui ai-je dit oui ? Pourquoi suis-je revenu sur ma décision ? Et dire que tout le temps de cette conversation où elle me murmurait à l’oreille son retour à la raison et ses velléités de tout changer pour notre amour, je ne pensais qu’à toi, à tes beaux yeux. Je les revois encore se poser sur moi et promettre en silence à mon cœur des jours interminables de joie sans fin. Je les aime... Je le sais aujourd’hui. Mais je ne saurais dire en ce moment précis si pour elle je ne ressens plus rien. Je doute encore l’aimer au fond de moi. Sinon, comment expliquer ces mois passés à quémander pour son amour, ramper pour son plaisir, et pardonner ses moult caprices... son infidélité ? Pourquoi suis-je revenu dans ses filets ? Entre elle et moi, il y a eu tellement de choses... et entre nous qu’un baiser.
La lumière de mon écran de portable m’arrache de ce dédale de pensées et déjà dix appels manqués de ce numéro dont j’ignore le destinateur. Il faudra me résoudre à répondre à cet inconnu puisqu’il semble déterminé à me joindre ce soir...
- Allô ! c’est qui ? dis-je d’un ton visiblement agacé !
- Allô ! C’est moi ! me répond la voix familière de Marc à l’autre bout du fil, Ça va mec !?! Je viens d’apprendre qu’entre Karyne et toi c’est reparti de plus belle. C’est vrai ?
- Cet aprèm!!!
- P**ain ! Mon gars, que vas-tu faire de Méghane ? s’enquit-il.
- Je ne sais pas encore ! Je trouverai bien ! m’empresse-je d’ajouter... Et que te prend-il de m’appeler depuis un numéro inconnu ?
- C’est le téléphone de ma mère !
- Ok ! dis-je de ce ton bourru, qui les jours de mauvaise humeur, veut dire que la conversation était finie.
Les nouvelles fusent à toute allure dans un pays où le chômage est la norme et le cancan, le sport national. Les gens n’ont donc rien à faire que de s’immiscer dans les affaires des autres ! Je dois donc me dépêcher de l’appeler et de moi-même lui annoncer la nouvelle... Avant que ses mégères d’amis et connaissances en tout genre ne me coiffent au poteau. Comment dire à celle pour qui on a le souffle court que l’on s’est remis avec son ex ? Comment dire à celle avec qui samedi dernier on a partagé un baiser si passionné qu’aujourd’hui tout était fini ? Comment ? Difficile à croire que je me sois foutu dans pareil guêpier ! Mais que veux-tu ? Elle ! Je pense l’aimer encore un peu... Elle est tout de même mon premier coup de cœur.
Les lumières du bidonville de Delmas 32 à l’unisson se sont toutes tues pour la énième fois ce soir...Encore une coupure d’électricité ! C’est à se demander si là-bas dans leur centrale électrique, ils ne se foutent pas de la gueule des petites gens ! Seul dans la nuit, encerclé par ce silence que seul trouble de temps à autre des aboiements de chiens errants se battant dans la nuit pour quelque carcasse de pigeons et autres victuailles de fortune, je contemple encore et toujours ces étoiles... célestes beautés immuables que ce soir floutent mes yeux mouillés de larmes...
‘’Michaël !’’ La voix stridente de ma mère, une fois de trop me tire de ce sommeil éveillé où l’évasion parait endormir la douleur ! Sans nul doute qu’elle m’a en vain cherché dans ma chambre... et qu’elle s’inquiète de ne pas me trouver sur ma petite table près de cette lampe de kérosène à rêvasser ou à étudier ! N’est-ce pas là deux actions servant un même dessein ? L’un anticipe le bonheur d’un avenir meilleur et l’autre patiemment le construit ! Et pourtant que m’importe un avenir meilleur si je suis malheureux, si je suis seul ou mal accompagné... si je me rends compte que je ne l’aime plus et que tes yeux ne me cherchent plus...
‘’Oui ! Maman! je suis sur le toit !’’ Lui crie-je à mon tour... je descends un peu plus tard ! pense-je... Je ne peux pas descendre ainsi remué, elle le saurait... le lirait sur mes traits, le percevrait dans ma voix ou le verrait à mes yeux rougis mais définitivement le saurait. Et s’en inquiéterait ! Je ne veux lui causer plus de soucis qu’elle n’en a déjà avec les mauvaises notes de mon petit frère ainsi que la retraite précoce de mon père résolu à ne plus chercher d’emplois. Je ne peux que lui offrir mon sourire et ces quelques résultats qui arrachent à ses yeux travaillés par une vie de durs labeurs de brefs éclairs de joie et de fierté. Je me dois de souffrir en silence ou de pleurer en cachette loin de son regard, en intime confidence avec le ciel et mes étoiles.
Une forte brise, s’attaquant aux tôles des maisonnettes adjacentes me tire violemment de ce sommeil où j’étais plongé depuis je ne sais quand. Fiévreux je cherche des yeux et de la main mon portable. Je le trouve niché entre deux briques de ciment... Quatre heures depuis que je tente de te dire que j’ai merdé. Je ne sais pas si je dois te l’écrire ou de vive voix te le dire. Que dois –je faire ? La nuit est maintenant bien installée, les quelques nuages gris qui brodent la nappe de l’horizon, timidement laissent la place aux guirlandes des étoiles de ce ciel sans lune. La fraicheur de la brise aux bourrasques imprévisibles me fait frissonner et un doux courant semble inlassablement parcourir mon échine !! Espérons que je n’attrape pas froid ? Moi et ma petite santé ! Il ne manquerait plus que ça !
Cette fois-là aussi, il faisait frisquet... et je me souviens de tes yeux inquiets de mon sort... Moi, qui ce soir ne portais qu’une chemise légère... Je me souviens de tes toutes petites mains qui réchauffaient les miennes... quand tu me pris dans tes bras, de la chaleur et de la suaveur de ton étreinte... Je me souviens aujourd’hui encore de ce baiser... de nos lèvres se cherchant dans la nuit pour tantôt se trouver tantôt se perdre et enfin se retrouver. Je me souviens de ce feu qui en moi implosa et qui en ce moment même brûle pour me consumer. Je goute encore à ce délice indicible et à cette joie qu’il procura. Et depuis, sans cesse je rumine ce festival de goût, de douceur... un goût aux nuances évanescentes sur lesquelles je n’arrive à mettre le doigt (ou la langue). Vingtésime des Dieux ! Que ne donnerai-je pour revivre cet instant ? Est-ce trop tôt pour parler de regret ?
Mon téléphone sonne. Le petit écran s’allume et projette son nom à elle. Elle m’appelle. Avant, jamais elle ne m’appelait. Je lui manque parait-il. Elle veut qu’on se voit ce week-end. Elle a des plans pour ‘’nous’’. Elle a changé sinon elle en a bien l’air. Elle dit qu’elle veut ‘’nous’’ donner une chance. Et pourtant, elle sait pour toi et moi. Elle sait juste ce que je lui ai conté... qu’on s’est embrassé à cette fête-là dans les montagnes. Elle ne se doute pas de l’intensité des sentiments à ton égard ni de la complexité de la situation. Sinon elle le cache bien. Elle fait toute seule la conversation. Entre les rares oui que j’arrive à placer, elle nous a déjà bâti le calendrier de ce mois... Elle sonne heureuse et rit généreusement à ses propres blagues. Elle me dit bonne nuit et conclut par un ‘’Je t’aime’’ auquel je n’ai pas à répondre puis qu’elle a déjà raccroché. Je viens de vivre une conversation en avance rapide comme ces scènes que l’on voit au cinéma où l’acteur semble détaché de la réalité et observe ses actions hors de sa personne, tel un spectateur. Ça fait tout drôle...
Elle semble vouloir s’investir cette fois dans la relation ! Je ne sais pas si cette nouvelle m’enchante ou me désole davantage. Une partie de moi veut bien essayer pour que ça marche cette fois-ci... Une autre partie ne serait pas contre que ça foire que je cours, vole dans tes bras. Qui l’emportera ? ‘’Michaël !’’ l’inquiétude dans la voix de ma maman lui trouve un écho dans ma caboche creusée par tant de réflexion. Je dois descendre la retrouver... Je jette un dernier coup d’œil à mes confidentes là-haut aux lueurs adamantines... elles brillent de plus belle. Au diable ! Je te dirai demain à l’école, face à face et peut-être qu’au rouge de mes yeux tu comprendras...