Coûte que coûte

« Engagement, désengagement, engagement, désengagement... » Michel, mon entraîneur, n'avait que ces deux mots à la bouche.
Que ce soit tous les soirs à l'entraînement avec bienveillance pour me faire progresser, encore et encore, afin que mes courses deviennent « nettes et tranchantes » en référence à celles de mes coéquipières.
Ou pour mon penchant à ne pas aller au bout des choses. Car, je dois bien l'admettre, j'ai cette fâcheuse tendance à vite, trop vite m'emballer. A vouloir m'insérer dans une multitude de projets pour ensuite les laisser tomber un à un, mon engouement retombant aussi vite qu'il ait apparu. Avec les garçons, en quelques instants, celui qui à mes yeux avait tout du prince charmant se transforme l'instant suivant en un vilain petit canard rebutant. Au handball, je ne compte plus les fois où, contactés par des clubs désireux de me recruter, je leur ai instantanément donné mon accord oral pour au final me rétracter. Sans parler de ma pathologie liée aux achats compulsifs. Je suis émerveillée, j'achète, je regrette puis je ramène. Ce penchant impulsif, quasiment maladif, c'est l'histoire de ma vie. Alors, c'est décidé, pour une fois, j'irai au bout des choses.
Pour nos supporters, qui nous ont toujours suivis y compris à l'autre bout de la France. Pour nos dirigeants, la plupart bénévoles, qui n'ont jamais compté leurs heures. Pour nos équipes de jeunes et les étoiles dans leurs yeux lorsque l'on entre main dans la main sur le terrain. Pour le Maire qui a toujours fait du sport féminin sa priorité, n'hésitant pas un instant à se battre pour construire un gymnase flambant neuf lors de notre accession à l'élite nationale. Pour tous, je vais m'engager quoi qu'il en coûte.
Car, l'heure est grave. La trésorerie du club flirte avec la zone rouge, nous sommes au bord du dépôt de bilan... A mi-saison et après un an et demi de pandémie, le gouffre financier est béant. Si Béa, Cath, Jess, Coco, Aurel, Alex, Angel et Flo ont déjà quitté le navire, je ne veux pas me résigner. Afin de sauver mon club de cœur, aux côtés des huit joueuses pros restantes, je vais me battre. Nous allons nous battre. Cette fois, j'irai au bout des choses. Terminées les primes de match, rendue les voitures de fonction, divisés par deux nos salaires, oubliés certains déplacements en avion. Nous nous sommes toutes engagées à terminer la saison, peu importe les conditions.
Et même si nous occupons la 8e place, à treize journées de la fin, nous sommes conscientes du défi : il faudra se battre au quotidien, accepter une multitude de concessions et, surtout, éviter à tout prix la relégation. Ne pas finir en 14e position d'un championnat ô combien relevé...
Si, en enchaînant un nul et une victoire, les deux premières confrontations nous donnent de réels motifs d'espoir, la suite va s'apparenter à un long, trop long chemin de croix. Avec neuf défaites consécutives, soit la pire série jamais enregistrée par le club, le moral des troupes est à zéro. Amputées de trois nouveaux éléments qui n'ont pas supporté cette période noire, le groupe semble au pied du mur. A cet instant, la donne est simple : nous devons gagner les deux dernières rencontres pour décrocher le maintien.
La première, à domicile, va susciter un engouement jamais ressenti jusqu'alors. L'enjeu, le contexte et, surtout, l'admiration du public pour notre volonté sans faille de sauver le club engendrent une ambiance électrique. A chaque but marqué, à chaque parade de notre gardienne, chaque fois que nous reprenons l'avantage, les trois mille supporters entrent dans une transe frénétique. Survoltés, leurs cris engendrent un brouhaha tel qu'il nous est devenu impossible de communiquer sur le terrain. Et ce soutien démesuré décuple nos forces. Les encouragements successifs entraînent une montée d'adrénaline continue qui nous transfigurent. Nous avons l'impression de voler sur le terrain en marchant sur nos adversaires. A l'issue d'une victoire mémorable (27-23), nous venons d'effectuer la moitié du chemin. La seconde s'annonce tout aussi surréaliste. Car, hasard du calendrier, nous allons devoir battre notre concurrent direct dans sa salle pour nous sauver. Pour Fleury Loiret Handball, un nul suffirait.
Ce qui nous avait porté et même donné des ailes une semaine plus tôt, va cette fois se retourner contre nous. Dans ce chaudron, on nous promet l'enfer : 2400 personnes hystérisées par cette rencontre « à la vie, à la mort ». Mais, si près du but après des mois de galère, le scénario qui nous conduirait vers la défaite est inenvisageable. Nous allons tout donner et ne rien regretter.
Dès les premiers instants, les débats sont âpres et accrochés, aucune équipe ne parvenant à prendre plus de deux longueurs d'avance. Dans une rencontre où les deux formations s'engagent corps et âmes, se rendent coup pour coup, le mano à mano est constant. A trente-cinq secondes du terme, après une énième égalisation (24-24), Fleury a la balle pour l'emporter. Nous sommes en très mauvaise posture. Après un aller-retour de circulation de balle, ne voyant pas les « Panthères » faire action de jeu, le duo arbitral lève le bras pour jeu passif. Paniquée, leur ailière droite prend le shoot dans la précipitation. Elle tire sur le poteau et la balle revient miraculeusement dans les mains de notre demi-centre. A 59'52'', Michel pose son ultime temps-mort. Malgré la tension, notre entraîneur garde son calme olympien. Lui, le passionné, qui passe son temps à imaginer des parades à tous les scénarios possibles et imaginables n'a aucun doute : nous allons l'emporter. Ses consignes sont limpides. Nous allons tenter de les appliquer. En faisant sortir Jul', notre gardienne, nous attaquons à une de plus. Au coup de sifflet, Audrey passe la balle à Steph, notre arrière gauche, qui s'est déjà projetée vers l'avant. A cet instant, d'après Michel, tout le monde sera persuadé que Steph, deuxième meilleure buteuse du championnat, prendra le tir décisif. Nous allons prendre tout le monde à contre-pied. En décalant Stessy, jeune ailière du centre de formation d'à peine dix-huit ans, Michel joue son joker. Effectivement, deux défenseurs montent sur Steph, tout se déroule comme prévu. Elle libère alors instantanément la balle sur Stessy qui va prendre le shoot le plus important de sa vie. Elle s'engage, ouvre son angle, fixe la gardienne et... marque sur le gong.
La joie peut éclater. Le staff, les joueuses, puis même les supporters envahissent le terrain. Nous l'avons fait. Contre vents et marées, nous sommes allés au bout. Et, enfin, je n'ai pas renoncé...