Nouvelles
5 min
Université d'Antananarivo
Finaliste
Comment être enseignant m'a traumatisé à vie
"Maitre ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres mais je ne vous appellerai pas maitre ». J'ai marqué une pause. Abasourdi. Jamais aucun de mes élèves ne m'avait répondu ainsi. Encore une fois je me reposais la question « mais qu'est-ce que je fais ici ? ». Je suis enseignant de français dans une école publique et non professeur particulier de petite bourgeoise qui me coupe la parole dès la première occasion.
Déjà, l'environnement où je me trouvais était totalement différent des endroits que j'avais l'habitude de fréquenter. C'était une demeure assez charmante. Une maison en bord de route avec un jardin et une clôture blanche. Des galets jonchaient l'allée qui menait vers la porte principale. A l'entrée, le vestibule était décoré par des photos d'antan qui représentaient les membres de la famille Martins. Tout droit à droite se trouvait un escalier menant sans doute aux chambres à coucher. L'intérieur n'est pas aussi impressionnant que l'extérieur. Néanmoins, c'est toujours aussi joli. Une agréable odeur de lavande se répandait dans toute la maison. La salle à manger, là où je dispensais mes cours, se trouvait juste après le salon. Elle n'est pas très grande ni trop petite. Les meubles étaient disposés de façon confortable. Une table en ébène, au centre, attirait toute l'attention. Celle-ci était recouverte d'une nappe de table crème avec une chandelle au milieu. Contrairement au vestibule, les murs étaient ornés de tableaux et de gravures. Clara et moi, nous trouvions au bout de la table. Face à face. Les jambes ballantes, « mon élève » me scrutait intensément attendant que je réagisse enfin. Je me suis éclairci la voix. Et calmement, j'ai rétorqué : « De un, ce n'est pas poli de couper la parole aux gens. De deux, maitre équivaut à professeur, je te serais gré de m'appeler ainsi. Et de trois, je ne te cognerai pas. ». Elle me fixait, d'abord incrédule. Elle s'est pincée les lèvres et a répondu « Je préfère vous appeler monsieur. Monsieur papillon parce que vous portez un nœud papillon ». Sur ce, elle a éclaté d'un rire d'enfant qui avait eu le don de m'agacer. Voulant passer à autre chose, j'ai préféré ignorer ses sottises et me concentrer sur combien ces cours allaient me rapporter. Pas assez en tout cas pour me faire appeler monsieur papillon.
Voilà comment j'ai fait la connaissance de Clara. Une petite fille de cinq ans haut comme trois pommes. Ses cheveux bruns lui arrivaient juste au-dessus de l'épaule. Elle avait deux grands yeux marrons, un petit nez et des lèvres fines. Elle portait toujours son uniforme d'écolier.
Notre séance avait duré deux heures. Deux longues heures où je lui ai fait réciter une conjugaison « trop compliquée », copier des phrases qui n'arrivaient pas à « rentrer entre les lignes », lire une histoire qu'elle n'arrivait pas à suivre parce qu'il y avait « trop de couleur ». Décidément, je n'étais pas assez payé pour ce poste. Si bien que j'étais rentré chez moi exténué et désespéré.
Le jeudi suivant, Clara m'a accueilli sur le pas de la porte en criant haut et fort « Monsieur papillon est là ! ». C'était devenu un rituel. Une autre tradition de mes superbes journées avec elle : cette gamine avait cette manie de sautiller partout, de crier pour répondre aux questions et de courir - chaque minute- pour contempler son reflet dans le miroir. Avec elle, une séance durait une éternité.
Tous mes jeudis ont fini par tous se ressembler. Ils étaient longs et éreintant. Ils n'en étaient pas moins intéressants. En effet, ce qui me frappait le plus chez Clara c'était sa joie de vivre. Elle était toujours très heureuse de me voir. Elle aimait ma compagnie et aimait me faire rire. D'ailleurs, Elle éprouvait beaucoup de satisfactions quand ses bêtises me décochaient un sourire. Et surtout elle avait cette façon à elle de me considérer comme un camarade de jeu. Une fois, nous avons terminé plus tôt, et elle a tenu à me faire ma coiffure et mon maquillage. Je ne me suis jamais senti aussi choyé et... joli.
Le jeudi suivant, madame Martins nous a fait l'honneur de sa présence. C'était une femme charmante. Le genre tout droit sortie des magazines. Elle a voulu assister à notre cours. Contre toute attente, Clara s'était montrée très assidue en sa présence. Pendant qu'on était en train de faire de la peinture, le téléphone de madame Martins avait sonné. Jusque-là elle s'était montré très discrète alors j'avais décidé de ne pas en faire toute une histoire. Elle a pris l'appel dans le couloir. Au même moment, Clara a fait tomber quelques gouttes de peinture sur la table. « Vite ! Si maman voyait ça, j'aurai encore droit à la ceinture ». Je n'ai pas pu réagir plus vite tellement sa voie angoissée ainsi que ses mots m'ont laissé interdit. La coupable s'est emparée de la nappe pour dissimuler son crime. Cependant, il était trop tard, sa mère était entrée dans la pièce. Elle a vu la tâche et j'ai entendu sa fille déglutir alors qu'elle se trouvait à deux mètres de moi. Le temps étant écoulé, j'ai rangé mes affaires. Les deux femmes de la maison Martins, m'ont raccompagné. Madame Martins avait affiché un sourire qui paraissait sincère. Elle m'a remerciée et j'étais parti. Ce jour-là, j'avais cogité toute la nuit. La scène se jouait plusieurs fois dans ma tête. La tête effarée de Clara, le visage tendre de sa mère et le fait que la maison soit toujours si impeccable. Pile les scénarios des films de maltraitance d'enfant. Soudain, mon cerveau fait tilt. Ma première rencontre avec Clara, elle a déclaré qu'elle s'est faite cogner par ses précédents maitres. Ce détail ne m'avait pas paru pertinent ce jour-là. L'inquiétude avait commencé à m'envahir.
Le jeudi qui a précédé l'incident, Clara avait fait comme si de rien n'était. Tout s'est bien passé. Elle était comme d'habitude : joyeusement horripilante. Pourtant je ne pouvais pas me sortir son expression terrifiée de la tête. Je me suis forcé de faire bonne impression. Cependant j'étais souvent dans la lune. Clara devait tout le temps m'extirper de mes pensées en criant « Monsieur papillon !!!! ».
Ma nuit ressemblait à la précédente. Si bien que n'y tenant plus, j'ai pris le téléphone et ai composé le fixe des Martins. Au bout de quelques secondes monsieur Martins a décroché. Son agacement se faisait entendre à travers le combiné. Ce qui se faisait entendre d'autre c'étaient des bruits ineffables suivis de cris d'enfants. C'était Clara. Ma gorge s'est serrée. Je lui ai expliqué le motif de mon appel, lui faisant part de mon désarroi. Il lui a fallu quelques secondes pour me répondre. J'ignorais si au moins il m'écoutait. Les cris se faisant de plus belle, il m'a répondu avec un « c'est noté, je vais lui parler » puis d'un « bonne soirée » et il a raccroché.
Le jeudi suivant, j'étais moins agité. J'ai préparé des coloriages. Clara adorait faire des coloriages. Soudain, cette petite fillette aux yeux bruns me fixait. Elle a reposé son crayon de couleur rose, elle s'est assise près de moi et a plongé son regard dans le mien. Après, elle a commencé à triturer le bout de sa manche et d'un ton solennel, elle a déclaré : « Vous savez, quelques fois mes parents m'enferment dans la cave... Il y fait très noir... Mais je n'ose pas me plaindre de peur de recevoir encore des coups. Je ne m'en plains pas je l'ai mérité ». Il m'avait fallu du temps pour digérer toutes ces informations. J'étais tellement bouleversé. Clara m'a frappé le bras pour me sortir de ma torpeur. Son visage était déformé par l'espièglerie. Puis, elle a éclaté de rire et m'a lancé : « On se détend monsieur Papillon ! je rigolais. On n'a même pas de cave ! Je crois que finalement je préfère le marron que le rose. » a-t-elle ajouté en reprenant son coloriage. Je m'étais fait avoir comme un bleu. Il s'est alors avéré que finalement j'avais affaire à une petite fille avec une imagination débordante. Et oui, j'ai mené ma propre enquête avant d'arriver à cette conclusion.
Déjà, l'environnement où je me trouvais était totalement différent des endroits que j'avais l'habitude de fréquenter. C'était une demeure assez charmante. Une maison en bord de route avec un jardin et une clôture blanche. Des galets jonchaient l'allée qui menait vers la porte principale. A l'entrée, le vestibule était décoré par des photos d'antan qui représentaient les membres de la famille Martins. Tout droit à droite se trouvait un escalier menant sans doute aux chambres à coucher. L'intérieur n'est pas aussi impressionnant que l'extérieur. Néanmoins, c'est toujours aussi joli. Une agréable odeur de lavande se répandait dans toute la maison. La salle à manger, là où je dispensais mes cours, se trouvait juste après le salon. Elle n'est pas très grande ni trop petite. Les meubles étaient disposés de façon confortable. Une table en ébène, au centre, attirait toute l'attention. Celle-ci était recouverte d'une nappe de table crème avec une chandelle au milieu. Contrairement au vestibule, les murs étaient ornés de tableaux et de gravures. Clara et moi, nous trouvions au bout de la table. Face à face. Les jambes ballantes, « mon élève » me scrutait intensément attendant que je réagisse enfin. Je me suis éclairci la voix. Et calmement, j'ai rétorqué : « De un, ce n'est pas poli de couper la parole aux gens. De deux, maitre équivaut à professeur, je te serais gré de m'appeler ainsi. Et de trois, je ne te cognerai pas. ». Elle me fixait, d'abord incrédule. Elle s'est pincée les lèvres et a répondu « Je préfère vous appeler monsieur. Monsieur papillon parce que vous portez un nœud papillon ». Sur ce, elle a éclaté d'un rire d'enfant qui avait eu le don de m'agacer. Voulant passer à autre chose, j'ai préféré ignorer ses sottises et me concentrer sur combien ces cours allaient me rapporter. Pas assez en tout cas pour me faire appeler monsieur papillon.
Voilà comment j'ai fait la connaissance de Clara. Une petite fille de cinq ans haut comme trois pommes. Ses cheveux bruns lui arrivaient juste au-dessus de l'épaule. Elle avait deux grands yeux marrons, un petit nez et des lèvres fines. Elle portait toujours son uniforme d'écolier.
Notre séance avait duré deux heures. Deux longues heures où je lui ai fait réciter une conjugaison « trop compliquée », copier des phrases qui n'arrivaient pas à « rentrer entre les lignes », lire une histoire qu'elle n'arrivait pas à suivre parce qu'il y avait « trop de couleur ». Décidément, je n'étais pas assez payé pour ce poste. Si bien que j'étais rentré chez moi exténué et désespéré.
Le jeudi suivant, Clara m'a accueilli sur le pas de la porte en criant haut et fort « Monsieur papillon est là ! ». C'était devenu un rituel. Une autre tradition de mes superbes journées avec elle : cette gamine avait cette manie de sautiller partout, de crier pour répondre aux questions et de courir - chaque minute- pour contempler son reflet dans le miroir. Avec elle, une séance durait une éternité.
Tous mes jeudis ont fini par tous se ressembler. Ils étaient longs et éreintant. Ils n'en étaient pas moins intéressants. En effet, ce qui me frappait le plus chez Clara c'était sa joie de vivre. Elle était toujours très heureuse de me voir. Elle aimait ma compagnie et aimait me faire rire. D'ailleurs, Elle éprouvait beaucoup de satisfactions quand ses bêtises me décochaient un sourire. Et surtout elle avait cette façon à elle de me considérer comme un camarade de jeu. Une fois, nous avons terminé plus tôt, et elle a tenu à me faire ma coiffure et mon maquillage. Je ne me suis jamais senti aussi choyé et... joli.
Le jeudi suivant, madame Martins nous a fait l'honneur de sa présence. C'était une femme charmante. Le genre tout droit sortie des magazines. Elle a voulu assister à notre cours. Contre toute attente, Clara s'était montrée très assidue en sa présence. Pendant qu'on était en train de faire de la peinture, le téléphone de madame Martins avait sonné. Jusque-là elle s'était montré très discrète alors j'avais décidé de ne pas en faire toute une histoire. Elle a pris l'appel dans le couloir. Au même moment, Clara a fait tomber quelques gouttes de peinture sur la table. « Vite ! Si maman voyait ça, j'aurai encore droit à la ceinture ». Je n'ai pas pu réagir plus vite tellement sa voie angoissée ainsi que ses mots m'ont laissé interdit. La coupable s'est emparée de la nappe pour dissimuler son crime. Cependant, il était trop tard, sa mère était entrée dans la pièce. Elle a vu la tâche et j'ai entendu sa fille déglutir alors qu'elle se trouvait à deux mètres de moi. Le temps étant écoulé, j'ai rangé mes affaires. Les deux femmes de la maison Martins, m'ont raccompagné. Madame Martins avait affiché un sourire qui paraissait sincère. Elle m'a remerciée et j'étais parti. Ce jour-là, j'avais cogité toute la nuit. La scène se jouait plusieurs fois dans ma tête. La tête effarée de Clara, le visage tendre de sa mère et le fait que la maison soit toujours si impeccable. Pile les scénarios des films de maltraitance d'enfant. Soudain, mon cerveau fait tilt. Ma première rencontre avec Clara, elle a déclaré qu'elle s'est faite cogner par ses précédents maitres. Ce détail ne m'avait pas paru pertinent ce jour-là. L'inquiétude avait commencé à m'envahir.
Le jeudi qui a précédé l'incident, Clara avait fait comme si de rien n'était. Tout s'est bien passé. Elle était comme d'habitude : joyeusement horripilante. Pourtant je ne pouvais pas me sortir son expression terrifiée de la tête. Je me suis forcé de faire bonne impression. Cependant j'étais souvent dans la lune. Clara devait tout le temps m'extirper de mes pensées en criant « Monsieur papillon !!!! ».
Ma nuit ressemblait à la précédente. Si bien que n'y tenant plus, j'ai pris le téléphone et ai composé le fixe des Martins. Au bout de quelques secondes monsieur Martins a décroché. Son agacement se faisait entendre à travers le combiné. Ce qui se faisait entendre d'autre c'étaient des bruits ineffables suivis de cris d'enfants. C'était Clara. Ma gorge s'est serrée. Je lui ai expliqué le motif de mon appel, lui faisant part de mon désarroi. Il lui a fallu quelques secondes pour me répondre. J'ignorais si au moins il m'écoutait. Les cris se faisant de plus belle, il m'a répondu avec un « c'est noté, je vais lui parler » puis d'un « bonne soirée » et il a raccroché.
Le jeudi suivant, j'étais moins agité. J'ai préparé des coloriages. Clara adorait faire des coloriages. Soudain, cette petite fillette aux yeux bruns me fixait. Elle a reposé son crayon de couleur rose, elle s'est assise près de moi et a plongé son regard dans le mien. Après, elle a commencé à triturer le bout de sa manche et d'un ton solennel, elle a déclaré : « Vous savez, quelques fois mes parents m'enferment dans la cave... Il y fait très noir... Mais je n'ose pas me plaindre de peur de recevoir encore des coups. Je ne m'en plains pas je l'ai mérité ». Il m'avait fallu du temps pour digérer toutes ces informations. J'étais tellement bouleversé. Clara m'a frappé le bras pour me sortir de ma torpeur. Son visage était déformé par l'espièglerie. Puis, elle a éclaté de rire et m'a lancé : « On se détend monsieur Papillon ! je rigolais. On n'a même pas de cave ! Je crois que finalement je préfère le marron que le rose. » a-t-elle ajouté en reprenant son coloriage. Je m'étais fait avoir comme un bleu. Il s'est alors avéré que finalement j'avais affaire à une petite fille avec une imagination débordante. Et oui, j'ai mené ma propre enquête avant d'arriver à cette conclusion.