Cette œuvre est
à retrouver dans nos collections
Nouvelles - Policier & Thriller
La Mégane RS bleue du commissaire principal roulait comme une bombe sur l'A13 vers le lieu de l'accident. Deux motards de la gendarmerie locale, appelés sur les lieux par l'employé d'autoroute, pensaient avoir identifié le conducteur. Trait pour trait, il ressemblait au témoin numéro un de l'affaire des collégiens disparus aux Buttes-Chaumont.
La preuve que diffuser un portrait-robot sur les réseaux de la Sécurité Intérieure n'était pas toujours un coup d'épée dans l'eau.
Si c'était bien lui et s'ils arrivaient à temps, ils pourraient peut-être recueillir une info cruciale.
— Ça fait beaucoup de si, patron.
Le commissaire principal jeta un regard noir à son adjointe.
— Conduisez, Bremont, ne vous posez pas de questions !
La bagnole, une 607, avait fait au moins trois tonneaux avant de s'immobiliser. Le gars était inconscient, bloqué à l'intérieur du véhicule. En gilets jaune fluo, les sapeurs-pompiers finissaient de le désincarcérer.
Les policiers arrivèrent sur les lieux en même temps que le SAMU. Mais le médecin était formel :
— Impossible de l'interroger. De multiples fractures et certainement un trauma, il va directement en réa. On l'embarque pour l'hôpital Georges Pompidou.
Le commissaire principal retourna vers son équipe.
— Et merde ! C'était bien lui.
— Si la tête n'a pas tapé, c'est peut-être pas perdu, patron.
— Et si ma tante en avait, on l'appellerait mon oncle, Zanetti ! Vous vous êtes donné le mot aujourd'hui, tous les deux, ou quoi ?
C'était un sanguin, le boss... Il n'y avait qu'à laisser passer l'orage. Maggy Bremont resta sur place pour organiser la récupération de la Peugeot qu'il fallait passer au peigne fin. Les autres rentrèrent au commissariat de la rue Manin. `
Au mur, Marco Zanetti avait scotché tous les éléments de l'enquête.
Les disparus, d'abord : trois ados qui s'étaient volatilisés, un par semaine, depuis trois semaines. Scolarisés au collège Brassens, près des Buttes-Chaumont, bonnes familles, bons élèves sans histoires. Tous bruns, cheveux mi-longs et bouclés.
Le portrait-robot, ensuite. L'enquête de proximité a vite orienté les soupçons vers un personnage inquiétant : la cinquantaine, costard cravate et lunettes à fines montures, nouvel habitué du kébab préféré des collégiens. Le gérant, le vieux Mohammed, "avait le pif" pour ça.
— Ce type était chelou, assurait-il, avec un regard trop fixe et une voix trop douce.
Le gardien aussi l'avait repéré. Bref, un faisceau de témoignages concordants, qui faisaient de lui un témoin privilégié ou plutôt le suspect principal.
Le même qui conduisait la 607 accidentée.
Le téléphone sonna, interrompant le briefing.
— C'est Bremont, patron.
— Passez-la moi ici.
— J'ai une casquette rouge, retrouvée dans la boîte à gants. La mère du troisième disparu, Loïc, en a parlé dans sa déposition, si je me rappelle bien.
— Arrivez tout de suite, je vais la prévenir.
— Je suis déjà en route.
La mère de Loïc avait le visage tiré, les yeux cernés d'angoisse, mais elle tenait bon. C'était bien la casquette de son fils, du même rouge que les sneakers New Balance qu'il ne quittait plus depuis son anniversaire.
— Ne perdez pas espoir, on va le retrouver.
— Vivant, s'il vous plaît.
Le proc ne se fit pas prier pour délivrer un mandat de perquisition à l'adresse de la carte grise. Une maison bourgeoise près de la forêt, à Louveciennes, avec des systèmes de sécurité dignes de Fort Knox qui donnèrent du fil à retordre aux équipes techniques. L'intérieur était lugubre : aucun tableau, aucune fleur ne décoraient les pièces presque vides, au rare mobilier de bois sombre, aux murs si gris qu'aucune lumière ne devait jamais s'y attarder. Menées de fond en comble, les fouilles ne donnaient rien. C'est dans le jardin que les chiens firent la macabre découverte : sous un taillis, la terre fraîchement remuée recelait les corps de deux gamins aux cheveux mi-longs et bouclés. Pas la moindre trace d'une troisième victime en sneakers rouges.
Il était peut-être encore temps pour le jeune Loïc, qui n'avait disparu que depuis deux jours.
À l'hôpital, l'homme était toujours inconscient. Deux policiers montaient désormais la garde devant sa chambre. Spectacle surréaliste d'un prisonnier sous haute surveillance, alors même que l'appareillage indiquait clairement que c'était un patient entre la vie et la mort. Les médecins comprenaient cependant très bien les ressorts de telles précautions. Oui, ils appelleraient au moindre signe de réveil.
Pendant ce temps les recherches étaient étendues à la forêt toute proche. Des chiens patrouillaient jusqu'à l'étang. Les voisins étaient tous interrogés. Personne n'avait rien entendu. Aucune piste ne se dessinait. Ni à Louveciennes, ni aux Buttes-Chaumont.
Imaginer un enfant prisonnier dans quelque cache infâme, sans le moindre indice auquel se raccrocher, mettait les nerfs des équipes à vif.
Déjà trois jours s'étaient écoulés depuis la découverte des corps. La vie au commissariat continuait, avec sa moisson ordinaire de tracasseries. Un homme était venu déposer une main courante à l'encontre de son voisin qui faisait griller des sardines sur son balcon. Une vieille s'était fait arracher son sac à la sortie du supermarché. Marco s'était chargé de prendre sa déposition.
— On va certainement retrouver votre sac jeté dans un coin, vide. Vous y aviez vos clefs et votre adresse ? Je vous conseille de faire venir un serrurier rapidement...
Une gamine avait perdu son petit chat et aurait bien voulu qu'on lance des recherches.
— Elle va revenir d'elle-même ta Lili. Les chats c'est comme ça, tu sais, lui dit gentiment Maggy Bremont.
Enfin, la nouvelle tomba. Il se réveillait. Oh, ce n'étaient encore que des signes minimes, mais la tendance était nette. Oui, dès que possible, ils seraient autorisés à l'interroger.
Au cinquième jour, l'interrogatoire du suspect commença à la première heure. Bras et jambes dans des gouttières, une minerve autour du cou, relié à des moniteurs, le meurtrier présumé avait des allures de robot Transformer.
Mais ses fonctions cérébrales étaient intactes, avaient assuré les médecins. Il s'appelait Paul Dorimar. Il n'avait pas nié.
— Où est-il ?
— Je ne sais plus.
— Tu mens !
Le commissaire principal bouillait de rage.
— Où ? Réponds, nom de Dieu !
— OK. Je vais vous le dire... Ses yeux brillaient de perfidie. Pas loin d'un lieu connu !
— Arrête de te payer notre tête, parle ! Sinon...
— Sinon quoi ? Vous pensez le trouver sans moi ? Il est peut-être déjà mort !
Visiblement, Dorimar se délectait de son impunité de grand blessé face à ces pauvres imbéciles de flics. Il les défiait, une joie mauvaise illuminait son regard, tordait sa bouche en un rictus sadique.
Soudain ses traits se figèrent, les moniteurs se mirent à biper. L'équipe de réa accourut : massage cardiaque, défibrillateur, injection d'adrénaline, rien n'y fit. Au bout de dix minutes ils baissèrent les bras. « Mort subite par arrêt cardiaque », Dorimar ne parlerait plus jamais.
Par principe, les recherches se poursuivirent à Louveciennes. Sans grand espoir. Au commissariat, un silence de plomb écrasait les équipes désemparées.
Ce soir-là, Maggy rentra chez elle à pied. Perdue dans ses pensées, elle ne reconnut pas la petite qui l'interpella d'une voix joyeuse :
— Vous aviez raison, Madame, Lili est revenue ! Dans les bras de la fillette, une jolie chatte grise et blanche, aux yeux verts. Machinalement Maggy lui caressa la tête.
— Tant mieux ! Tu as bien fait de lui acheter un collier, mais il serait plus prudent de lui faire mettre une puce électronique par un véto, tu sais.
— Oh, mais c'est pas moi ! Je viens de la trouver avec.
D'ailleurs, ce n'est pas un collier, mais un lacet, de chaussures de sport. Un lacet rouge.
— Tu me montres par quel chemin elle est revenue, Lili ?
Dans le parc des Buttes-Chaumont, la petite chatte avança tranquillement vers une resserre désaffectée, masquée par des saules pleureurs. Et se faufila à l'intérieur.
La porte, vermoulue, céda facilement.
Au fond de la pièce, un escalier plongeant dans une cave. Allongé à même le sol, les pieds entravés par une lourde chaîne ancrée au mur, affaibli mais vivant, un jeune garçon portant des sneakers rouges auxquelles il manque un lacet. Celui qu'il a noué, tel un SOS, au cou de la petite fugueuse.
© Short Édition - Toute reproduction interdite sans autorisation