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Il avait fait si beau ces temps-ci.
Les alizés effleuraient les larges palmes des cocotiers qui sarabandaient dans le ciel.
L'air s'habillait de moire, habité qu'il était par la chaleur torride du jour.
Le soleil en effet plombait les êtres vivants de ce pays dès 10 heures. C'était un soleil de Carême, franc mais lourd, qui entrait dans chaque pore de la peau, y fourrageait goulument, piquait, agaçait. On ne pouvait rien faire sous ce soleil. La mer, elle-même, ne parvenait pas à calmer ses assauts si bien que toute l'île croulait sous sa morsure. On se terrait, harassé, écrasé, mais content d'échapper au pire.
Les rues se vidaient, les magasins baissaient rideau et même les voix se faisaient moins fortes. Les marchandes pliaient bagage, se réfugiaient chez une commère pour revenir ensuite vers 17 heures, quand la brûlure serait moins forte. Les pêcheurs vendaient rapidement leur poisson et s'enfuyaient vers une sieste méritée. Quant aux enfants, c'est en classe qu'ils accueillaient bien malgré eux la chaleur immonde qui les faisait suer et les rendait tout mollassons.
À midi, il y eut l'affaire du nuage, un énorme nuage ocre, chargé d'une fine poussière brillante venue du Sahara et qui, comme souvent, avait traversé d'un trait l'Atlantique. C'était pour l'après-midi. Et les habitants, bientôt calfeutrés dans leur maison, leur bureau ou leurs écoles, surent par la radio que ce serait terrible : ça arrivait ; ça allait crever au-dessus de l'île ; on serait submergé ! On attendait une épaisseur inquiétante de silice dorée qui crisserait sous les pas de ceux qui s'aventureraient dehors. Il faudrait se protéger la bouche, les yeux et les oreilles, s'harnacher de toute part.
Louise était venue à Pointe-à-Pitre pour acheter de la mercerie : du tissu, des boutons et surtout des rubans. Elle devait confectionner une robe de cérémonie, sa robe de mariée. Cela peut sembler incongru : elle voulait réaliser elle-même sa robe de mariée. Elle était couturière et pensait que seul un vêtement original serait adapté à son caractère affirmé : une œuvre bien à elle. On ne se mariait pas tous les jours. Elle en était d'ailleurs quelque peu effrayée : s'engager pour la vie, comme ça, sans vraiment connaître l'autre. Kevin était gentil, prévenant. Elle l'aimait beaucoup. Pourtant elle ne sentait pas le frisson que décrivaient les feuilletons dont elle se délectait souvent. Se marier, c'était le lot de tous, alors, pourquoi pas elle ? En attendant, elle avait fini ses emplettes, ayant déniché du taffetas de soie crème, de longs rubans brillants et quelques boutons de nacre. Elle attendait le bus sur la place de la Victoire.
Julien, un jeune agriculteur, était descendu en ville pour chercher une pièce de tracteur. Son engin avait pris panne la veille ; il était tellement vieux qu'il avait fallu usiner une pièce de rechange. Cela avait été fait ; il en était ravi, d'autant qu'il n'avait pas eu à attendre le bus.
À 13 h 57, Louise y monta et s'assit sur l'unique siège disponible, à côté du jeune homme.
Elle le salua rapidement. Il se poussa un peu, histoire de lui laisser un maximum de place, mais aussi d'éviter de la toucher. On ne sait jamais ; elle pourrait être gênée de le sentir trop proche.
La radio jouait un air de zouk et beaucoup fredonnaient et se balançaient. Cela ravivait des souvenirs de jeunesse et d'amourettes lointaines.
À 14 heures, une voix s'éleva à la radio, inquiète, presque brutale. Chacun devait immédiatement trouver un abri. Le nuage arrivait. Le chauffeur décida de se déplacer à l'abri de la sous-préfecture puis de fermer les portes de son bus. C'était un nuage de poussière ; il n'y aurait que peu de vent ; juste de la poussière. Le bus formait l'abri idéal avec ses fermetures étanches. Il invita les passagers à clore les fenêtres et mit la climatisation. Un bruit monstrueux s'éleva, sorte de roulement de moteur antique qui s'atténua bientôt en un ronronnement de matou satisfait.
Les voyageurs faisaient contre mauvaise fortune bon cœur : on en aurait pour quelques minutes et ensuite, on pourrait repartir. Il était préférable d'être ici que dehors. Ils voyaient d'ailleurs quelques personnes empressées qui couraient de tout côté, cherchant un refuge. Autant s'installer confortablement. On était en sécurité.
Louise se leva, déposa ses paquets dans le porte-bagages du haut, et ce faisant découvrit une aisselle délicate, à la fine peau dorée, lisse comme une paupière. Julien entrevit aussi la naissance d'un sein rond et ferme, juste dans l'échancrure d'une manche. Il se leva pour aider la jeune femme et perçut son odeur acidulée. Leurs regards se croisèrent.
Il y eut alors un éclair : la poussière d'or se déversa sur le monde et sur deux êtres qui ne se connaissaient pas.
Julien prit la main de Louise pour l'aider à se rasseoir, ce qu'elle fit sans le quitter des yeux. Il y avait dans son regard une fixité et une intensité étonnantes. Julien, lui, s'accrocha à ces yeux mordorés, s'y noya, s'y complut. Presque tremblants, ils surent que ce moment déciderait de leur vie. Disparus le taffetas de soie, Kevin et le mariage. Envolés la panne, la pièce et le champ de canne. Coincés dans ce bus, côte à côte, ils se construisaient une bulle où personne n'entrerait. Ils ne parlèrent pas ; ils ne se lâchèrent ni de la main ni des yeux. Mais à l'intérieur de chacun d'eux s'élaborait, par une complexe alchimie, un curieux sentiment où se mêlaient joie, fébrilité et appréhension. Comme une harpe au vent, tout leur corps vibrait sous l'émotion nouvelle qui les transportait. C'était arrivé.
Dans le rétroviseur, le chauffeur leur jeta un œil amusé : il avait saisi l'instant, compris que partiraient avec la poussière rubans et tissus d'apparat, mais lui ne croyait pas que l'amour vînt ainsi par hasard.
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Pourquoi on a aimé ?
Récit d'un coup de foudre à la fois simple et extraordinaire, c'est une bulle de magie qui se forme autour des personnages confinés dans un
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