Un trou noir dans lequel on peut voir de minuscules particules se déplacer, un peu comme un pâturage où les moutons vont au bord de la falaise, le berger ne se préoccupant pas de ses bêtes. C’est dans cet océan de particules que ces minuscules électrodes vont et viennent en perpétuel conflit avec eux-mêmes.
Tut tut tut, faites place
Mais qui va là, il ne doit pas être là, celui-là
Stoppez là, je ne peux plus rien, allez-vous en
Hop, ça y ait j’ai la main
Non, non, stop
Et c’est ...
l’appel aux secours, encore une fois, une fois de trop, Anna est au plus mal. Une fenêtre cassée par les pompiers pour quoi, pour rien, Anna n’est même pas chez elle !
Et ça dure, ça dure depuis des années, de longue solitude, abandonnée, perdue dans un monde irréel sans fin, Anna ne sait que faire de ses journées. Elle va chez sa mère, elle repart abattue, sa mère l’a mise à la porte à dix-sept ans. Depuis les relations sont gelées. Petit oiseau trop tôt tombé du nid, elle se sent si seule qu’elle se laisse entraîner par n’importe qui : de faux amis qui profitent d’elle ou des hommes sans scrupules pour lesquels un sourire est une invitation à aller plus loin, trop loin : Anna est jolie et attirante.
Les plaintes pour viol s’enchaînent, comme les appels aux secours, Anna n‘a pas les armes pour s’expliquer, elle s’embrouille, confond les lieux, les dates. Les plaintes sont classées sans suite. Anna se sent incomprise.
Alors entre solitude, rejet et douleur, elle se bourre de médicaments comme on mange des bonbons puis se rend compte qu’elle est allée trop loin. Elle appelle les pompiers ou le SAMU, fini aux urgences une fois encore. Là bien-sûr on l’envoie en hôpital psychiatrique mais elle n’a pas, non plus, sa place dans cet endroit qui laisse entrevoir des regards triste et endormis. Elle sort au bout de quelques jours parfois même quelques heures.
Elle retrouve sa solitude, son mal être, ne sachant toujours pas quoi faire de ses journées.
Le plus dur est ce jour où elle n’en pouvait plus, elle voulait mourir. Elle est descendue dans sa cave, a aspergé le sol d’essence puis a mis le feu. Fort heureusement l’explosion et les flammes lui ont rendu sa lucidité, elle appelé les pompiers et tout s’est bien terminé mais elle passera au tribunal pour son geste, assimilé à du vandalisme.
Et pourtant un jour, elle ose frapper à la porte de la banque alimentaire de Montbéliard dans le Doubs, pour se sentir utile, pour se sentir exister. On la reçoit, oui, ils ont besoin d’aide, si elle veut, elle peut venir.
Alors Anna va aller dans l’entrepôt des réserves, elle va porter, ranger, travailler dur. Elle va s’engager, c’est compliqué, son corps lui fait mal, il a été trop longtemps mis à l’épreuve, mais elle insiste, un mois puis encore un , et maintenant l’année s’est écoulée, elle est toujours là, on lui donne des responsabilités, elle a des échanges, des conversations avec les autres. Personne ne juge , ils ont tous une raison d’être là.
Elle s’engage, fait les collectes aux sorties de magasin, elle participe aux barbecues, à la galette des rois... Elle est là.
Surtout, elle n’est plus à vagabonder, à se mettre en danger.
On ne croise plus ce regard triste quoique qu'encore un peu quelquefois, on n’efface pas tout si facilement. Mais maintenant Anna n’est plus seule, elle est accompagnée, elle a aussi un petit ami Tom. Il va maintenant travailler comme chauffeur à la banque alimentaire, il a lui aussi passé le cap du repli sur soi, ils avancent soutenus par une force, une main au-dessus de leur tête, une porte ouverte vers l’avenir.
Si vous avez besoin de fuir la vieillesse ou tout autre malaise, de repartir dans le bon sens, de vous aimer à nouveau, allez frapper à la porte de n’importe quelle association, prenez ce risque de vous en sortir, c’est juste une voix qui doit s’initier dans votre tête : “ je veux avancer, m’en sortir”.
Il n’y a pas de centre ouvert la journée (un café solidaire par exemple) pour accueillir, écouter les personne en souffrance ou leurs familles démunies, déboussolées. Pour Anna c’est la Banque Alimentaire de Montbéliard qui a eu le pouvoir de la rétablir. Doit-on penser que c’est aux plus démunis de venir en aide à leurs semblables ?
Ce texte est un remerciement à ces êtres généreux, dans ce pays de Montbéliard où les habitants sont généralement décris comme froids et distants. Cette générosité d’âme, de partage que la banque alimentaire développe, moi la mamie d’Anna je veux leur dire merci.
La mamie d’Anna. Je t’aime mon petit cœur.