Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. Il parlait... parlait... Et ses mots m'emportaient ailleurs, dans un univers enchanté. J'ignorais qui il était. Je ne savais pas s'il était grand ou petit, s'il était beau ou pas, s'il avait un joli sourire et les fossettes qui m'envoûtaient chez les hommes. Mais comme si je ressentais tout de suite une affinité pour cette personne derrière mon dos. Alors que je n'osais même pas me retourner pour l'attraper du coin de mon regard.
Ce fut une matinée d'octobre dans la capitale de Madagascar. Le ciel s'étendait en une toile azurée, ponctuée de nuages immaculés ici et là. Les tisserins chantaient sur les rameaux entre lesquels les rayons de soleil se frayaient un chemin. Les jacarandas teintaient la cité d'un violet enchanteur. Ce fut un lundi, mais pas comme les autres où je me lassais derrière mon écran d'ordinateur. Ce jour-là, j'étais chargée de régler quelques formalités administratives en ville. Et j'en profitais pour savourer un brin de liberté.
Après les mille kilomètres de va-et-vient entre les bureaux ministériels, je crevais de faim et de fatigue. Pour m'échapper du tumulte urbain, je me laissai séduire par la quiétude d'un bistrot du coin. J'y choisis un siège de terrasse où j'étais caressée par une brise rafraîchissante tout en profitant d'une ombrelle. Du côté de la table derrière moi, une voix masculine retenait mon attention. Je ne savais pas qui il était, je ne pouvais pas apercevoir son visage. Mais ce qu'il disait titillait toute ma curiosité.
Il parlait pendant une minute, et cela faisait naître une brume d'émotion dans mes yeux. Il avait commandé un menu bien frais. Jusque-là, tout était normal. Il avait une voix veloutée, mais rien de spécial ! En attendant, il commença à discuter avec l'enfant de la rue qui s'approcha pour lui vendre des livrets de dessin. Le petit était un de ces mendiants qui, pour gagner de quoi apaiser leur faim, apportaient des brochures de je ne savais quelle source. Les livrets n'intéressant presque personne, et étant peut-être récupérés au rebut, les gamins les vendent au prix libre.
Le jeune homme derrière mon dos n'offrit pas de l'argent à l'enfant. Sans considérer ses haillons et sa souillure, il l'invita à prendre place et lui demanda ce qu'il désirait manger. « Du riz », fut très rapidement la réponse. Il passa la commande et commença à parler sérieusement au petit. « Comment t'appelles-tu ? Pourquoi vends-tu ces brochures que personne n'achète ? Si tu veux réussir, mieux vaut proposer des articles que demandent les gens : pourquoi pas des pistaches, des bonbons, d'autres trucs dont ont besoin les passants... Je t'offre du fonds avec les accompagnements nécessaires. » Tout cela, proféré avec tant de douceur !
Derrière cette conversation feutrée, quelques gouttes de larmes longeaient mon visage. Les belles frimousses, c'est courant. Les silhouettes imposantes, beaucoup en ont. Mais les cœurs d'or, c'est devenu rarissime. Cette bribe de discussion derrière mon dos a duré une petite minute, mais une minute qui a fait fondre mon âme. Les personnes séduites par l'intelligence et l'intellect, oui les « sapiophiles », on en connaît. Mais celles qui sont attirées par la gentillesse, savez-vous comment les appeler ?