Chroniques d'une mante religieuse

Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité.

Une bonne minute à les regarder. Je les tenais dans mon regard. C'est comme si tout autour de nous avait été volatilisé et qu'il n'y restait qu'eux, elle, et moi dans cette pièce quasi obscure, insipide, et froide qui empestait l'indifférence.

Ils étaient là, juste devant moi, à un demi pas. Je les regardais et ils me fixaient en retour. Elle aussi était encore présente dans la pièce, mais on y faisait pas attention. Je ne pouvais pas comprendre comment elle faisait cela, mais elle parvenait à nous fustiger, tout en nous regardant, eux et moi, en même temps sans jamais battre même une demi seconde les paupières.  Pendant ce temps, je continuais de les fusiller du regard tout en me disant qu'ils n'étaient rien d'autre que des pions sur mon échiquier, attendant qu'un tout petit mouvement de moi pour mouvoir. Sauf que je ne pouvais pas savoir à quoi,  eux, pouvaient bien penser.

Un court instant, j'ai pensé à attaquer le plus dangereux d'entre eux, mais après mûre réflexion je renonçai, vue sa carrure, son agilité, son efficacité, sa précision et sa justesse, il m'aurait terminé en moins de deux. Je scrutai bien leur visage et j'ai décidé d'attaquer le plus frêle d'entre eux : fusiforme,un nœud papillon autour du cou dont la spécialité était l'étranglement. Deux autres d'entre eux : l'un de petite taille et l'autre assez grand, leurs lames bien aiguisées pouvaient taillader même un diamant, enfin à première vue. Les deux autres avec leurs bouteilles m'intriguaient un tout petit peu moins que les autres car bien de fois, ils manquaient leur coup.

Certes il y avait un peu de frustration dans l'air, mais le sentiment qui m'habitait sur le moment n'était pas la peur. J'étais plutôt prudent et prompt face à cette énigme que je devais déceler .

Alors que je m'assurais de faire un choix raisonnable, eux, n'arrêtaient toujours pas de me fixer sans parler. Leur mutisme était des plus étrange et dérangeant. Ils étaient là, bien alignés devant moi, sur un tabouret. Le revolver devant bien sûr, la corde à l'autre extrémité, et au milieu le scalpel, la lame de rasoir, les deux petites bouteilles, l'un contenait du chlore et l'autre un peu plus grand, un poison dont je n'ai jamais pu retenir le nom. Je pris le revolver, le posai sur ma tempe; juste au moment de passer à l'action, elle me demande : « qu'est-ce que tu fais là ? »

Je baissai aussitôt le revolver et lui demandai en retour ce qu'elle était venue faire dans la pièce, sans daigner répondre à sa question. Elle répondit : « rien.» Puis renchérit avec une multiplicité de questions auxquelles je ne pouvais répondre sans que je ne fusse absorbé totalement par la colère. 
_ Pourquoi as-tu une arme ?
_ Mais que fais-tu avec toutes ces choses ?
_ Un scalpel ? Une lame de...
_ Une corde avec un nœud ?
_ Tu me fais peur ! 
Elle m'a posé toutes ces questions, les unes aussi perturbantes que les autres, avec effroi et bégaiement.

Je la regardai et lui dis : « Je dois le faire. Je suis réduit à rien. Je n'ai plus de travail. Je n'arrive plus à payer le loyer. J'ai un cancer et la seule femme que j'ai aimé m'a quitté.

Les yeux plein de larmes et débordant d'émotions, elle répondit : « Mais je t'aime,moi. »

Cette réponse m'a mise hors de moi. D'un geste rapide je remis le revolver sur ma tempe. Au moment de presser sur la détente, elle fit un bond en avant pour attraper ma main, et tenta de me prendre l'arme. Je lui ai demandé de me lâcher avec rage et une colère amère, mais elle ne voulait point. Elle continuait de se battre de toutes ses forces. Et le coup est parti.

D'un coup, ma gorge devint sèche. J'ai senti mon cœur gonflé dans mon estomac. Tout mon corps devenait froid, je ne sentais plus mes membres, comme si mes articulations étaient bloquées. Je ne pouvais plus respirer et peinais à articuler. Il y avait du sang partout sur mon corps. C'était celui de ma fille de quatorze ans.
 
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