Cette nuit

 
Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité.Une lumière rouge clignotait sur l'écran en attendant que des chiffres s'y affichent. Le saturomètre restait pointé au doigt d'une patiente. « Que quelqu'un s'élance pour trouver un appareil extracteur d'oxygène ! »D'autres voix s'élevaient : « Essayez les points d'oxygène plantés aux murs !  De l'oxygène ! De l'oxygène ! » Internes, infirmiers et agents d'appuis couraient dans les couloirs de l'hôpital.
 
SSSSSHHHHUn bruit que tout le monde s'apprêtait à entendre. Un bruit typique d'un air pur qui s'engouffrait dans des tubulures de petit calibre. Cet espoir demeurait en vain.
_« Le débit d'oxygène utilisé au service de réanimation a triplé. La pression de l'air ne pouvait plus arriver jusqu'à nos murs ! », s'écria une infirmière en franchissant les dernières marches de l'escalier.
Qu'est-il arrivé à notre monde ? Est-ce que le monde faisait face à une guerre ? Pourquoi entendions-nous des hurlements et des appels au secours ?
 
Je faisais un grand pas pour faire rentrer la patiente dans la salle de l'hospitalisation. Je ne pouvais me retenir devant toute la foule.
_« Bonsoir, je suis l'interne de garde...Comment va notre patiente ? D'un seul regard, j'avais pu constater une femme couchée sur le lit de l'hospitalisation. Des membres de la famille essayaient d'y entrer. J'apercevais dans ces yeux le chagrin et l'inquiétude.
_« Faites tous ce que vous pouvez Docteur pour sauver notre mère ! »  
_« Docteur, je vous prie de sauver ma femme ! ». Une larme s'écoula sur la joue d'un homme. Oui, c'était un homme d'un certain âge.
Dans mon cœur, j'essayais de reformuler des phrases. Que devrais-je leur dire pour exprimer ce que je ressentais vraiment ? « Sauvez-vous aussi ! Rentrer chez vous, prenez soins de vous tous... Pensez à vous et à vos enfants ». « Eviter de vous faire contaminé par ce virus ! Aidez-moi ! Toute l'équipe de garde fait un appel à l'aide. Je vous supplie de bien rester chez vous ».
La volonté qui vit en moi me poussait à tout leur exposer les faits. Devrais-je persuader ces gens de rentrer aussitôt que possible ? A ce moment, je n'avais qu'une intention : leur expliquer que si par malheur une personne parmi eux tomberaient malade, cela aggraverait la situation. J'imaginais déjà des agents d'appuis qui vont porter des bouteilles d'oxygène sur leur dos pour gravir les étages.
Je ressaisissais vite. « La patiente est entre de bonnes mains, nous ferons tout notre possible, prenez soins de vous tous, s'il vous plait, rentrez chez vous ».
 
Des cris et des pleures se faisaient entendre partout. Cette pandémie a bouleversé le quotidien. Elle empoisonnait l'air pure que nous respirons. Des poumons devenaient avide d'oxygène réclamant parfois des outils invasifs. Des recommandations s'affichaient partout : visites interdites. Des liaisons étaient brisées. Plusieurs personnes avaient perdu des êtres chers.
_ « Madame, les traitements sont en cours, toute l'équipe médicale est là à vos côtés. Reposez-vous bien ! » Je ne pouvais lui donner même pas un sourire pour faire remonter le moral. Ces vêtements dits de protection me couvraient de la tête au pied et limitaient mes mouvements. Je sentais parfois mon corps transpirer en pleine milieu de la nuit. Ils ne peuvent désormais retenir ma pensée. Mon esprit parcourait des centaines de kilomètres. Mes parents, si fragile qu'ils sont. Mes enfants, restez bien sage en attendant mon retour. Soyez bien sage avec papa. Cet homme dit mon mari ; serait-il encore là pour me soutenir ?
 
Mes pas se croisaient brusquement. La lassitude me tirait à l'évanouissement. Il faut sauver des vies. Telle est la devise que nous nous nourrissions à chaque repas. Il est hors de question de baisser les bras. Des vies sont enjeu.
 Durant cette nuit, chaque seconde comptait. Les minutes se succédaient une à une. Une éternité.
 
Une cloche sonnait dans les environs. Le matin s'annonçait. Une lumière entrait à travers une fenêtre. Des chants d'oiseaux commençaient à se faire entendre. J'étais si étonné d'être éveillé au fond d'un couloir. Je ne pouvais me souvenir du moment où je commençais à m'accroupir dans ce coin. Je me précipitais pour regarder ce qui se passait à l'extérieur. Une nouvelle journée débutait. Le vent d'une nouvelle vie soufflait dans tout l'hôpital. Les équipes de renfort vont arriver...
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