Cerisier

De petites formes ovales et rose pâle tombaient doucement de ces bras longs et tortueux. Le doux vent nouveau du printemps les emportait au loin. Les bras se balançaient dans cette bourrasque de changements. Ils se tortillaient, comme un adieu. Le corps de cet immense arbre était couvert d'écorce. Une écorce sur laquelle se distinguaient des rainures, comme des veines tortueuses. C'était un très vieux cerisier. Chaque année, il refleurissait et racontait une nouvelle histoire. Sur sa peau était gravée une cicatrice. Une trace, LA trace. Celle de l'histoire que ses fleurs racontèrent cette année-là.
 
Deuxième guerre mondiale_ Début du débarquement des Anglais.
 
Elle était résistante. Il avait dans son coeur une croix. Elle vivait dans une cabane clandestine en forêt. Il logeait dans le poste de police allemand. Chaque mardi, elle partait chasser dans la clairière à quelques kilomètres d'un village français. Elle devait alors rester sur ses gardes. Les coups de feu étaient indiscrets, mais le gibier abondait dans cette partie du bois. Elle avait faim, ce jour-là. Très faim. La ferme de ses parents, qui lui filaient en douce de la nourriture, avait été brûlée par les nazis. Les coups de feu avaient résonné durant trois jours dans l'esprit de la jeune femme. Son père, sa mère et son frère avaient été emmenés. Où ? Mystère...Cela faisait une semaine déjà que Lisa se rationnait, se faisant la plus discrète possible. Ses coups de feu touchèrent la cible, mais... interpellèrent aussi un curieux. Il était à la mairie du village occupé par les nazis et discutait avec le maire. Il voulait IMMÉDIATEMENT la liste des jeunes hommes du village car le STO[1] manquait de travailleurs. Il prit sa voiture, marquée d'une croix bien particulière. Il arriva dans la clairière et sortit son arme, voyant la jeune femme. Celle-ci le regarda, et dans ses yeux, un orage se forma rapidement. Une colère et une noirceur obscurcirent son cœur, tandis que celui du jeune nazi se colora de rouge et se mit à battre plus fort. Il secoua la tête, ignorant ses émotions, et se jeta sur elle pour l'amener au poste et l'interroger, mais elle l'évita de justesse. Elle le maintint en joue à l'aide de son arme et, le fusillant du regard et aveuglée par sa rage envers la croix qu'il servait aveuglément, elle le mena à son repaire. Elle l'interrogea en vain. Il était bien décidé à tenir sa langue sur ses intentions. Peu après, elle le laissa et repartit chercher sa nourriture qu'elle avait oubliée dans la clairière. Terrible erreur ! Une fois la porte refermée, il défit ses liens (avec grande difficulté) et s'en fut de la forêt. Il prit sa voiture et roula jusqu'en Allemagne, le bois étant à la frontière. Une fois arrivé au poste, il réfléchit longuement, puis se ravisa. Cette fille, il la capturerait lui-même et serait félicité. Ce qu'il ignorait, c'est qu'une ombre l'avait aperçu quittant la forêt et l'attendait sur le pont qui marquait la frontière. 
 
Une explosion retentit dans le silence du vent qui propagea le drame. Lisa observa le pont se briser sous les explosifs qu'elle avait placés et le nazi dégringoler dans le ravin. Elle s'en alla. Seul un pincement de cœur la fit se retourner une dernière fois. Sa haine était forte, mais tuer quelqu'un n'est pas un acte anodin. Elle le savait, mais fit taire son émotion. Pour elle, la vie ne changea pas. Dans la chute du soldat, son cœur si dur et inébranlable fut déchiré par une nouvelle sensation : la peur ! Ses larmes coulèrent avec lui au fond du ravin. Un plouf sonore, un bruissement de feuillage, puis un moteur de voiture clôturèrent cette dernière rencontre. 
 
Capitulation des nazis_ Libération de la France.
 
La jeune femme put commencer à rechercher sa famille. Lorsqu'elle se rendit au poste de police allemand, elle découvrit un homme mutilé, blessé. Il fuyait, en direction du pont. Il avait été défiguré, et dans tout son être, on pouvait voir sa douleur. Elle courut pour l'attraper, avant de se stopper net. Il la regardait fixement, et dans son regard, on pouvait voir sans aucune peine des éclairs de haine. Ils étaient tous deux à côté du ravin, lorsqu'il y jeta son insigne d'officier nazi. Dans son cœur, la croix se brisa. Il se sentait libre. Libre et heureux. Lisa, de son côté, ne sut quoi dire. Elle le regardait, un mélange de haine et de joie obstruant son cœur. Contre quoi portait-elle cette colère si forte ? Elle jeta un coup d'œil dans le ravin. Elle vit le badge tomber, emportant sa haine d'un coup. Elle regarda l'homme, et ce ne fut pas un officier Allemand qu'elle vit mais un être humain doté d'un coeur. Sachant ce qu'ils risquaient, ils s'exilèrent en Suisse. Et c'est bras-dessus bras-dessous qu'ils passèrent les plus beaux jours de leur vie. À leur arrivée, ils gravèrent un cœur sur le tronc d'un jeune cerisier en fleur. Une trace pour ne pas oublier. LA trace.
 
[1] Service du Travail Obligatoire imposé par les nazis.
2