« Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres mais je ne vous appellerai pas maître » Coulaient de sa bouche des paroles qui s'échouèrent sur les murs de la chambre. Membres camisolés s'agitaient au fin fond de son être. « Je ne vous appellerai pas maître » crachait-il en face de cette blouse blanche lui tendant des perles à ingurgiter. En face de cette main gercée au fil des ans, il pouvait compter le temps de sa lutte. Même paume, mêmes pilules, même ton.
Même réponse : « Je ne vous appellerai pas maître ». En face de cette paume, il se rappelait pourquoi il devait arroser ses mirages. Ombre dansantes dans les profondeurs de son cloître. Bombe, obus, sang, cri, déflagration,... Il remuait ses lèvres pour que ces ombres ne s'évanouissent pas à la lassitude de son regard drogué. Ses pas retraçaient alors sa recherche perpétuelle. Attente d'un retour mensonger. De cette petite voix aigüe aux lettres maladroites qui trébuchaient sur son cœur.
« Je ne vous appellerai pas maître » vomissait-il face à cette ruée de coups lui déchirant les entrailles. À ces mains qui lui ouvraient la gueule pour le gaver de « réalité ». La leur. Terne. Inchangée. Cimetière cratère d'obus, et silence mortel.
Au fin fond de son naufrage, un ours, deux petites bottes, et une tâche perlée de rubis qu'il essayait de recueillir entre ses doigts, évasive.
Au fin fond de la chambre, hébété, il contemplait de ses doigts invisibles les petits regards d'azur fondant dans les limbes ensanglantés...
Le « maître » s'avança devant l'être inanimé. Dr. C... attendait patiemment sa phase d'accalmie pour la dixième fois. Deux adjoints restaient aux aguets les bras ouverts chancelant avec le révolté. Gardiens attendant le ballon.
Dans la main inquisitrice du Dr. C..., le rapport, où l'écriture en défilade s'arrêtait toujours juste devant « trouble : ». Barrage.
Il n'avait jamais compris comment cet homme en était arrivé là. Alors que tout le monde oubliait, lui, ce dégénéré, mordait à pleine dent mémoire et horreur. Hallucinant, il voyait un tyran à chaque sédatif, occasion où il pouvait s'oublier, se calmer, se taire. La guerre était pourtant bien loin.
Mais le camp adverse n'arrêtait pas de gagner du terrain dans l'esprit de ce trentenaire. Ce cycle inchangé durait depuis six ans. Six ans ! Durant cette période pourtant, les cris se changèrent en rires, les montagnes cadavériques en jardins dallés. Lui déterrait la sentence de l'ennemi devenu frère.
L'incarcération se faisait subitement, sans horaires préalables, sans lieu précis, sans élément déclencheur.
En dehors de ces crises, l'homme avait des airs dociles, rationnels. Il reprenait sa vie de bureau, ses activités de vieux garçons. Une vie normale. Semblant de vie que le toubib s'efforçait d'épargner. C'est pourquoi, il décida de le tirer par la parole.
Blouse blanche, verres impénétrables, voix posée.
« Pourquoi refusez-vous donc de le faire ? »
SILENCE.
« Allons tout le monde s'inquiète pour vous »
Personne. SILENCE.
« N'avez-vous pas envie de revenir au bureau ? »
Mécanique intransigeante. SILENCE.
« Je comprends votre douleur, buvez... »
« Brrrr... » la voix du maître se perdit dans le babillage de Sa bouche enfantine.
« Gu... Brrrr... Pour... Brrr... Absurde... O... Brrr... Sti... Brrrr... Nation... Brrrr..."
La langue fut usée à grand tas face à un discours à vide de sens. Le patient n'entendait plus rien. Il s'apprêtait à repartir dans l'engrenage...
... Pour une nouvelle fois, il devait se taire et remonter à la surface. Les mains du patient réapparaissaient encore bredouilles. Ses pieds ne cherchaient plus « l'endroit ». Ils étaient pris par les flux de la foule. Alors ses mains fredonnaient à nouveau les cliquetis mécaniques. Les colonnes de chiffres s'étalaient sur ses globes ouverts. Ses doigts servaient plus à conclure qu'à saisir Sa vie. Ses paroles ne provoquaient plus mais rassuraient. Il était rentré dans la « norme ». Ses gribouillis s'endormaient sur l'étagère...
Quelques gorgées éthylées en dessous des néons parvenaient à soutenir son calme. À lui coloniser sa solitude. Il pouvait entre les nuées et les lumières saccadées esquisser un sourire rempli. Sourire que les autres lui rendaient.
Mais le sourire fit échapper un ricanement, le ricanement fit place au rire. Les gribouillis se redressaient sous l'implication de ses doigts.
Les cliquetis s'interrompirent. La mécanique explosa. Son être creusait. Il La cherchait. Il cherchait les minuscules mains qui lui cachaient les déchirures du ciel. Il cherchait ses paumes retournées interrogeant le monde. Il cherchait les pas qui courait vers lui. Il cherchait son regard d'azur,...
Ses mains ensanglantées arrêtaient leurs griffonnages. Ses entrailles hurlaient. Les sourires disparurent. Des mains émergeaient pour l'arrêter. Avant qu'il ne les détruise...
Les membres meurtris de silences se débattaient. Il était revenu. Alors parmi les fusillades et les giclées criardes, Sa bouche essayait d'émettre un son plus absurde. Il La contemplait une nouvelle fois. Libre. Avant que l'azur ne fonde dans les limbes...
Au pied du médecin s'échoua un dessin enfantin. Deux silhouettes l'une longue et sombre, l'autre gamine et blonde. Dessin souriant dans l'éclaboussement chaotique d'un esprit dérangé.
Même réponse : « Je ne vous appellerai pas maître ». En face de cette paume, il se rappelait pourquoi il devait arroser ses mirages. Ombre dansantes dans les profondeurs de son cloître. Bombe, obus, sang, cri, déflagration,... Il remuait ses lèvres pour que ces ombres ne s'évanouissent pas à la lassitude de son regard drogué. Ses pas retraçaient alors sa recherche perpétuelle. Attente d'un retour mensonger. De cette petite voix aigüe aux lettres maladroites qui trébuchaient sur son cœur.
« Je ne vous appellerai pas maître » vomissait-il face à cette ruée de coups lui déchirant les entrailles. À ces mains qui lui ouvraient la gueule pour le gaver de « réalité ». La leur. Terne. Inchangée. Cimetière cratère d'obus, et silence mortel.
Au fin fond de son naufrage, un ours, deux petites bottes, et une tâche perlée de rubis qu'il essayait de recueillir entre ses doigts, évasive.
Au fin fond de la chambre, hébété, il contemplait de ses doigts invisibles les petits regards d'azur fondant dans les limbes ensanglantés...
Le « maître » s'avança devant l'être inanimé. Dr. C... attendait patiemment sa phase d'accalmie pour la dixième fois. Deux adjoints restaient aux aguets les bras ouverts chancelant avec le révolté. Gardiens attendant le ballon.
Dans la main inquisitrice du Dr. C..., le rapport, où l'écriture en défilade s'arrêtait toujours juste devant « trouble : ». Barrage.
Il n'avait jamais compris comment cet homme en était arrivé là. Alors que tout le monde oubliait, lui, ce dégénéré, mordait à pleine dent mémoire et horreur. Hallucinant, il voyait un tyran à chaque sédatif, occasion où il pouvait s'oublier, se calmer, se taire. La guerre était pourtant bien loin.
Mais le camp adverse n'arrêtait pas de gagner du terrain dans l'esprit de ce trentenaire. Ce cycle inchangé durait depuis six ans. Six ans ! Durant cette période pourtant, les cris se changèrent en rires, les montagnes cadavériques en jardins dallés. Lui déterrait la sentence de l'ennemi devenu frère.
L'incarcération se faisait subitement, sans horaires préalables, sans lieu précis, sans élément déclencheur.
En dehors de ces crises, l'homme avait des airs dociles, rationnels. Il reprenait sa vie de bureau, ses activités de vieux garçons. Une vie normale. Semblant de vie que le toubib s'efforçait d'épargner. C'est pourquoi, il décida de le tirer par la parole.
Blouse blanche, verres impénétrables, voix posée.
« Pourquoi refusez-vous donc de le faire ? »
SILENCE.
« Allons tout le monde s'inquiète pour vous »
Personne. SILENCE.
« N'avez-vous pas envie de revenir au bureau ? »
Mécanique intransigeante. SILENCE.
« Je comprends votre douleur, buvez... »
« Brrrr... » la voix du maître se perdit dans le babillage de Sa bouche enfantine.
« Gu... Brrrr... Pour... Brrr... Absurde... O... Brrr... Sti... Brrrr... Nation... Brrrr..."
La langue fut usée à grand tas face à un discours à vide de sens. Le patient n'entendait plus rien. Il s'apprêtait à repartir dans l'engrenage...
... Pour une nouvelle fois, il devait se taire et remonter à la surface. Les mains du patient réapparaissaient encore bredouilles. Ses pieds ne cherchaient plus « l'endroit ». Ils étaient pris par les flux de la foule. Alors ses mains fredonnaient à nouveau les cliquetis mécaniques. Les colonnes de chiffres s'étalaient sur ses globes ouverts. Ses doigts servaient plus à conclure qu'à saisir Sa vie. Ses paroles ne provoquaient plus mais rassuraient. Il était rentré dans la « norme ». Ses gribouillis s'endormaient sur l'étagère...
Quelques gorgées éthylées en dessous des néons parvenaient à soutenir son calme. À lui coloniser sa solitude. Il pouvait entre les nuées et les lumières saccadées esquisser un sourire rempli. Sourire que les autres lui rendaient.
Mais le sourire fit échapper un ricanement, le ricanement fit place au rire. Les gribouillis se redressaient sous l'implication de ses doigts.
Les cliquetis s'interrompirent. La mécanique explosa. Son être creusait. Il La cherchait. Il cherchait les minuscules mains qui lui cachaient les déchirures du ciel. Il cherchait ses paumes retournées interrogeant le monde. Il cherchait les pas qui courait vers lui. Il cherchait son regard d'azur,...
Ses mains ensanglantées arrêtaient leurs griffonnages. Ses entrailles hurlaient. Les sourires disparurent. Des mains émergeaient pour l'arrêter. Avant qu'il ne les détruise...
Les membres meurtris de silences se débattaient. Il était revenu. Alors parmi les fusillades et les giclées criardes, Sa bouche essayait d'émettre un son plus absurde. Il La contemplait une nouvelle fois. Libre. Avant que l'azur ne fonde dans les limbes...
Au pied du médecin s'échoua un dessin enfantin. Deux silhouettes l'une longue et sombre, l'autre gamine et blonde. Dessin souriant dans l'éclaboussement chaotique d'un esprit dérangé.