Toute histoire commence un jour, quelque part. La mienne n’est sans doute pas différente des autres. Le problème, c’est que je ne m’en rappelle pas. Je n’arrive pas à identifier le moment et le lieu qui correspondent au début de mon histoire. Est-ce même possible? Notre histoire commence-t-elle le jour où nous entrons dans ce monde? Commence-t-elle à notre premier souvenir? Notre vie est-elle en fait un amalgame de petites histoires qui commencent et finissent sans même que l’on s’en rende compte?
Ça doit être le cas. À mon insu, ainsi, je suis devenue un casse-tête dont chacune des pièces est une histoire en soi.
Parmi toutes ces histoires, il y en a que je partage, qui ressemble étrangement aux pièces d’autres casse-têtes que je commence à voir sur la peau des gens autour de moi. Certaines autres ne me sont pas accessibles, effacées de ma mémoire parce que trop lointaines, jugées inutiles ou refoulées au plus profond de mon être. Les histoires qui me composent ne sont pas toutes visibles. Il y en a que je raconte sans honte, d’autres que je cache avec férocité, d’autres encore que j’hésite à dévoiler. Il y en a une, en particulier...
Cette histoire commence par une soirée froide de mars. Dans un café avec une ambiance tamisée et un cœur plein d’attentes et d’impatience, je regarde la porte en espérant te voir arriver. Nous nous sommes donné rendez-vous, je sais. Je suis affreusement en avance, je sais. Malgré tout, j’espère encore que tu seras le prochain à passer le pas de la porte. Comme je suis une éternelle romantique, je m’imagine déjà comment cette rencontre se produira.
D’abord, tu entreras dans le café, en soufflant sur tes mains dénudées et figées par le vent froid. Ton souffle donnera naissance à un petit nuage qui brouillera tes lunettes. Tu lèveras alors la tête, secouant un peu ton manteau pour le débarrasser des derniers flocons de la saison, et ton regard se mettra en quête de mon visage. Instinctivement, parce qu’il y aura déjà cette connexion inexplicable entre nous, tu me trouveras immédiatement dans cette foule d’étrangers. Tu sauras que c’est moi, malgré que nous ne nous sommes encore jamais vus. Nous nous parlons depuis longtemps déjà. Je ne pourrais pas dire depuis quand, mais ça me semble être depuis toujours. La conversation quotidienne reste fluide, naturelle, une partie intégrante de ma routine. Tu me fais déjà rire et j’aime déjà ton sourire que mes yeux ne connaissent pas encore, mais que mon cœur saura reconnaître.
On a commencé à se parler à cause d’un message laissé sur mon téléphone. Un faux numéro que tu as fait sans même t’en rendre compte. Un hasard que la vie a décidé de nous envoyer, peut-être pour nous tester ou simplement pour s’amuser. « Qui est-ce? » ai-je demandé, curieuse. Le tout aurait très bien pu s’arrêter à ce moment, si tu n’avais pas répondu ou encore si nous ne nous étions pas prêté au jeu. « Désolé, j’ai dû me tromper de numéro » et c’aurait été la fin. C’était l’option la plus simple et la plus intuitive pourtant. Tu as plutôt décidé d’en faire une occasion de blague. « Et vous, êtes-vous le moi du futur venu pour m’empêcher de faire une erreur monumentale?! » et un sourire un peu niais qui se dessina sur mon visage. J’y ai vu une occasion de me détendre et de rire un peu. Peut-être y as-tu perçu la même chose?
Je me demande souvent pourquoi tu as continué de m’écrire. Pourquoi prendre du temps pour quelqu’un que tu ne connaissais absolument pas? Pourquoi t’investir dans une relation nouvelle qui ne t’apporterais peut-être rien du tout? Et pourquoi moi? Cette question je me la pose trop souvent, à propos de beaucoup trop de choses. Pour moi, cette rencontre, j’espérais, me permettrais peut-être enfin de répondre à cette question, que je n’oserais toutefois jamais poser explicitement. D’une façon ou d’une autre, j’ai été heureuse et flattée que notre relation commence ainsi, par un choix délibéré. Un choix qui, de fil en aiguille, m’a menée dans ce petit café à l’ambiance tamisée.
Quand tu entreras dans le café, enfin, tu iras commander deux grands Nuages de Londres. C’est le code que l’on s’est établi pour se retrouver. Je serai assise seule, face à la porte, comme prévu, avec une serviette de papier sur laquelle j’aurai écrit « déposez un Nuage de Londres ici ». Je t’ai proposé cette idée parce que je trouvais ce petit stratagème plus romanesque que de simplement entrer et demander à tous vents qui est celle que tu cherches. Tu as rigolé au départ. Tu me trouvais beaucoup trop fleur bleue. Puis tu as dit que ça faisait mon charme et que tu voulais bien te prêter au jeu. Déjà, ça m’avait fait chaud au cœur.
En venant t’assoir devant moi, après avoir déposé la tasse fumante là où elle devait nous réunir, tu aurais dit quelque chose d’un peu ridicule, mais de complètement charmant. « Est-ce la lumière qui vous rend si belle ou dois-je changer mes lunettes? ». Un habile mélange d’insulte et de compliment dont seul toi a le secret et qui me fait craquer à chaque fois. J’aurais laissé s’échapper un petit rire nerveux, mais sincère.
On se serait ensuite présentés, de manière quelque peu malhabile, se coupant la parole et reprenant en même temps. Un court moment de cacophonie qui aurait pourtant paru si harmonieux à mes oreilles. La conversation qui aurait suivi aurait été merveilleuse, à la fois comme une découverte et comme une routine, à la limite entre le discours d’un premier rendez-vous galant et celui d’un vieux couple. Nous aurions ri et parlé de tout et de rien, de la pluie et du beau temps, de nos vies et des enfants. Nous aurions ri et parlé jusqu’à la fermeture du petit café à l’ambiance tamisée.
En sortant du café, dans le froid mordant de la fin de l’hiver, nous aurions commencé à marcher au clair de lune jusqu’à s’épuiser pour se laisser tendrement aux petites lueurs du jour. Nos souffles chauds dans le vent glacial et poignant se seraient mêlés dans un ensemble de nuages éphémères que l’on se serait amusé à observer en tentant d’y trouver des formes. Malgré que j’aie oublié mes gants, j’aurais délibérément laissé mes mains hors des poches de mon manteau, espérant que tu te dépêche à les prendre pour les réchauffer. Comme si tu lisais dans mes pensées, tu aurais subtilement laissé ta paume glisser sur le revers de la mienne, frigorifiée. Après un petit regard complice, tu aurais pris ma main, fragile, délicate, féminine, dans la tienne, grande, forte, masculine, pour la mettre à l’abri dans la poche chaude de ton manteau.
Sans que l’on s’en rende compte, trop concentrés à profiter de la présence de l’autre dans la nuit noire, guidés par les lumières urbaines, nous nous serions égarés. S’étant éloignés du bruit de la ville, nous nous serions retrouvés dans un petit parc, assis sur un banc que tu aurais, d’un geste galant, débarrassé des flocons accumulés. Sous la lueur de la lune, nous aurions observé les étoiles et écouté le vent dans les branches et le ruisseau qui coulait tout près. Nous aurions pris un moment pour respirer le grand air, en silence, sentant nos deux corps se rapprocher l’un de l’autre.
Et alors, comme si nos cœurs s’étaient synchronisés, comme si nos esprits d’un souffle commun avaient eu la même idée, nos visages se seraient retournés pour plonger nos regards dans les yeux de l’autre. Et pendant un bref instant, le temps se serait arrêté, le monde figé autour de nous, le silence total. Lentement, ton visage s’approchant du mien, nos souffles coupés, nos cœurs qui se débattent. Puis, un baiser. Le plus doux qui soit, le plus enflammé aussi, comme une vague de sensations nouvelles qui m’aurait submergé, m’apprenant soudain ce que signifiaient réellement les mots amour et bonheur.
Mais la vie ne se déroule pas toujours comme prévu. Le petit café à l’ambiance maintenant triste s’apprête à fermer ses portes. L’employée vient nettoyer la table en me demandant de partir, un peu irritée que je n’aie rien acheté ce soir.
Tu n’es pas venu. Tu ne m’as rien dit. Et ainsi, cette histoire se termine aussi abruptement qu’elle s’était commencée. Elle n’a eu d’existence que dans mon imaginaire d’éternelle romantique désillusionnée.
J’ajoute ce morceau de casse-tête gris à mon amalgame. Je tenterai de le recouvrir de couleur. Je tenterai de t’oublier.
Ça doit être le cas. À mon insu, ainsi, je suis devenue un casse-tête dont chacune des pièces est une histoire en soi.
Parmi toutes ces histoires, il y en a que je partage, qui ressemble étrangement aux pièces d’autres casse-têtes que je commence à voir sur la peau des gens autour de moi. Certaines autres ne me sont pas accessibles, effacées de ma mémoire parce que trop lointaines, jugées inutiles ou refoulées au plus profond de mon être. Les histoires qui me composent ne sont pas toutes visibles. Il y en a que je raconte sans honte, d’autres que je cache avec férocité, d’autres encore que j’hésite à dévoiler. Il y en a une, en particulier...
Cette histoire commence par une soirée froide de mars. Dans un café avec une ambiance tamisée et un cœur plein d’attentes et d’impatience, je regarde la porte en espérant te voir arriver. Nous nous sommes donné rendez-vous, je sais. Je suis affreusement en avance, je sais. Malgré tout, j’espère encore que tu seras le prochain à passer le pas de la porte. Comme je suis une éternelle romantique, je m’imagine déjà comment cette rencontre se produira.
D’abord, tu entreras dans le café, en soufflant sur tes mains dénudées et figées par le vent froid. Ton souffle donnera naissance à un petit nuage qui brouillera tes lunettes. Tu lèveras alors la tête, secouant un peu ton manteau pour le débarrasser des derniers flocons de la saison, et ton regard se mettra en quête de mon visage. Instinctivement, parce qu’il y aura déjà cette connexion inexplicable entre nous, tu me trouveras immédiatement dans cette foule d’étrangers. Tu sauras que c’est moi, malgré que nous ne nous sommes encore jamais vus. Nous nous parlons depuis longtemps déjà. Je ne pourrais pas dire depuis quand, mais ça me semble être depuis toujours. La conversation quotidienne reste fluide, naturelle, une partie intégrante de ma routine. Tu me fais déjà rire et j’aime déjà ton sourire que mes yeux ne connaissent pas encore, mais que mon cœur saura reconnaître.
On a commencé à se parler à cause d’un message laissé sur mon téléphone. Un faux numéro que tu as fait sans même t’en rendre compte. Un hasard que la vie a décidé de nous envoyer, peut-être pour nous tester ou simplement pour s’amuser. « Qui est-ce? » ai-je demandé, curieuse. Le tout aurait très bien pu s’arrêter à ce moment, si tu n’avais pas répondu ou encore si nous ne nous étions pas prêté au jeu. « Désolé, j’ai dû me tromper de numéro » et c’aurait été la fin. C’était l’option la plus simple et la plus intuitive pourtant. Tu as plutôt décidé d’en faire une occasion de blague. « Et vous, êtes-vous le moi du futur venu pour m’empêcher de faire une erreur monumentale?! » et un sourire un peu niais qui se dessina sur mon visage. J’y ai vu une occasion de me détendre et de rire un peu. Peut-être y as-tu perçu la même chose?
Je me demande souvent pourquoi tu as continué de m’écrire. Pourquoi prendre du temps pour quelqu’un que tu ne connaissais absolument pas? Pourquoi t’investir dans une relation nouvelle qui ne t’apporterais peut-être rien du tout? Et pourquoi moi? Cette question je me la pose trop souvent, à propos de beaucoup trop de choses. Pour moi, cette rencontre, j’espérais, me permettrais peut-être enfin de répondre à cette question, que je n’oserais toutefois jamais poser explicitement. D’une façon ou d’une autre, j’ai été heureuse et flattée que notre relation commence ainsi, par un choix délibéré. Un choix qui, de fil en aiguille, m’a menée dans ce petit café à l’ambiance tamisée.
Quand tu entreras dans le café, enfin, tu iras commander deux grands Nuages de Londres. C’est le code que l’on s’est établi pour se retrouver. Je serai assise seule, face à la porte, comme prévu, avec une serviette de papier sur laquelle j’aurai écrit « déposez un Nuage de Londres ici ». Je t’ai proposé cette idée parce que je trouvais ce petit stratagème plus romanesque que de simplement entrer et demander à tous vents qui est celle que tu cherches. Tu as rigolé au départ. Tu me trouvais beaucoup trop fleur bleue. Puis tu as dit que ça faisait mon charme et que tu voulais bien te prêter au jeu. Déjà, ça m’avait fait chaud au cœur.
En venant t’assoir devant moi, après avoir déposé la tasse fumante là où elle devait nous réunir, tu aurais dit quelque chose d’un peu ridicule, mais de complètement charmant. « Est-ce la lumière qui vous rend si belle ou dois-je changer mes lunettes? ». Un habile mélange d’insulte et de compliment dont seul toi a le secret et qui me fait craquer à chaque fois. J’aurais laissé s’échapper un petit rire nerveux, mais sincère.
On se serait ensuite présentés, de manière quelque peu malhabile, se coupant la parole et reprenant en même temps. Un court moment de cacophonie qui aurait pourtant paru si harmonieux à mes oreilles. La conversation qui aurait suivi aurait été merveilleuse, à la fois comme une découverte et comme une routine, à la limite entre le discours d’un premier rendez-vous galant et celui d’un vieux couple. Nous aurions ri et parlé de tout et de rien, de la pluie et du beau temps, de nos vies et des enfants. Nous aurions ri et parlé jusqu’à la fermeture du petit café à l’ambiance tamisée.
En sortant du café, dans le froid mordant de la fin de l’hiver, nous aurions commencé à marcher au clair de lune jusqu’à s’épuiser pour se laisser tendrement aux petites lueurs du jour. Nos souffles chauds dans le vent glacial et poignant se seraient mêlés dans un ensemble de nuages éphémères que l’on se serait amusé à observer en tentant d’y trouver des formes. Malgré que j’aie oublié mes gants, j’aurais délibérément laissé mes mains hors des poches de mon manteau, espérant que tu te dépêche à les prendre pour les réchauffer. Comme si tu lisais dans mes pensées, tu aurais subtilement laissé ta paume glisser sur le revers de la mienne, frigorifiée. Après un petit regard complice, tu aurais pris ma main, fragile, délicate, féminine, dans la tienne, grande, forte, masculine, pour la mettre à l’abri dans la poche chaude de ton manteau.
Sans que l’on s’en rende compte, trop concentrés à profiter de la présence de l’autre dans la nuit noire, guidés par les lumières urbaines, nous nous serions égarés. S’étant éloignés du bruit de la ville, nous nous serions retrouvés dans un petit parc, assis sur un banc que tu aurais, d’un geste galant, débarrassé des flocons accumulés. Sous la lueur de la lune, nous aurions observé les étoiles et écouté le vent dans les branches et le ruisseau qui coulait tout près. Nous aurions pris un moment pour respirer le grand air, en silence, sentant nos deux corps se rapprocher l’un de l’autre.
Et alors, comme si nos cœurs s’étaient synchronisés, comme si nos esprits d’un souffle commun avaient eu la même idée, nos visages se seraient retournés pour plonger nos regards dans les yeux de l’autre. Et pendant un bref instant, le temps se serait arrêté, le monde figé autour de nous, le silence total. Lentement, ton visage s’approchant du mien, nos souffles coupés, nos cœurs qui se débattent. Puis, un baiser. Le plus doux qui soit, le plus enflammé aussi, comme une vague de sensations nouvelles qui m’aurait submergé, m’apprenant soudain ce que signifiaient réellement les mots amour et bonheur.
Mais la vie ne se déroule pas toujours comme prévu. Le petit café à l’ambiance maintenant triste s’apprête à fermer ses portes. L’employée vient nettoyer la table en me demandant de partir, un peu irritée que je n’aie rien acheté ce soir.
Tu n’es pas venu. Tu ne m’as rien dit. Et ainsi, cette histoire se termine aussi abruptement qu’elle s’était commencée. Elle n’a eu d’existence que dans mon imaginaire d’éternelle romantique désillusionnée.
J’ajoute ce morceau de casse-tête gris à mon amalgame. Je tenterai de le recouvrir de couleur. Je tenterai de t’oublier.