Ça se fête !

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« Au miel !? »

Tes yeux ont la couleur du miel. Tes cheveux ont la couleur du miel. Pas blonds, ni roux, ni châtains : miel !
Ton visage blanc est constellé de taches de rousseur qui descendent jusque sur tes épaules rondes. Au-dessus de ta bouche, tu en as une en forme de cœur. Ta bouche, rose, que tu badigeonnes toujours de gloss pailleté. Comme ça, à tout moment, tu dégaines de la poche intérieure de ta doudoune ou de ton jean un petit tube en plastique et, en même temps que tu parles, tu te peinturlures avec le pinceau en mousse.
Je l'envie, le pinceau...
L'hiver dernier, tu as eu les lèvres gercées, fendues jusqu'au sang. Tu portais le bonnet en laine kaki avec un pompon en fausse fourrure que Marco t'avait offert pour tes dix-sept ans, celui que je l'avais aidé à choisir, et tu n'arrêtais pas de passer ta langue sur tes gerçures. J'avais envie de te prêter la mienne pour te soulager.

La première fois que je t'ai vue, j'ai dit à Marco : « Tu crois qu'elle en a partout, des taches de rousseur ? ».
Ton pull marin dévoilait une de tes épaules, nue. Tu t'es étirée en bâillant comme un chat ; il est remonté, laissant entrevoir ton ventre laiteux orné d'un bijou bleu topaze. On aurait dit une sirène de conte de fées, une pierre précieuse incrustée dans le nombril. J'ai remarqué aussi tes seins : ni trop gros ni trop petits, juste bien. Parfaits pour la taille de mes mains. Je l'ai dit, ça aussi, à Marco. Il a ri, ce connard !

Il a été plus malin que moi, Marco. Il est allé dans le salon de coiffure où tu fais ton apprentissage. Tu l'as shampouiné du bout de tes ongles vernis de violet. Le lendemain, au téléphone, il s'est vanté : « Je dois avoir des plus grandes mains que toi parce que je les trouve petits, au toucher, moi, ses seins ! ».
Depuis que tu sors avec Marco, tu traînes toujours avec nous.
On est là, tous les deux, sur le banc en face de la devanture Cindy Coiffure, et on t'attend comme des cons. On dit que des conneries, et quand tu arrives, on ne sait plus quoi dire. Sûrement parce qu'on a peur que tu nous trouves cons.
Tu t'assois entre nous deux. Vous vous tenez par la main. Vous vous embrassez. Entre deux baisers, tu remets du gloss. Je me sens con.
Chaque fois, je me dis que c'est la dernière fois que je reste là, avec vous, comme un con. Et chaque fois que Marco m'appelle, je le rejoins sur le banc, parce que j'ai trop envie de te voir. J'ai trop envie de sentir l'odeur de tes cheveux. Ils ont l'odeur de la couleur.

L'autre jour, Marco m'a chuchoté en riant : « Elle en a pas partout, mais presque, des taches... ». Tu revenais du point chaud, à ce moment-là, la bouche pleine :
— Pourquoi tu ris, mon cœur ?
— Oh, pour rien, ma patate douce ! Tu manges encore un beignet ? C'est pas bon pour tes jolies petites fesses, ça ! t'a-t-il répondu en te les pinçant, ce conneau !
Tu t'es assise entre nous deux, comme d'habitude. Les yeux dans le vague, tu croquais dans ton beignet. Je te regardais le dévorer en rêvant de lécher les grains de sucre qui venaient de se coller, là, au-dessus de ta bouche rose, à côté de ta tache de rousseur en forme de cœur. J'aurais voulu que tu me dévores, moi aussi, comme ce beignet...
En remettant du gloss, tu m'as dit :
— C'est bientôt ton anniversaire, non ?
— Euh, ouais... ai-je dit, détaché comme si je m'en foutais, alors que j'étais à la fois étonné et heureux que tu te souviennes de ma date de naissance.
— Tu vas fêter ça, j'espère ?
— J'sais pas... ai-je répondu, perplexe, en prenant soudain conscience que fêter les anniversaires revenait en réalité à fêter le fait qu'on ne soit pas encore mort...
— Je te ferai un gâteau, si tu veux ! Je voulais être pâtissière, mais ils n'ont pas voulu de moi, au lycée hôtelier. Je vais finir coiffeuse mais j'adore faire des gâteaux ! Tu le veux à quoi ?

Tu me l'as fait, mon gâteau au miel. Il est délicieux. Il a la même couleur dorée que tes cheveux, tes yeux et tes taches de rousseur.
Tu n'arrêtes pas de me demander : « Il est bon, hein ? »
Quand tu embrasses Marco, tu me regardes droit dans les yeux, comme si ces baisers, ils étaient un peu pour moi.
Pendant que Marco fume sur le balcon, tu m'aides à ranger la cuisine. Tu trempes ton index droit dans le moule à cake et, en le mettant dans ta bouche rose pailletée, tu me dis : « Moi aussi, j'adore le miel ! »
Tu t'approches de moi, tu me dis : « Joyeux anniversaire ! Dix-huit ans, ça se fête ! »
Tu attrapes mes mains, les passes sous ton tee-shirt, les colles sur tes seins.
Tu poses ta bouche sur la mienne. Tu as le goût de la couleur.
Le goût du miel.

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